Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Famine

Définition et critère

La famine est le plus souvent définie comme un état de pénurie alimentaire grave s’étendant sur une longue durée et qui conduit à la mort des populations concernées. Cependant, il n’existe pas de définition internationalement acceptée de la famine. C’est pourquoi la simple référence au terme de « famine » entraîne souvent des débats afin de déterminer si la situation en question peut être qualifiée comme telle.

Il y a plusieurs définitions possibles de la famine. Par exemple, Médecins Sans Frontières définit le phénomène comme une « situation où l’accès et la disponibilité en nourriture sont extrêmement réduits. Les populations sont alors complètement démunies et dépendantes de l’aide, souvent contraintes à adopter des stratégies de survie comme la migration. La famine correspond à une situation exceptionnelle où la prévalence de malnutrition aiguë globale est très élevée, non seulement chez les enfants, mais également chez les adolescents et les adultes, et s’accompagne d’un taux élevé de mortalité. La distribution de nourriture à grande échelle ainsique la mise en place de programmes nutritionnels sont alors indispensables ». Une autre définition de la famine centrée sur la consommation alimentaire consiste à dire que la famine est un « effondrement soudain du niveau de la consommation alimentaire d’un grand nombre de personnes » (Scrimshaw, 1987). Une autre définition basée sur la mortalité propose de définir la famine comme une « mortalité anormalement élevée accompagnée d’une menace sur le rationnement en nourriture d’une partie de la population » (M. Ravallion, 1997).

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) évalue le pourcentage mondial de la population en situation de sous-alimentation sur la base d’une enquête menée dans chaque pays du nombre de personnes n’ayant pas assez de nourriture pour mener une vie active et saine (évaluation basée sur l’énergie alimentaire dont a besoin quotidiennement un individu, par ex. 2 100 kcal par jour pour un adulte).

Armatya Sen, qui a reçu le prix Nobel d’économie en 1998, explique qu’une situation de famine peut apparaître quand la nourriture est disponible, et qu’il est donc nécessaire de considérer avant tout la problématique de l’accès à la nourriture et/ou la capacité de la population à obtenir de la nourriture.

La famine étant une affaire politique, sa définition l’est également. Il semble alors logique que plusieurs définitions existent et que les acteurs concernés utilisent des indicateurs et des définitions différents pour qualifier la famine (ration calorique, ration alimentaire, consommation alimentaire, mortalité, etc.)

Cependant, il existe un large consensus pour dire que la sécurité alimentaire et la famine devraient être appréhendées dans leur complexité, c’est-à-dire en prenant en compte leurs aspects multidimensionnels : médical, social, environnemental, sécuritaire, etc.

Par rapport à cela, des efforts ont été faits afin de standardiser et organiser un moyen d’évaluation et de qualification des contextes de pénurie alimentaire (Howe et Devreux). Cela a abouti en février 2004 à la création de la Classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire (IPC), un outil de classification des différentes phases de situations de sécurité alimentaire fondé sur les effets, sur les vies et les moyens d’existence. Cet outil a été crée en partenariat par huit agences onusiennes et des ONG internationales (y compris le PAM, la FAO, Care International, et FEWS NET - Famine Early Warning System Network).

Indicateurs médicaux et de sécurité alimentaire

Selon la classification de l’IPC, trois conséquences doivent être mises en évidence afin qu’un état de famine soit déclaré : (1) au moins 20 % des ménages sont confrontés à des pénuries alimentaires sévères et une capacité limitée pour y faire face, (2) la prévalence de la malnutrition aiguë globale doit excéder 30 %, et (3) le taux brut de mortalité doit être supérieur à 2 décès pour 10 000 personnes par jour.

Afin de classifier une situation, l’IPC utilise des indicateurs multisectoriels qui prennent en compte les aspects multidimensionnels de la sécurité alimentaire : taux brut de mortalité, malnutrition aiguë globale, accès aux aliments et disponibilités alimentaires, diversité alimentaire, accès à l’eau, sécurité civile, stratégies d’adaptation et avoirs relatifs aux moyens d’existence

Pour une région géographique donnée (région, pays ou zone plus isolée), l’IPC classifie les situations de sécurité alimentaire selon cinq niveaux, également appelés « phases », qui représentent des niveaux différents de sévérité : 1) sécurité alimentaire générale, 2) insécurité alimentaire modérée, 3) crise alimentaire aiguë avec précarité des moyens d’existence, 4) urgence humanitaire, et 5) situation de famine/catastrophe humanitaire.

L’approche de l’IPC est en train de gagner du terrain, et son outil a été officiellement utilisé pour qualifier la situation en Somalie en 2011 comme une famine.

Cependant, des voix s’élèvent contre cette approche, affirmant que la qualité, la méthodologie et la fiabilité des informations recueillies sont souvent contestables, particulièrement dans des contextes complexes et politiquement sensibles ; les données et les informations recueillies sont en effet souvent le résultat de compromis politiques qui, au final, sapent la qualité de cette approche.

L’IPC définit de manière intéressante la famine comme une « grave perturbation sociale assortie d’un manque total d’accès à l’alimentation et/ou d’autres besoins de base dans laquelle la famine généralisée, la mort et le déplacement sont incontestables », notamment du fait de l’absence d’intervention d’urgence de la part de la communauté internationale.

Des systèmes d’alerte précoce contre la famine ont été mis en place par les principaux acteurs internationaux, comme le Système d’alerte précoce contre la famine (FEWS NET) mis en place par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), l’intégration de l’IPC sur une base permanente au sein des pays, ainsi que d’autres initiatives mises en place par les agences onusiennes et menées par la FAO (Food and Agriculture Organisation) et le PAM (Programme alimentaire mondial).

Les causes de la famine

La famine n’entre pas dans la catégorie des catastrophes naturelles, ses origines sont en effet politiques et sociales. C’est pourquoi on ne peut pas réduire les causes du phénomène à un problème de disponibilité alimentaire. De nombreuses études ont en effet démontré que la famine n’était pas le résultat d’une pénurie alimentaire mais de problèmes politiques et sociaux qui affectaient la distribution et le partage des denrées alimentaires existantes. Le travail d’Amartya Sen a également montré que la nature non démocratique d’un régime politique ainsi que l’existence d’un conflit étaient des facteurs affectant l’évolution d’une situation de famine.

Ainsi, la famine n’est pas une fatalité liée à des catastrophes naturelles ou des conditions climatiques difficiles. Le phénomène attire au contraire l’attention sur la faiblesse ou l’échec d’un système de solidarité nationale.

Dans le contexte d’un conflit, la famine peut également être utilisée à des fins politiques ou militaires, par exemple pour affaiblir une partie de la population. Dans un tel contexte, les actions de secours et la solidarité internationale ne peuvent pas se satisfaire d’une approche quantitative de l’aide, mais doivent développer des mécanismes qui garantissent aux victimes un accès durable à l’aide alimentaire, et doivent analyser les causes profondes de la famine.

Les dispositions de droit humanitaire qui interdisent la famine

Dans tous les contextes de conflit armé international aussi bien que non international, le droit international humanitaire interdit la famine comme méthode de guerre (GPI art. 54 ; GPII art. 14). Cette interdiction a acquis un caractère coutumier, comme le prescrit la règle 53 de l’étude sur les règles du droit international humanitaire coutumier publiée par le CICR en 2005. Elle s’impose donc à tous les belligérants y compris non étatiques qu’ils soient ou non signataires des conventions humanitaires. Il est également interdit d’attaquer ou de détruire les denrées alimentaires et les zones agricoles qui les produisent, les récoltes, le bétail, les installations et réserves d’eau potable ainsi que les ouvrages d’irrigation (GPI art. 54.2 et 54.4 ; GPII article 14 ; règle 54 de l’étude du CICR). Du fait qu’ils sont indispensables à la survie d’une population civile, ces biens entrent dans la catégorie des biens protégés en droit humanitaire. Par ailleurs, le statut de la Cour pénale internationale établit que le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant notamment des biens indispensables à leur survie, constitue un crime de guerre lorsque celui-ci est commis dans le cadre d’un conflit armé international. Dans d’autres situations, cela peut constituer un crime contre l’humanité, sous la définition d’« extermination » (art. 8.2.b.xxv et 7.2.b du statut de la CPI).

La famine reste une méthode de guerre autorisée contre les combattants.

Des règles spéciales sont applicables aux lieux assiégés. Les parties au conflit doivent autoriser « le libre passage de tout envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches » (GCIV art. 23).

Dans les conflits armés internationaux ou non internationaux, le droit humanitaire autorise les actions de secours de nature humanitaire et impartiale, dans les cas où les civils souffrent de privations excessives à cause du manque de biens indispensables à leur survie, comme les denrées alimentaires ou le matériel médical (GPII art.18.2 ; GCIV art.17, 23 et 59 ; GPI art. 70).

Ce droit au secours et au ravitaillement est devenu une obligation dans le droit international humanitaire coutumier. La règle 55 de l’étude du CICR précise ainsi que « les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, de caractère impartial et fournis sans aucune distinction de caractère défavorable, sous réserve de leur droit de contrôle ».

AlimentationSecoursBiens protégésFAO : Food and Agriculture Organization (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture)Programme alimentaire mondial (PAM) , ▹ SiègeCrime de guerre-Crime contre l’humanitéRavitaillement .

Contacts

Famine Early Warning System : http://www.fews.net/

Integrated Food Security Phase Classification : http://www.ipcinfo.org/

Pour en savoir plus

Action contre la faim , Géopolitique de la faim : faim et responsabilité , PUF, Paris, 2004, 243 p.

Crombe X. et Jezequel J. H., A Not So Natural Disaster : Niger 2005, Colombia University Press, New York, 2009.

François J., « Corée du Nord : un régime de famine », Esprit , février 1999.

Howe P. et Devreux S., « Famine intensity and magnitude scales : a proposal for an instrumental definition of famine », Disasters , déacembre 2004, vol.. 28, n° 4, p. 353-72.

Kracht U., « Human rights and humanitarian action : The right to food in armed conflict », in Human Rights and Criminal Justice for the Downtrodden : Essays in Honour of Asbjørn Eide , ed. Bergsmo M., Nijhoff, Leyde, 2003, chap. XI.

Macalister -Smith P., « Protection of the civilian population and the prohibition of starvation as a method of warfare », Revue internationale de la Croix Rouge, n° 284, septembre-octobre 1991, p. 440-59.

Ravallion M., « Famines and economics », Journal of Economic Literature , American Economics Association, vol. 35 (3), septembre 1997, p. 1205-1242.

Scrimshaw N. S., « The phenomenon of famine », Annual Review of Nutrition , 1987, vol. 7, p. 1-22.

Sen A., Poverty and Famines : An Essay on Entitlement and Deprivation , Oxford University Press, Oxford, 1984.

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