■ Commission internationale humanitaire d’établissement des faits (CIHEF)
La Commission internationale humanitaire d’établissement des faits est un organe d’enquête permanent sur les violations graves du droit international humanitaire (DIH). Il s’agit d’un organe convention prévu par l’article 90 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1977, qui met à la disposition des parties à un conflit armé un mécanisme indépendant et confidentiel pour enquêter sur « tout fait prétendu être une infraction grave […] ou une autre violation grave des Conventions ou du présent Protocole. ». Contrairement à un mécanisme de responsabilité judiciaire, le processus de la CIHEF vise à limiter et à désamorcer les accusations politiques entre les parties à un conflit armé en offrant une alternative de bonne foi et un processus confidentiel d’établissement des faits.
L’installation de la Commission nécessitait l’adhésion à l’article 90 d’au moins 20 États. Elle n’est devenue effective qu’en 1991 dans le sillage de la guerre du Golfe.
En date d’octobre 2021, 76 États avaient reconnu la compétence de la Commission. Cependant, la Russie, l’un des membres historiques de la Commission, a décidé de s’en retirer en octobre 2019, alléguant, entre autres arguments, que cela était dû au risque croissant d’abus de pouvoir au sein de la Commission par certains États peu scrupuleux. Ce qui illustre ainsi la politisation de l’agenda de responsabilisation en matière de DIH.
Malgré l’approche dépolitisée de la CIHEF en matière de violations du DIH, les États ont été réticents à soumettre des cas à la Commission qui reste, à ce jour, inactive. En outre, il convient de noter que des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, seul le Royaume-Uni est partie à la Commission (la Chine, la France et les États-Unis n’ont jamais été parties à la Commission et la Russie s’en retirera en 2019).
Lors de la 33e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en décembre 2019, les États ont rejeté, une fois de plus, la précédente proposition de 2015 coparrainée par le gouvernement suisse et le CICR, visant à établir un nouveau mécanisme international pour renforcer le respect du DIH. Une autre proposition faite lors de cette conférence était que les États reconnaissent la compétence de la Commission internationale d’établissement des faits pour enquêter sur les violations du DIH, mais elle n’a pas été adoptée dans le texte final de la 33e Conférence internationale, certains États s’étant également opposés à cette idée. Toutefois, cette proposition a démontré le soutien transrégional apporté par 31 États et commissions nationales de droit international humanitaire pour une promesse substantielle de soutien à la Commission.
➔ Liste des États parties aux conventions du droit international humanitaire et des droits de l’homme (n°2a).
I. Compétence
La commission est compétente pour enquêter sur les infractions et violations graves définies par les Conventions de Genève et le Protocole I. La plupart de ces crimes entrent dans la catégorie des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Bien que les Conventions de Genève (excepté l’art. 3 commun) et le Protocole I s’appliquent exclusivement aux conflits armés internationaux, la commission a toutefois annoncé (lors de sa deuxième session en 1996), qu’elle était disposée à enquêter sur les violations graves du DIH, notamment les violations de l’article 3 commun des quatre Conventions de Genève, commises dans les conflits armés non internationaux, pour autant que les parties au conflit seront d’accord. La codification des crimes de guerre commis dans les CAIs et les CANIs en 1998 par la Cour pénale internationale (art. 8 du Statut de Rome) soutient le large mandat de la CIHEF pour les violations du DIH commises dans les deux types de conflits armés.
Son rôle est aussi de « faciliter, en prêtant ses bons offices [aux parties à un conflit], le retour à l’observation des dispositions des Conventions et du présent Protocole » (GPI art. 90(2)(c)(ii)). Ces bons offices offerts par la Commission peuvent être de deux types : (i) une enquête sur tout fait présumé constituer une infraction grave telle que définie dans les Conventions de Genève et son Protocole additionnel I ou une autre violation grave des Conventions ou du présent Protocole et (ii) la facilitation, par ses bons offices, du rétablissement d’une attitude de respect des Conventions et du présent Protocole.
II. Composition
La Commission est composée de quinze membres « de haute moralité et d’une impartialité reconnue » élus pour cinq ans (GPI art. 90(1)(a)) par les États ayant accepté la compétence de la commission parmi une liste établie par ces mêmes États (qui désignent chacun une personne). Les premiers membres ont été élus en janvier 1991. Le dernier renouvellement des membres a eu lieu le 8 décembre 2016 à Berne. Le Bureau actuel de la Commission (le président, le 1er vice-président et les trois vice-présidents) a été élu parmi les membres le 20 février 2017 à Genève. Le président actuel est Thilo Marauhn. Les prochaines élections sont fixées en novembre 2021 à Berne et seront suivies de la première réunion annuelle à laquelle participeront les 15 membres nouvellement élus de la Commission au printemps 2022 à Genève.
III. Fonctionnement
1. Saisine
La Commission peut être saisie de différentes manières :
•Tout État qui a accepté la compétence de la Commission en adhérant à l’article 90 peut demander une enquête, même s’il n’est pas directement concerné par le conflit. Ainsi, l’enquête n’est pas entachée d’un soupçon de partialité —qui pourrait être implicite si l’enquête était demandée par l’une des parties au conflit— et elle devient davantage un mécanisme de contrôle collectif pour les États, fondé sur la notion d’ordre public et le respect du droit international. Toutefois, pour que la Commission puisse mener à bien son enquête, les parties au conflit à l’examen doivent avoir accepté sa compétence.
•Les États parties peuvent également déclarer une fois pour toutes qu’ils « reconnaissent ipso facto et sans accord particulier » la compétence de la Commission pour enquêter sur les allégations de tout autre État partie qui accepte la même obligation (PAI, Art. 90(2)(a)). Cela signifie que la Commission n’a pas à demander d’autorisation spécifique lorsqu’elle lance une enquête.
•Dans les cas où les États n’ont pas reconnu explicitement la compétence de la Commission, ils peuvent néanmoins soumettre des cas à la Commission sur une base ad hoc. La Commission doit obtenir le consentement de toutes les parties au conflit concerné afin d’ouvrir une enquête. (API Art. 90(2)(d)). En pratique, la Commission a également offert de manière proactive ses services aux parties impliquées dans divers conflits armés, y compris dans les NIACs. ( infra )
Si cette reconnaissance n’a pas été faite de façon explicite, la Commission n’ouvrira une enquête à la demande d’une partie au conflit qu’avec le consentement de l’autre ou des autres parties intéressées (GPI art. 90.2.d).
2. Enquête
Une chambre, composée de sept des membres de la Commission, entreprend les enquêtes. Ces membres ne sont ressortissants d’aucune des parties au conflit et sont nommés en tenant compte d’une « représentation équitable des zones géographiques. » La Chambre peut inviter les parties au conflit à l’assister et à présenter des preuves, mais elle peut aussi rechercher elle-même d’autres preuves, y compris par des enquêtes in loco. Elle doit divulguer intégralement toutes les preuves qu’elle trouve aux parties concernées, qui ont le droit de les commenter ou de les contester.
Le résultat de l’enquête débouche sur la présentation d’un rapport aux parties, avec les recommandations appropriées. La Commission ne rend pas ses conclusions publiques, sauf si toutes les parties au conflit lui ont demandé de le faire, ou si elle constate que l’État faisant l’objet de l’enquête n’a rien fait pour faire cesser les violations. La ou les parties qui demandent une enquête doivent avancer les fonds nécessaires aux dépenses encourues par la Chambre. Elles sont ensuite remboursées par la ou les parties contre lesquelles les allégations sont faites.
3. Cas portés à l’attention de la Commission
En 2015, la CIHEF a été contactée par l’ONG Médecins sans frontières (MSF) au sujet de l’attaque du 3 octobre 2015 survenue dans un hôpital de MSF à Kunduz, en Afghanistan. La CIHEF a fait des offres de services aux gouvernements américain et afghan pour mener une enquête indépendante sur les circonstances de cette attaque. Ce faisant, elle a fait remarquer qu’elle ne pouvait agir qu’avec le consentement d’un ou de plusieurs des États concernés. Le gouvernement des États-Unis a toutefois décliné l’offre de la CIHEF mais a reconnu sa responsabilité. Il a alors procédé à une enquête militaire nationale partiellement déclassifiée.
En 2016, dans le cadre du conflit au Yémen, la CIHEF a pris note de l’appel lancé par MSF en relation avec les événements survenus dans le district de Razeh, au nord du Yémen, le 10 janvier 2016. La Commission avait déjà entrepris les démarches nécessaires pour fournir ses services dans ce contexte. Toujours la même année, concernant le conflit en Syrie, la CIHEF a offert ses services en relation avec les attaques contre des écoles et des hôpitaux dans le nord de la Syrie le 15 février 2016 qui concernaient notamment une attaque contre un hôpital soutenu par MSF à Ma’arat Al-Numan (province d’Idlib).
La CIHEF a mené en 2017 sa première et unique enquête à ce jour depuis son existence en 1991. L’enquête portait sur le décès d’un employé de l’OSCE (ambulancier) en Ukraine pendant une période de conflit armé avec la Russie. Le rapport de la Commission sur l’incident a été transmis à l’OSCE, qui a décidé de le rendre public, alors que les conclusions de la Commission devaient rester confidentielles (article 90(5)(c) du PAI). L’enquête a conclu que la munition la plus susceptible d’avoir causé l’incident était une mine anti-char TM-62M de fabrication russe et que « [é]tant donné que - comme on le savait - la route était fréquemment utilisée par des véhicules civils, toute pose récente de mines anti-véhicules constitue une violation du droit international humanitaire en raison de l’effet indiscriminé prévisible ».
En 2018, elle a proposé ses services aux gouvernements de la Fédération de Russie et de l’Ukraine par des lettres identiques le 4 décembre 2018 concernant la situation relative à l’incident survenu dans le détroit de Kertch le 25 novembre 2018, mais les deux États ont refusé. L’incident a toutefois été porté devant le Tribunal international de la mer (affaire n° 26 concernant la détention de trois navires de guerre ukrainiens (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires), qui a ordonné le 25 mai 2019 la remise des navires et la libération des marins à la Russie. Le 29 novembre 2018, l’Ukraine a porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a jugé, par voie de mesure provisoire le 4 décembre 2018 que, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant elle, la Russie devait veiller à ce qu’un traitement médical approprié soit administré au personnel naval ukrainien captif qui en avait besoin, y compris en particulier à celui qui aurait pu être blessé lors de l’incident naval survenu dans le détroit de Kertch le 25 novembre 2018. L’affaire est actuellement pendante devant la première section de la Cour européenne des droits de l’homme.
Le 7 octobre 2020, la CIHEF a offert ses services aux gouvernements de la République d’Arménie et de la République d’Azerbaïdjan concernant la situation dans le Haut-Karabakh et a également offert ses services au gouvernement de la République fédérale démocratique d’Éthiopie par une lettre datée du 29 décembre 2020 concernant les récents développements dans la région du Tigré. Enfin, en juin 2021, la CIHEF a proposé ses services au gouvernement de la République du Yémen en offrant ses bons offices concernant le respect du DIH. À ce jour, la CIHEF n’a reçu aucune réponse de ces États.
☞ Les États qui ont créé cette commission ne lui ont pour l’instant confié aucune enquête à réaliser. Les ONG ne peuvent pas saisir directement la Commission d’établissement des faits, mais elles peuvent demander aux États de la saisir.
En pratique, la Commission, a offert de manière proactive ses services ad hoc d’établissement des faits aux États parties à divers conflits armés depuis 2015, dans le sillage des conflits en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, en Ukraine, en Arménie-Azerbaïdjan, en Éthiopie et notamment concernant les accusations d’attaques contre des hôpitaux.
Les pays ayant reconnu la compétence de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits sont l’Algérie, l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Autriche, le Bélarus, la Belgique, la Bolivie, la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Canada, le Cap-Vert, le Chili, le Chypre, la Colombie, le Costa Rica, la Croatie, le Danemark, les Émirats arabes unis, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Grèce, la Guinée, Hongrie, Iles Cook, Irlande, Islande, Italie, Japon, Koweït, Laos, Lesotho, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Madagascar, Mali, Malawi, Malte, Monaco, Mongolie, Monténégro, Namibie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Palestine, Panama, Paraguay, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Qatar, République de la Corée (Sud), République démocratique du Congo, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Rwanda, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Serbie, Seychelles, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Tadjikistan, Togo, Tonga, Trinité et Tobago, Ukraine, Uruguay.
Les mécanismes juridiques de sanction des violations graves du droit international humanitaire
En sus de ce mécanisme de surveillance et d’application des conventions, le DIH prévoit différentes méthodes pour enquêter, poursuivre et sanctionner les infractions à ses règles. Elles reposent sur l’obligation des États de punir les auteurs des violations graves du droit humanitaire en vertu du système de compétence universelle qui offre la possibilité pour les victimes de porter plainte devant les tribunaux nationaux de n’importe quel pays.
D’autres mécanismes ont en outre été créés de façon ad hoc pour sanctionner les violations graves du DIH, comme les tribunaux pénaux internationaux.
Le statut de la Cour pénale internationale a été adopté à Rome le 17 juillet 1998 et est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Depuis cette date, les individus soupçonnées d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour peuvent, sous certaines conditions, être passibles de poursuites devant la Cour.
➔ Cour Pénale Internationale (CPI); Tribunaux pénaux internationaux (TPI); Compétence universelle
➔ Recours individuel ; Cour pénale internationale (CPI); Tribunaux pénaux internationaux (TPI); Droit international humanitaire; Sanctions pénales en droit humanitaire; Compétence universelle; Crimes de guerre/crimes contre l’humanité.
➔ Liste des États parties aux conventions de droit international humanitaire et de droits de l’homme (n°2a).
.. note:
✎ Commission internationale humanitaire d’établissement des faits 10 Kochergasse, Berne, CH 3003, Suisse
Tel.: (41) 58 465 42 00 Fax: (41) 58 465 07 67
@ www.ihffc.org
.. warning:
Pour plus d’information :*
Alagbe, Mérick Freedy, “What role for the International Humanitarian Fact-Finding Commission?”, Politique Étrangère, n° 1, (January 2020): 161-171.
Barbier S., « Les commissions d’enquête et d’établissements des faits », in Droit international pénal, sous la dir. de Hervé Ascensio, Emmanuel Decaux et Alain Pellet, Pedone, 2000, 1 053 p., p. 697-713. Comité international de la Croix-Rouge, No agreement by States on mechanism to strengthen compliance with rules of war, Revue de Presse, 10 décembre 2015, disponible sur: https://www.icrc.org/en/document/no-agreement-states-mechanism-strengthen-compliance-rules-war
Commission internationale humanitaire d’établissement des faits, Nouvelles de la CIHEF, disponible sur : https://www.ihffc.org/index.asp?page=news
Condorelli L., « La Commission internationale humanitaire d’établissement des faits : un outil obsolète ou un moyen utile de mise en œuvre du droit international humanitaire », RICR, n° 842, juin 2001, p. 393-406.
Krill, Françoise. “The International Fact-Finding Commission”, Revue international de la Croix-Rouge, 281 (Mars–Avril 1991): 190–207.
Mokhtar, Aly. “To Be or Not to Be: The International Humanitarian Fact Finding Commission”, Italian Yearbook of International Law, 12 (2002): 69–94. Organisation pour la sécurité et la cooperation en Europe, Executive Summary of the Report of the Independent Forensic Investigation in relation to the Incident affecting an OSCE Special Monitoring Mission to Ukraine (SMM) Patrol on 23 April 2017, disponible sur: https://www.osce.org/files/f/documents/1/e/338361.pdf
Poulopoulou, Sofia, “Strengthening Compliance with IHL: Back to Square One”, EJIL Talks!, 14 février 2019, disponible sur: https://www.ejiltalk.org/strengthening-compliance-with-ihl-back-to-square-one/
Roach, J., Ashley, « La Commission internationale d’établissement des faits. L’article 90 du protocole I additionnel aux Conventions de Genève », Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 788, mars-avril 1991, p. 178-203.
“Rules of the International Humanitarian Fact Finding Commission (Adopted on July 8, 1992)”, Revue international de la Croix-Rouge, 293, Avril 1993: 161.