■ Commission internationale humanitaire d’établissement des faits (CIHEF)
La Commission internationale humanitaire d’établissement des faits est un organe d’enquête permanent sur les violations graves du droit international humanitaire (DIH). Il s’agit d’un organe prévu par l’article 90 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1977, qui met à la disposition des parties à un conflit armé un mécanisme indépendant et confidentiel pour enquêter sur « tout fait prétendu être une infraction grave […] ou une autre violation grave des Conventions ou du présent Protocole. ». Contrairement à un mécanisme de responsabilité judiciaire, le processus de la CIHEF vise à limiter et à désamorcer les accusations politiques entre les parties à un conflit armé en offrant une alternative de bonne foi et un processus confidentiel d’établissement des faits.
L’installation de la Commission nécessitait l’adhésion à l’article 90 d’au moins 20 États. Elle n’est devenue effective qu’en 1991 dans le sillage de la guerre du Golfe.
En date d’avril 2023, 76 États ont reconnu la compétence de la Commission. Cependant, la Russie, l’un des membres historiques de la Commission, a décidé de s’en retirer en octobre 2019, alléguant, entre autres arguments, que cela était dû au risque croissant d’abus de pouvoir au sein de la Commission par certains États peu scrupuleux. Ce retrait illustre la politisation de l’agenda concernant la mise en cause de la responsabilité des Etats pour les violations du DIH.
Malgré l’approche dépolitisée et confidentielle de la CIHEF concernant les violations du DIH, les États ont été réticents à soumettre des cas à la Commission qui reste, à ce jour, largement sous employée par les Etats . En outre, il convient de noter que des cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, seul le Royaume-Uni est parti à la Commission (la Chine, la France et les États-Unis n’ont jamais été parties à la Commission et la Russie s’en est retiré en 2019).
Lors de la 33e Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge en décembre 2019, les États ont rejeté, une nouvelle fois, la proposition de 2015 coparrainée par le gouvernement suisse et le CICR, visant à établir un nouveau mécanisme international pour renforcer le respect du DIH. Une autre proposition faite lors de cette conférence était que les États reconnaissent la compétence de la Commission internationale d’établissement des faits pour enquêter sur les violations du DIH, mais elle n’a pas été adoptée dans le texte final de la 33e Conférence internationale, certains États s’étant également opposés à cette idée. Toutefois, cette proposition a montré le soutien transrégional apporté à la CIHEF par 31 États et commissions nationales de DIH. Ceci a également prouvé l’opposition d’un grand nombre d’États concernant la mise en place de mécanismes internationaux permanents et indépendants d’établissement des faits sur les violations du DIH. Outre les enquêtes pénales qui peuvent être menées dans certains cas par la Cour pénale internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies et le Conseil des droits de l’homme ont mis en place des mécanismes d’enquête internationaux ad hoc pour établir et dénoncer les violations des droits humains et du DIH dans certains pays.
➔ Liste des États parties aux conventions du droit international humanitaire et des droits de l’homme (n°2a) ; Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (UNHCHR)-Conseil des droits de l’homme de l’ONU (et Comité consultatif); Rapporteur spécial
I. Compétence
Le mandat de la Commission consiste à enquêter sur les infractions et violations graves définies par les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I. La plupart de ces crimes entrent dans la catégorie des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Bien que les Conventions de Genève (excepté l’art. 3 commun) et le Protocole additionnel I s’appliquent exclusivement aux conflits armés internationaux (CAIs), la Commission a toutefois annoncé en 1996 (lors de sa deuxième session), qu’elle était disposée à enquêter sur les violations graves du DIH, notamment les violations de l’article 3 commun des quatre Conventions de Genève, commises dans les conflits armés non internationaux (CANIs), pour autant que les parties au conflit l’acceptent. La codification des crimes de guerre commis dans les CAIs et les CANIs en 1998 par la Cour pénale internationale (art. 8 du Statut de Rome) soutient l’élargissement du mandat de la CIHEF pour les violations du DIH commises dans ces deux types de conflits armés.
Son rôle est aussi de « faciliter, en prêtant ses bons offices [aux parties à un conflit], le retour à l’observation des dispositions des Conventions et du présent Protocole » (art. 90(2)(c)(ii) du PAI). Ces bons offices offerts par la Commission peuvent être de deux types : (i) une enquête sur tout fait présumé constituer une infraction grave telle que définie dans les Conventions de Genève et son Protocole additionnel I ou une autre violation grave des Conventions ou du présent Protocole et (ii) la facilitation, par ses bons offices, du rétablissement d’une attitude de respect des Conventions et du présent Protocole.
II. Composition
La Commission est composée de quinze membres « de haute moralité et d’une impartialité reconnue » élus pour cinq ans (art. 90(1)(a) du PAI) par les États ayant accepté la compétence de la Commission parmi une liste établie par ces mêmes États (qui désignent chacun une personne). Les premiers membres ont été élus en janvier 1991. Le dernier renouvellement des membres a eu lieu le 19 novembre 2021 à Berne. Le Bureau actuel de la Commission (le président, le 1er vice-président et les trois vice-présidents) a été élu parmi les membres le 28 mars 2022. Le président actuel est Thilo Marauhn qui a été réélu à ce poste lors de la première réunion annuelle à laquelle ont participé virtuellement les 15 membres nouvellement élus de la Commission, le 28 mars 2022 .
III. Fonctionnement
1. Exercice de la compétence
La Commission peut être saisie de différentes manières :
- Tout État qui a accepté la compétence de la Commission en adhérant à l’article 90 peut demander une enquête, même s’il n’est pas directement concerné par le conflit. Cette possibilité a pour but de limiter le soupçon de partialité de l’enquête qui peut exister si l’enquête est demandée par l’une des parties au conflit. Dans cette éventualité la saisine de la CIHEF apparait davantage comme un mécanisme de contrôle collectif pour les États, fondé sur la notion d’ordre public et d’intérêt commun pour le respect du DIH. Toutefois, pour que la saisine de la Commission puisse donner lieu à une enquête, les parties au conflit faisant l’objet de l’enquête doivent avoir accepté sa compétence.
- Les États parties peuvent également déclarer une fois pour toutes qu’ils « reconnaissent ipso facto et sans accord particulier » la compétence de la Commission pour enquêter sur les allégations de tout autre État partie qui accepte la même obligation (PAI, Art. 90(2)(a)). Cela signifie que la Commission n’a pas à demander d’autorisation spécifique lorsqu’elle lance une enquête.
- Dans les cas où les États n’ont pas reconnu explicitement la compétence de la Commission, ils peuvent néanmoins soumettre des cas à la Commission sur une base ad hoc. La Commission doit obtenir le consentement de toutes les parties au conflit concerné afin d’ouvrir une enquête. (API Art. 90(2)(d)).
- Au-delà de ces modalités formelles de saisine, la Commission a également a dans sa pratique, offert ses services de manière proactive aux parties impliquées dans plusieurs conflits armés, y compris dans les NIACs. ( infra )
2. Enquête
Une chambre, composée de sept des membres de la Commission, entreprend les enquêtes. Ces membres ne sont ressortissants d’aucune des parties au conflit et sont nommés en tenant compte d’une « représentation équitable des zones géographiques. » La Chambre peut inviter les parties au conflit à l’assister et à présenter des preuves, mais elle peut aussi rechercher elle-même d’autres preuves, y compris par des enquêtes in loco . Elle doit divulguer intégralement toutes les preuves qu’elle trouve aux parties concernées, qui ont le droit de les commenter ou de les contester.
Le résultat de l’enquête débouche sur la présentation d’un rapport aux parties, avec les recommandations appropriées. La Commission ne rend pas ses conclusions publiques, sauf si toutes les parties au conflit lui ont demandé de le faire, ou si elle constate que l’État faisant l’objet de l’enquête n’a rien fait pour faire cesser les violations.
La ou les parties qui demandent une enquête doivent avancer les fonds nécessaires aux dépenses encourues par la Chambre. Elles sont ensuite remboursées par la ou les parties contre lesquelles les allégations sont faites.
3. Cas portés à l’attention de la Commission
En 2015, la CIHEF a été contactée par Médecins sans frontières (MSF) au sujet de l’attaque du 3 octobre 2015 survenue dans un hôpital de MSF à Kunduz, en Afghanistan. La CIHEF a fait des offres de services aux gouvernements américain et afghan pour mener une enquête indépendante sur les circonstances de cette attaque. Ce faisant, elle a fait remarquer qu’elle ne pouvait agir qu’avec le consentement d’un ou de plusieurs des États concernés. Le gouvernement des États-Unis a toutefois décliné l’offre de la CIHEF mais a reconnu sa responsabilité. Il a alors procédé à une enquête militaire nationale partiellement déclassifiée.
En 2016, dans le cadre du conflit au Yémen, la CIHEF a pris note de l’appel lancé par MSF suite à l’attaque survenue le 10 janvier 2016 d’un de ses hôpitaux dans le district de Razeh, au nord du Yémen. La Commission avait déjà entrepris les démarches nécessaires pour fournir ses services dans ce contexte.
La même année, dans le cadre du conflit en Syrie, la CIHEF a offert ses services en relation avec les attaques contre des écoles et des hôpitaux dans le nord de la Syrie le 15 février 2016 qui portaient notamment sur une attaque contre un hôpital soutenu par MSF à Ma’arat Al-Numan (province d’Idlib ). Ces offres de services n’ont pas été acceptées .
En 2017, la CIHEF a mené sa première enquête officielle depuis son entrée en fonction en 1991. L’enquête portait sur le décès d’un employé de l’OSCE (ambulancier) en Ukraine pendant une période de conflit armé avec la Russie. Le rapport de la Commission sur l’incident a été transmis à l’OSCE, qui a décidé de le rendre public, alors que les conclusions de la Commission devaient rester confidentielles (article 90(5)(c) du PAI). L’enquête a conclu que la munition la plus susceptible d’avoir causé l’incident était une mine anti-char TM-62M de fabrication russe et que « [é]tant donné que - comme on le savait - la route était fréquemment utilisée par des véhicules civils, toute pose récente de mines anti-véhicules constitue une violation du droit international humanitaire en raison de l’effet indiscriminé prévisible ».
En 2018, elle a proposé ses services aux gouvernements de la Fédération de Russie et de l’Ukraine par des lettres identiques le 4 décembre 2018 concernant la situation relative à l’incident survenu dans le détroit de Kertch le 25 novembre 2018, mais les deux États ont refusé.
Le 7 octobre 2020, la CIHEF a offert ses services aux gouvernements de la République d’Arménie et de la République d’Azerbaïdjan concernant la situation dans le Haut-Karabakh et a également offert ses services au gouvernement de la République fédérale démocratique d’Éthiopie par une lettre datée du 29 décembre 2020 concernant les récents développements dans la région du Tigré. Enfin, en juin 2021, la CIHEF a proposé ses services au gouvernement de la République du Yémen en offrant ses bons offices concernant le respect du DIH. Enfin, en mars 2022, elle a proposé ses services aux gouvernements de la Fédération de Russie et de l’Ukraine et a appelé les deux parties, le 25 avril 2022, à maintenir et, le cas échéant, à rétablir une attitude de respect des conventions de Genève et du Protocole additionnel I. À ce jour , aucune réponse n’a été fournie à la CIHEF par l’un ou l’autre de ces États.
Le 10 novembre 2023, la CIHEF a offert ses bons offices à Israël et à la Palestine concernant le conflit en cours à Gaza.
Le 23 mai 2024 la CIHEF a offert ses bons offices à la Pologne pour enquêter sur l’attaque par l’armée Israélienne d’un convoi de travailleurs humanitaires de l’organisation World Central Kitchen incluant un citoyen polonais, survenue le 1 avril 2024 à Gaza . La Pologne a accepté cette offre de services et signé un protocole d’accord avec la CIHEF le 20 juin 2024
☞ Bien que les États aient eux-mêmes créé la Commission internationale d’établissement des faits, ils n’ont pas directement fait appel à elle pour effectuer des enquêtes.
Les organisations non gouvernementales ne peuvent pas saisir directement la Commission d’établissement des faits, mais elles peuvent demander aux États de le faire.
En pratique, la Commission, a offert de manière proactive ses services ad hoc d’établissement des faits aux États parties à divers conflits armés depuis 2015, dans le sillage des conflits en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, en Ukraine, en Arménie-Azerbaïdjan, en Éthiopie et notamment concernant les accusations d’attaques contre des hôpitaux.
En 2025, 76 pays ont reconnu la compétence de la Commission internationale humanitaire d’établissement des faits : l’Algérie, l’Allemagne, l’Argentine, l’Australie, l’Autriche, le Bélarus, la Belgique, la Bolivie, la Bosnie-Herzégovine, le Brésil, la Bulgarie, le Burkina Faso, le Canada, le Cap-Vert, le Chili, le Chypre, la Colombie, le Costa Rica, la Croatie, le Danemark, les Émirats arabes unis, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la Grèce, la Guinée, Hongrie, Iles Cook, Irlande, Islande, Italie, Japon, Koweït, Laos, Lesotho, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Macédoine du Nord, Madagascar, Mali, Malawi, Malte, Monaco, Mongolie, Monténégro, Namibie, Norvège, Nouvelle-Zélande, Palestine, Panama, Paraguay, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Qatar, République de la Corée (Sud), République démocratique du Congo, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Rwanda, Saint-Kitts-et-Nevis, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Serbie, Seychelles, Slovaquie, Slovénie, Suède, Suisse, Tadjikistan, Togo, Tonga, Trinité et Tobago, Ukraine, Uruguay.
☞ Les mécanismes juridiques de sanction des violations graves du DIH
En sus de ce mécanisme de surveillance et d’application des conventions, le DIH prévoit différentes méthodes pour enquêter, poursuivre et sanctionner les infractions à ses règles. Elles reposent sur l’obligation des États de punir les auteurs des violations graves du DIH en vertu du système de compétence universelle qui offre la possibilité pour les victimes de porter plainte devant les tribunaux nationaux de n’importe quel pays. D’autres mécanismes non permanents ont en outre été créés de façon ad hoc pour sanctionner les violations graves du DIH, comme les tribunaux pénaux internationaux. Le statut de la Cour pénale internationale a été adopté à Rome le 17 juillet 1998 et est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Depuis cette date, les individus soupçonnées d’avoir commis des crimes relevant de la compétence de la Cour peuvent, sous certaines conditions, être passibles de poursuites devant la Cour.
➔ Compétence universelle ▸ Cour Pénale Internationale (CPI) ▸ Tribunaux pénaux internationaux (TPI) ▸ Droit international humanitaire ▸ Recours individuels ▸ Sanctions pénales du droit humanitaire ;
➔ Liste des États parties aux conventions de droit international humanitaire et de droits humains (n°2a).
✎ Commission internationale humanitaire d’établissement des faits 10 Kochergasse, Berne, CH 3003, Suisse
Tel.: (41) 58 465 42 00 Fax: (41) 58 465 07 67
@ www.ihffc.org
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