■ DÉCONFLICTION IDENTIFICATION ET SYSTÈME DE NOTIFICATION HUMANITAIRE
La déconfliction est un terme utilisé à l’origine dans le jargon militaire pour décrire le processus de réduction des risques de tirs amis au sein d’une armée ou entre des forces alliées opérant dans le même espace de combat. « La déconfliction » a plus récemment été étendue pour inclure « l’échange d’informations et de conseils de planification par les acteurs humanitaires avec les acteurs militaires afin de prévenir ou de résoudre les conflits entre deux ensembles d’objectifs, de lever les obstacles à l’action humanitaire et d’éviter les dangers potentiels pour le personnel humanitaire » ( traduction libre ). Dans cette perspective humanitaire, la « déconfliction » implique « la notification aux militaires de l’emplacement, des activités, des mouvements et du personnel humanitaires dans des lieux statiques et non statiques, afin de les protéger contre les attaques et les effets secondaires des attaques en vertu du droit international humanitaire ». ( traduction libre )
La déconfliction désigne une procédure de sécurité militaire ad hoc visant à prévenir les attaques et les meurtres par erreur de soldats appartenant à la même partie ou à une partie alliée à un conflit armé. Elle se distingue des devoirs militaires imposés par le DIH pour la protection générale accordée aux civils pendant la conduite des hostilités. Ces devoirs sont encadrés par les principes de distinction, de précaution et de proportionnalité qui interdisent le meurtre direct ou indirect de civils et d’autres personnes assimilées telles que le personnel humanitaire impartial. La déconfliction diffère également des règles supplémentaires du DIH régissant la protection spéciale de la mission médicale, qui comprend l’identification et la notification des installations médicales, des transports et du personnel protégés, ainsi que l’utilisation de l’emblème protecteur. Il est nécessaire de connaître et de se référer au cadre du DIH régissant l’identification et la notification humanitaires afin d’éviter que la notification humanitaire se transforme dans les faits en autorisation militaire.
Cette procédure a été promue par le Conseil de sécurité des Nations unies (CS ONU) dans le sillage de sa résolution 2286 sur la protection de la mission médicale en 2016. Elle exhorte les États et les parties au conflit à intégrer des mesures pratiques pour la protection des blessés et des malades ainsi que des services médicaux dans la planification et la conduite de leurs opérations militaires. Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU a ensuite évoqué la mise en place d’un système de notification humanitaire (SNH).
En pratique, la « déconfliction » humanitaire prend souvent la forme d’une liste de coordonnées du système de positionnement global (SPG/GPS) partagée par les organisations humanitaires avec les acteurs militarisés. Dans de nombreux cas, comme en Syrie et au Yémen, le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) joue un rôle central dans la compilation et le transfert aux parties au conflit d’énorme base de données répertoriant les coordonnées de toutes sortes de sites humanitaires, médicaux et civils fournis par les organisations non gouvernementales (ONGs) et les autorités. Toutefois, ce mécanisme d’OCHA est auto-déclaratif et n’implique pas le contrôle par OCHA de la nature effective des divers emplacements « déconflictuels ». Des organisations telles que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et Médecins sans frontières (MSF) tentent de maintenir un contact direct avec les parties au conflit et de ne transférer que les coordonnées SPG/GPS des lieux directement sous leur responsabilité. L’objectif est d’encourager le processus d’atténuation et de négociation dans le cas où une partie au conflit considère qu’un lieu peut avoir perdu son statut protégé en vertu du DIH en raison de circonstances spécifiques et qu’il a été utilisé pour commettre un ou des actes nuisibles à l’ennemi.
Le mécanisme de déconfliction diffère des procédures d’identification et de notification prévues par les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels, principalement parce que la « déconfliction » – bien qu’elle vise à renforcer « la protection contre les attaques et les effets secondaires des attaques en vertu du droit international humanitaire » (traduction libre) – n’est pas un terme du droit international humanitaire (DIH) mais un terme purement militaire. Les organisations humanitaires doivent donc comprendre la spécificité du cadre d’identification, de notification et de protection humanitaire ainsi que les processus encadrés par le DIH par rapport au système de « déconfliction » non contraignant et centré sur les militaires.
Selon le DIH, un emplacement humanitaire, civil et médical peut perdre son statut de protection s’il est utilisé en dehors de sa fonction humanitaire ou médicale pour commettre un ou des actes nuisibles à l’ennemi. L’inscription sur une liste de déconfliction militaire est un processus de confiance entre alliés militaires, mais les organisations humanitaires ne peuvent pas compter sur une telle liste de déconfliction pour assurer leur sécurité. Elles doivent toujours garantir leur contrôle sur la nature strictement et exclusivement humanitaire, médicale et civile de leurs activités, de leur personnel et de leurs installations, qui leur confère leur statut protégé en vertu du DIH.
Le DIH prévoit que les parties à un conflit armé doivent en tout temps faire la distinction entre les civils et les biens civils, d’une part, et les combattants et les objectifs militaires, d’autre part, et que les attaques ne peuvent être dirigées que contre ces derniers.
La protection générale des civils dans les conflits est encadrée par le DIH par le biais du principe fondamental de distinction qui interdit les attaques directes contre les civils. Ce principe crée un devoir impératif pour le commandant d’identifier positivement les objectifs militaires par opposition aux civils. Par conséquent, le DIH ne prévoit pas de signe distinctif spécial permettant d’identifier les personnes, bâtiments ou biens civils. Les commandants militaires sont également tenus de respecter les deux principes supplémentaires de précaution et de proportionnalité en ce qui concerne les dommages non intentionnels causés aux civils par une attaque contre un objectif militaire légitime situé à proximité de personnes ou de biens civils.
Cette protection générale des civils est complétée par le régime de protection spécial prévu par le DIH pour des personnels, des biens, des activités et des locaux spécifiques, tels que les locaux médicaux. Le DIH prévoit notamment des emblèmes, des signes et des signaux spécifiques permettant d’identifier le personnel, les transports et les unités médicales protégés, mais aussi les biens et objets culturels, le personnel de la protection civile, ses installations et son matériel, ainsi que les camps de prisonniers de guerre ou d’internés, etc.
Dans le cas du personnel, des transports et des unités sanitaires, la protection spécifique stipule qu’ils doivent également être « respectés et protégés en toutes circonstances ». Cette protection spécifique va au-delà de la simple interdiction des attaques et exige de toutes les parties au conflit qu’elles facilitent activement les activités médicales menées par un personnel médical impartial conformément au droit international humanitaire et à l’éthique médicale. Toutefois, cette protection spécifique n’aurait aucun sens si le personnel et les objets médicaux ne pouvaient pas être clairement identifiés comme tels par tous les acteurs au conflit. À cette fin, les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles additionnels réglementent l’utilisation des emblèmes distinctifs et protecteurs de la Croix-Rouge, du Croissant-Rouge et du Cristal-Rouge pour le personnel, les moyens de transport et les unités sanitaires opérant dans des situations de conflit armé.
En plus de ce signe distinctif, le DIH invite également les parties au conflit à se notifier mutuellement de l’emplacement de leurs installations médicales fixes. En ce sens, la « déconfliction » est plus proche de la notion de notification figurant à l’article 12(3) du l’PAI, mais son champ d’application est différent puisqu’elle couvre les emplacements statiques et non statiques, ainsi que les installations non médicales, et qu’elle n’est applicable qu’en période de conflit armé international.
Toutefois, de nombreuses lois nationales confèrent au ministère de la défense le pouvoir d’autoriser l’utilisation de l’emblème en cas de conflit armé. Par conséquent, une législation nationale sur l’emblème pourrait priver de manière large les groupes armés non étatiques parties au conflit du droit d’utiliser l’emblème de la croix rouge pour protéger les installations médicales sous leur contrôle territorial. Cette contrainte a notamment été illustrée depuis le début de la guerre en Syrie en 2011 par l’absence d’emblème et les nombreuses attaques contre des installations médicales situées sur le territoire sous le contrôle de groupes d’opposition armés non étatiques. Toutefois, il convient de rappeler que l’affichage de l’emblème médical protégé est un signe visible du statut protégé d’une installation médicale mais n’en est pas une condition préalable. En effet, c’est la connaissance de la nature humanitaire et médicale d’une personne, d’une activité et d’une installation donnée qui crée son statut protégé, qu’elle affiche ou non l’emblème protecteur. La connaissance du statut humanitaire et médical d’une installation par les parties au conflit peut également être affirmée par un système de notification spécial. La notification humanitaire contribue donc à la protection contre les attaques, en complément de l’identification visuelle.
Il convient également de noter que le DIH ne prévoit aucun emblème visuel protecteur spécifique pour le personnel et les activités humanitaires non médicales. Ils ne peuvent que s’appuyer sur leur statut général de civil protégé. En effet, les différents logos des nombreuses organisations humanitaires impliquées dans des activités de secours ne bénéficient pas de la reconnaissance juridique internationale des emblèmes distinctifs ou protecteurs par les parties au conflit.
Au-delà du système d’identification visuelle prévu par le DIH, les tendances contemporaines dans la conduite des hostilités font un usage intensif de la géolocalisation électronique comme moyen d’identification des cibles militaires et des installations protégées. Ainsi, les coordonnées PSG/GPS des installations médicales ou humanitaires fixes sont devenues un élément central pour l’identification et la protection contre les attaques.
Le système d’identification électronique est de plus en plus utilisé par les organisations humanitaires pour informer les belligérants de l’emplacement du personnel, des structures, des activités et des transports humanitaires. Cette activité est appelée « déconfliction ».
Malgré leur importance pour la protection des unités médicales (civiles), l’objectif et la portée de ces trois concepts différents, mais complémentaires (identification, notification et « déconfliction ») sont exposés dans la section ci-dessous.
« Déconfliction » v. identification et notification
Alors que l’identification et la notification, telles qu’envisagées par le DIH, ne concernent que le personnel, le transport ou les unités médicales, la « déconfliction » a un champ d’application plus large. En effet, la « déconfliction » n’est pas limitée au personnel, au transport et aux unités sanitaires tels qu’ils sont strictement définis par le DIH. Aux fins du DIH, le personnel, les transports et les unités sanitaires protégés se réfèrent à des catégories spécifiques de personnes et d’objets qui sont strictement définies dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. La « déconfliction », quant à elle, porte sur la notification des « emplacements, activités, mouvements et personnels humanitaires », qui sont les emplacements, activités, mouvements et personnels impliqués dans les opérations humanitaires. Si la notion d’« humanitaire » n’est pas clairement définie, elle est généralement comprise comme englobant non seulement le personnel, les transports et les unités médicales au sens du DIH, mais aussi tout le personnel et les biens civils impliqués dans les activités humanitaires. La « déconfliction » peut donc être utilisée pour indiquer la présence non seulement de structures médicales, mais aussi d’installations humanitaires civiles (non médicales). En d’autres termes, ce ne sont pas seulement les personnes et les biens spécialement protégés par le DIH qui peuvent être « déconflisés », mais tous les civils et les biens civils participant à des opérations humanitaires (et qui relèvent donc de la protection générale accordée par le DIH aux civils et aux biens civils).
L’utilisation généralisée de la déconfliction électronique pour le personnel et les activités médicales et humanitaires soulève des inquiétudes quant à l’efficacité de la protection générale des civils, prévue par le DIH, qui ne peuvent bénéficier de la liste de déconfliction.
Elle suscite également des inquiétudes supplémentaires pour les organisations humanitaires et médicales, car elle n’offre pas de garantie de protection et peut se transformer en une procédure administrative lourde ou en un système de filtrage, portant atteinte au droit inconditionnel à l’assistance humanitaire des victimes de conflits armés.
Le système de notification humanitaire peut être considéré comme l’un des outils disponibles dans le cadre de la coordination civilo-militaire et comme un moyen d’assurer l’accès et la sécurité de l’aide humanitaire. Il ne doit pas déplacer la responsabilité du respect du DIH qui incombe uniquement aux parties au conflit.
➔ Attaque; Population civile; Emblèmes distinctifs (ou protecteurs), signes ou signaux; Devoir des commandants; Mission médicale; Méthodes de guerre; Proportionnalité; Personnes protégées; Biens protégés.
**Pour plus d’information :
Breitegger, Alexander, “The legal framework applicable to insecurity and violence affecting the delivery of healthcare in armed conflicts and other emergencies”, Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 95, no 889, 2013, pp. 83-127: 123-124.
Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, Operational guidance for humanitarian notification systems for deconfliction (HNS4D), Working paper, v. 1.0, mai 2018, disponible sur: https://sites.google.com/dialoguing.org/home/resource-centre/resource-library#h.p_XSgRRYvAuIjY.
Recommended Practices for Effective Humanitarian Civil-Military Coordination of Foreign Military Assets (FMA) in Natural and Man-Made Disasters. Annex C Humanitarian Notification Systems for Deconfliction (HNS4D): Good Practices and Lessons Learned 2018, disponible sur : https://www.unocha.org/sites/unocha/files/180918%20Recommended%20Practices%20in%20Humanitarian%20Civil-Military%20Coordination%20v1.0.pdf
Debarre, Alice, Improving “notification” critical to safe humanitarian work, IPI Global observatory, janvier 2019, disponible sur: https://theglobalobservatory.org/2019/01/improving-notification-critical-safe-humanitarian-work/**
Studer, Meinrad, The ICRC and Civil-Military Relations in Armed Conflict. Geneva: ICRC, 2001. Disponible sur : https://www.icrc.org/en/doc/resources/documents/article/other/57jr5r.htm