Principes humanitaires
Les principes humanitaires sont parmi les plus anciennes références régissant l’action humanitaire tant dans son caractère fondamental que dans son déploiement pratique. Ils établissent quelles sont les conditions acceptables dans lesquelles l’action humanitaire peut être fournie en toute sécurité au profit des populations et des territoires affectés par la violence et les conflits armés.
Les principes humanitaires fondamentaux d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance constituent les quatre principes communs au droit international humanitaire (DIH) et au Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi qu’aux résolutions des Nations unies et d’autres organisations régionales telles que l’Union européenne et l’Union africaine.
Ils ont chacun une dimension juridique, éthique et opérationnelle qu’il ne faut pas dissocier. Ces quatre principes sont les points cardinaux d’une boussole indispensable pour faire face aux dilemmes opérationnels et éthiques de l’action humanitaire. Leur interprétation, leur mise en œuvre contextuelle et leur articulation avec les autres principes nécessitent une compréhension claire des enjeux au-delà de la terminologie convenue.
Le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge se réfère à sept principes fondamentaux : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité.
Le DIH fait référence à l’humanité et à l’impartialité comme impératifs fondamentaux pour les organisations humanitaires, en plus de la neutralité et de l’indépendance et à d’autres principes opérationnels spécifiques applicables à leurs activités humanitaires. Les résolutions des Nations unies relatives aux conflits armés font référence aux quatre principes humanitaires d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance.
Les principes directeurs des Nations unies pour l’aide humanitaire de 1991 font référence à un ensemble plus large de 12 principes généraux qui ont été conçus pour les catastrophes naturelles et les urgences plutôt que pour les situations de conflit armé. Ils reconnaissent que l’aide humanitaire doit être fournie conformément aux principes d’humanité, d’impartialité et de neutralité, mais ne mentionnent pas l’indépendance. Ils font aussi explicitement référence au principe du consentement de l’État à l’aide humanitaire et au respect de la souveraineté de l’État, de son intégrité territoriale et de son unité nationale. L’application de ces derniers principes est limitée par les dispositions du DIH relatives à l’aide humanitaire en cas de conflit armé.
Les principes humanitaires font partie du droit international, notamment du DIH. Concrètement, cela signifie qu’en situation de conflit armé, le principe de nécessité militaire encadrant la conduite des hostilités est limité et reflété par celui d’impératif humanitaire régissant les opérations de secours. Cela se reflète dans les principes opérationnels humanitaires qui découlent du DIH (I).
Les principes humanitaires sont également approuvés par de nombreuses résolutions de l’Organisation des Nations unies. Cependant, dans le contexte des résolutions de l’ONU, les principes humanitaires applicables aux situations de conflit armé restent sous la pression politique du concept de souveraineté des États, ce qui crée une tension entre les principes humanitaires fondamentaux et les principes directeurs, plus restrictifs, de l’ONU pour l’aide humanitaire qui ont été adoptés en 1991 (II).
Le contenu des principes humanitaires a été historiquement élaboré au sein du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge pour encadrer son organisation interne et ses activités conformément au DIH. La définition et la mise en œuvre opérationnelle des principes humanitaires ont été mises sous pression dans de nombreuses situations de conflits armés, alimentant d’importants débats juridiques et éthiques au sein du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et d’autres organisations humanitaires (III).
C’est notamment le cas en ce qui concerne la définition de la manière dont les principes peuvent régir la responsabilité des organisations humanitaires qui sont témoins de crimes de masse et de violations graves du DIH (IV).
I. Les principes humanitaires codifiés par le DIH
Depuis 1949, les principes humanitaires d’humanité et d’impartialité sont une partie formelle et primordiale du DIH, qui est le droit applicable en situation de conflit armé. Ils articulent les concepts de nécessité militaire avec les impératifs humanitaires. Les principes d’humanité et d’impartialité sont complétés par le principe de neutralité, qui est lié au statut de civil protégé accordé par le DIH aux opérations et au personnel de secours humanitaire. Ils constituent également le point d’entrée vers d’autres principes opérationnels du DIH applicables aux opérations de secours en situation de conflit armé.
**Principes opérationnels humanitaires et espace humanitaire*
•Le DIH fait référence aux principes d’humanité et d’impartialité pour définir l’action et les organisations humanitaires. Ce sont les principes que la Cour internationale de justice a également élevés au rang de critères pour qualifier toute action humanitaire dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre le Nicaragua (*Nicaragua c. États-Unis , 1986).
•Les principes d’indépendance et de neutralité sont essentiels pour garantir l’humanité et l’impartialité. Le DIH fournit également des principes qui régissent la manière dont les opérations humanitaires sont menées par des organisations humanitaires impartiales.
•Ces principes humanitaires doivent être mis en œuvre dans les opérations de secours, car c’est le respect de ces principes qui confère aux organisations humanitaires le droit d’être présentes sur le terrain en période de conflit armé, conformément au DIH.
•Le DIH prévoit un droit général d’initiative humanitaire pour les organisations de secours impartiales et humanitaires. Ce droit d’initiative est complété par des droits spécifiques établis en vertu du DIH pour les opérations de secours prévues et spécifiques qui auront lieu en situation de conflit armé. Ces droits visent à garantir que les activités de secours bénéficient aux plus vulnérables plutôt que de soutenir une partie au conflit ou d’alimenter l’économie de guerre. Par conséquent, ils impliquent également le devoir pour les organisations humanitaires de maintenir la nature humanitaire des opérations de secours. Ces droits et responsabilités humanitaires créés par le DIH définissent des normes opérationnelles humanitaires qui sont parfois appelées « espace humanitaire ».
=> Selon le DIH, les organisations humanitaires impartiales ont le droit de :
•offrir des services humanitaires à toutes les parties au conflit sans que ces services soient considérés comme une ingérence dans les affaires nationales de l’État ;
•accéder en toute sécurité et sans entrave aux victimes dans les situations de conflit, en particulier aux blessés et aux malades ; •le droit à une évaluation indépendante des besoins humanitaires des victimes ;
•le droit d’entreprendre des actions de secours lorsque la population civile subit des difficultés excessives en raison d’un manque d’approvisionnements essentiels à sa survie ;
•le devoir de veiller à ce que cette aide soit fournie sans aucune discrimination, à l’exception de celle fondée sur le besoin, et qu’elle atteigne les personnes les plus vulnérables; •le droit de soigner les malades en tout temps et en tout lieu, conformément aux principes de l’éthique médicale.
Les organisations de secours doivent respecter et défendre ces normes opérationnelles dans leurs actions quotidiennes.
Ces normes peuvent être invoquées dans toutes les situations de conflit armé. Elles doivent être mentionnées dans les accords signés entre les organisations humanitaires impartiales et les autorités nationales ou avec d’autres acteurs. Ce faisant, les organismes de secours participent à la consolidation et au renforcement de la coutume internationale de l’action humanitaire. Dans le cas contraire, ils risquent de porter atteinte aux principes du DIH.
Warning
Le respect du principe humanitaire est inséré dans de nombreuses résolutions des Nations unies avec des formulations différentes reflétant les domaines de consensus et de débat des États concernant les principes humanitaires notamment en relation avec le concept de souveraineté des États.
En 1991, la résolution 46/182 de l’AG ONU a adopté les principes directeurs de l’aide humanitaire des Nations unies. Ces principes directeurs s’appliquent à une situation mixte de catastrophe naturelle ou d’origine humaine, d’urgence et de conflit armé. Ce large éventail de situations renforce la référence à la souveraineté de l’État et le consentement à l’égalisation, par le droit international humanitaire, des différences et des responsabilités entre les parties étatiques et non étatiques à un conflit, notamment en ce qui concerne le principe de l’accès humanitaire sûr et sans entrave.
En effet, les principes directeurs de l’ONU dressent une large liste de 12 principes, dont les trois principes humanitaires internationaux communs : d’humanité, de neutralité et d’impartialité.
Cependant, ils font également référence à des principes supplémentaires qui vont bien au-delà des principes humanitaires habituels énumérés par le DIH et par le Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Ils défendent notamment les principes de souveraineté de l’État, d’intégrité territoriale, d’unité nationale et de consentement de l’État. Ces principes reflètent l’héritage international de la Charte des Nations unies en temps de paix, mais ils sont en contradiction avec les dispositions du DIH applicables à l’action humanitaire en situation de conflit armé. Ils font dépendre l’assistance humanitaire à la demande et au consentement par l’État plutôt que des obligations du DIH incombant à chaque partie au conflit à l’égard des personnes et des populations vivant dans les territoires qu’elles contrôlent ou qui leur sont disputés. Elles fragilisent également le statut humanitaire d’assistance aux victimes de conflits armés, qui peut être indûment interprétée comme un crime contre la sécurité, la souveraineté ou le territoire national.
Les résolutions ultérieures de l’ONU n’ont pas complètement clarifié cette question qui reste au centre des tensions politiques entre les États.
Depuis 1991, diverses résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des Nations unies ont officiellement entériné les quatre principes humanitaires applicables aux situations de conflit armé : humanité, neutralité, impartialité et indépendance. Le principe d’indépendance a été ajouté comme quatrième principe en 2004 par la résolution 58/114 de l’AG ONU. L’indépendance a été confirmée comme complémentaire aux principes d’humanité, de neutralité et d’impartialité par le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 1894 (2009) sur la « Protection des civils dans les conflits armés ».
Les résolutions de l’ONU ont également développé le principe de l’accès humanitaire sûr et sans entrave aux victimes de conflits et la référence pertinente au DIH. Cela se reflète notamment dans les résolutions du CS ONU sur la protection des civils 688 (1991), 1265 (1999), 1296 (2000) et 1502 (2003). Le champ d’application de l’accès humanitaire a également été étendu au droit du personnel humanitaire d’évaluer les besoins de manière indépendante et à l’importance d’une assistance fournie en fonction des besoins, sans préjugés ni objectifs politiques, suite à l’adoption de la résolution 1502 (2003) du CS ONU.
Toutefois, la tension entre la souveraineté des États et les principes humanitaires applicables en cas de conflit armé demeure. Cette tension a culminé avec le veto des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU à de nombreuses résolutions sur l’aide humanitaire en Syrie. En 2014, la résolution 2165 du CS ONU a finalement établi un programme d’assistance transfrontalière pour les victimes du conflit armé en Syrie sans avoir obtenu le consentement du gouvernement syrien. Elle reconnaît les limites de la souveraineté des États concernant le droit d’accès de l’aide humanitaire dans les zones contestées liées à la guerre. Le concept de retrait arbitraire du consentement d’un État à une action humanitaire en situation de conflit armé est considéré comme une violation du DIH.
Cette tension continue de se matérialiser dans la formulation de diverses résolutions des Nations unies faisant référence soit aux « principes directeurs de l’action humanitaire », soit aux « principes humanitaires et aux dispositions pertinentes du droit international ». Les États qui préconisent cette dernière formulation cherchent à dissocier l’aide humanitaire de l’accent mis sur la souveraineté et le consentement de l’État.
Le débat diplomatique sur la formulation reste actif entre les États au niveau des Nations unies pour les autres situations de conflit armé. Toutefois, les principes directeurs des Nations unies ont été repoussés et remplacés par une référence aux principes humanitaires dans les récentes résolutions 2556 (2019) du Conseil de sécurité des Nations unies renouvelant le mandat de la MONUSCO en République démocratique du Congo, 2533 (2020) renouvelant le mécanisme transfrontalier en Syrie et 2568 (2021) renouvelant la mission de l’Union africaine en Somalie.
III. Principes humanitaires élaborés par le Mouvement international de la CroixRouge et du CroissantRouge
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a codifié en 1965 sept Principes fondamentaux qui servent de base à son organisation et à ses actions. Il s’agit des principes suivants : humanité, impartialité, neutralité, indépendance, volontariat, unité et universalité.
**Les sept principes fondamentaux du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge*
Humanité
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, né du désir de porter secours sans discrimination aux blessés sur les champs de bataille, s’efforce de prévenir et d’alléger la souffrance humaine partout où elle se manifeste. Il a pour but de protéger la vie et la santé et d’assurer le respect de l’être humain. Elle favorise la compréhension mutuelle, l’amitié, la coopération et une paix durable entre tous les peuples.
Impartialité
Elle ne fait aucune discrimination de nationalité, de race, de croyance religieuse, de classe ou d’opinion politique. Elle s’efforce de soulager les souffrances des individus, en se laissant guider uniquement par leurs besoins, et de donner la priorité aux cas de détresse les plus urgents.
Neutralité
Afin de continuer à jouir de la confiance de tous, le Mouvement ne peut prendre parti dans les hostilités ni, à aucun moment, s’engager dans des controverses d’ordre politique, racial, religieux ou idéologique.
Indépendance
Le Mouvement est indépendant. Les Sociétés nationales, bien qu’auxiliaires des services humanitaires de leurs gouvernements sont soumises aux lois de leurs pays respectifs et doivent toujours conserver leur autonomie afin d’être en mesure d’agir en tout temps conformément aux principes du Mouvement.
Volontariat
Il s’agit d’un Mouvement de secours volontaire qui n’est en aucune façon motivé par le désir de gain.
Unité
Il ne peut y avoir qu’une seule Société de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge dans un même pays. Elle doit être ouverte à tous. Elle doit exercer son action humanitaire sur l’ensemble de son territoire.
Universalité
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, au sein duquel toutes les Sociétés ont un statut égal et partagent les mêmes responsabilités et devoirs d’entraide, est mondial.*
Dans une large mesure, l’action humanitaire moderne a évolué en dehors du Mouvement, et les principes humanitaires ont fait l’objet de nombreux débats critiques et de différentes interprétations visant à améliorer l’efficacité de l’action de secours humanitaire. C’est particulièrement vrai pour le principe de neutralité. Certains acteurs humanitaires ont estimé que l’interprétation stricte de ce principe, combinée au respect d’une confidentialité absolue, était un obstacle à la protection efficace des victimes de conflits.**
Le silence que s’est imposé la Croix-Rouge internationale pendant la Seconde Guerre mondiale est au cœur de la controverse sur ce principe. Une organisation comme Médecins sans Frontières, en refusant de soumettre ses actions de secours à une confidentialité absolue, a développé la notion de « témoignage » de la détresse des victimes comme mesure supplémentaire de protection.
L’action humanitaire moderne repose donc sur quatre grands concepts, à savoir l’humanité, l’indépendance, l’impartialité et la neutralité, qui sont interprétés en fonction de leur efficacité opérationnelle. La neutralité n’est plus un principe absolu de l’action humanitaire mais plutôt un moyen dont la valeur peut être remise en question dans certaines situations.
Le débat autour de la neutralité de l’action humanitaire reflète une question essentielle : existe-t-il un principe de responsabilité auquel les organisations humanitaires doivent se conformer lorsqu’elles sont confrontées à des situations d’extrême violence et de crimes de masse contre les populations ? En 1992, le CICR a mis à jour sa doctrine sur la neutralité en reconnaissant que la dénonciation publique de la violation du DIH par les parties à un conflit ne constituait pas une violation du principe de neutralité.
Le DIH lui-même ne fait référence qu’à deux principes. Les Conventions de Genève exigent que les organisations de secours soient humanitaires et impartiales. Les Conventions établissent également divers principes opérationnels liés aux activités concrètes de secours ou de protection menées par ces organisations.**
**Les principes généraux et opérationnels de l’action humanitaire sont notamment énoncés dans le Code de conduite du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et dans la Charte humanitaire du Projet Sphère.
**Principe d’Humanité
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L’humanité s’identifie et se définit par sa seule intention et son seul but : prévenir et soulager la souffrance humaine partout où elle se trouve ; protéger la vie et la santé et assurer le respect de l’être humain. Pour garantir le caractère humanitaire d’un organisme d’aide ou d’une activité de secours, il faut pouvoir prouver que l’humanité est la seule préoccupation prise en considération. Ce principe implique que chaque organisme de secours doit être libre de tout autre agenda et indépendant de toute contrainte autre qu’humanitaire.
**Principe d’Impartialité
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Les Conventions de Genève utilisent le terme impartial pour définir l’action de secours humanitaire. Ce principe crucial qualifie l’action humanitaire menée sans discrimination négative. Il nous rappelle l’universalité de la souffrance humaine. Personne ne peut être privé de l’assistance dont il a besoin.
.. note:
☞** L’impartialité ne doit pas être confondue avec une neutralité mathématique qui consisterait à apporter une aide égale à chaque partie présente, sous prétexte de ne favoriser personne. L’impartialité exige en réalité que les secours soient apportés en priorité à ceux qui en ont le plus besoin, quelle que soit leur appartenance.
Ce principe, clé de l’aide humanitaire, comporte deux aspects complémentaires :
•La distribution de l’aide et le traitement humain de toutes les victimes doivent être effectués sans aucune distinction défavorable fondée sur des motifs tels que la race, la religion, les opinions politiques ou l’affiliation à l’une ou l’autre des parties à un conflit armé;
•dans la fourniture de l’assistance, y compris l’assistance médicale, la priorité doit être donnée à ceux qui en ont le plus besoin. Ce deuxième principe implique que l’action humanitaire n’est pas fournie sur une base égale mais équitable, en fonction de la vulnérabilité et des besoins spécifiques des individus et des populations affectés. Les acteurs humanitaires sont autorisés à agir de manière discriminatoire, en fonction de l’importance et de l’urgence des besoins. Ce principe d’impartialité et de non-discrimination entre les victimes a été reconnu comme primordial par la Cour Internationale de Justice pour distinguer entre une action humanitaire légitime et une intervention illégale d’un État dans les affaires intérieures d’un autre État ( infra Jurisprudence).
Principe d’Indépendance
L’indépendance est une capacité et un moyen nécessaires pour permettre une véritable mise en œuvre des autres principes tels que ceux d’humanité et d’impartialité. L’action humanitaire doit être indépendante de toute pression politique, financière ou militaire. Sa seule limite, sa seule contrainte, son seul but doit être l’humanité. Les organisations de secours doivent donc être capables de prouver qu’elles sont indépendantes de toute contrainte extérieure et que leurs activités de secours sont uniquement basées sur une réponse impartiale aux besoins. Ce principe reflète le concept clé qui différencie les actions humanitaires menées par les États de celles entreprises par des organisations humanitaires privées impartiales. Toutefois, le caractère privé non lucratif d’une organisation ne suffit pas à prouver son indépendance. Des facteurs tels que le financement global de l’organisation, ses principes fondateurs et la transparence de ses activités doivent également être pris en compte.
Principe de Neutralité
Être neutre signifie ne pas prendre parti dans un conflit, que ce soit directement ou en s’alliant à l’une ou l’autre des parties au conflit. Cette notion est liée à la politique internationale : certains États ont développé le concept de neutralité afin de pouvoir rester en dehors des alliances militaires et des conflits dans lesquels leurs voisins s’engagent. Lorsque l’on étend ce concept aux organisations humanitaires, il doit être abordé et interprété différemment.
**•La neutralité des États obéit à un régime spécifique établi par les lois de la guerre. Un État neutre accepte de ne pas prendre part aux hostilités et de s’abstenir de commettre tout acte hostile ou tout acte susceptible de donner un avantage militaire à l’une des parties au conflit.
•La neutralité humanitaire consiste à faire admettre aux parties au conflit que, par nature, les actions de secours ne sont pas des actes hostiles, ni des contributions de facto aux efforts de guerre de l’un des belligérants. Elle exige aussi évidemment que le personnel humanitaire s’abstienne de toute participation directe à l’hostilité ou de commettre un acte préjudiciable à une partie au conflit. De tels actes pourraient entraîner la perte du statut de protection du DIH et faire d’eux une cible légitime d’attaque.**
Dès son origine, ce principe a permis de mettre les membres des sociétés de secours à l’abri des hostilités. Il s’agit de l’un des Principes fondamentaux du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge qui, pour continuer à jouir de la confiance de toutes les parties, non seulement s’abstient de prendre parti dans les hostilités, mais refuse également de s’engager dans des controverses de nature politique, raciale, religieuse ou idéologique, en tout temps. Depuis les années 1990, la doctrine de la Croix-Rouge en matière de neutralité a évolué, considérant que la dénonciation des violations graves du DIH commises par les différentes parties à un conflit n’était pas une participation aux controverses politiques et ne constituait donc pas une violation de sa neutralité.
Outre les quatre Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel I de 1977, diverses autres conventions internationales abordent la question de la neutralité :
**•la Déclaration de Paris de 1856 concernant le droit maritime ; •la Convention (IV) de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre ;
•la Convention (VIII) de La Haye de 1907 relative à la pose de mines automatiques sous-marines de contact ;
•la Convention de La Haye de 1907 (X) pour l’adaptation à la guerre maritime des principes de la Convention de Genève ;
•la Convention de La Haye de 1907 (XI) relative à certaines restrictions en ce qui concerne l’exercice du droit de capture dans la guerre maritime ; •la Convention de La Haye de 1907 (XIII) concernant les droits et devoirs des puissances neutres dans la guerre maritime ;
•la Déclaration de Londres de 1909 concernant les lois de la guerre navale ;
•le Procès-verbal de Londres de 1936 relatif aux règles de la guerre sous-marine énoncées dans la partie IV du Traité de Londres du 22 avril 1930.**
Le principe de neutralité a fait l’objet d’une grande controverse autour du silence du CICR pendant la Seconde Guerre mondiale. La signification de ce principe a été développée et clarifiée depuis les années 90, à la suite de la guerre en ex-Yougoslavie et du génocide des Tutsis au Rwanda. En effet, agir avec discrétion et en toute confidentialité sans recourir à la dénonciation publique dans certaines circonstances n’implique pas que le CICR soit indifférent à la question ou qu’il ne prenne aucune mesure pour la résoudre. Dans le cadre de son travail, le CICR prend toutes les mesures appropriées pour mettre fin aux violations du DIH ou pour empêcher qu’elles ne se reproduisent, mais il commencera toujours par utiliser une approche de persuasion, de dialogue et de diplomatie humanitaire envers la partie concernée plutôt que de dénoncer publiquement le problème dont il a été témoin. Afin de préserver son acceptation par les différentes parties et son accès aux différentes zones où se trouvent des personnes protégées par le DIH, le CICR veillera à ce que ces démarches restent confidentielles vis-à-vis de la partie adverse, des autres organisations et du grand public. Il ne recourra à la dénonciation publique qu’en dernier ressort, après avoir soigneusement examiné les risques et les opportunités d’une telle démarche. En particulier, l’impact attendu (notamment sur la prévention de nouvelles violations, mais aussi sur la crédibilité et la réputation du CICR) et les risques potentiels pour l’acceptation du CICR, son accès et sa capacité à mener à bien son action humanitaire doivent être soigneusement évalués.
Selon sa doctrine en matière de dénonciation publique, le CICR tiendra compte de quatre conditions avant d’agir publiquement : (i) les violations (torture, bombardements ou bombardements de civils, attaques de camps de réfugiés, attaques d’hôpitaux ou de personnel de la Croix-Rouge/du Croissant-Rouge, etc.) sont majeures et répétées; (ii) les mesures prises confidentiellement n’ont pas permis de faire cesser les violations; (iii) cette publicité est dans l’intérêt des personnes ou des populations affectées ou menacées (c’est-à-dire que la révélation de l’information ne risque pas de causer davantage de dommages aux personnes ou aux populations concernées); (iv) les délégués du CICR ont été informés de l’existence d’une dénonciation publique; (iii) cette publicité est dans l’intérêt des personnes ou des populations affectées ou menacées (c’est-à-dire que la révélation de l’information n’est pas susceptible de causer davantage de dommages aux personnes ou aux populations concernées); (iv) les délégués du CICR ont été témoins des violations de leurs propres yeux, ou l’existence et l’étendue de ces violations ont été établies par des sources fiables et vérifiables (c’est-à-dire en se basant exclusivement sur des faits et non sur des allégations). Par conséquent, le CICR a souligné que la dénonciation publique de graves violations du DIH commises par des parties au conflit ne doit pas être interprétée comme une violation de sa neutralité. Cette même doctrine peut être invoquée par d’autres organisations humanitaires impartiales engagées exclusivement dans l’action humanitaire en faveur des victimes de conflits armés.
•La neutralité n’est plus présentée comme un principe intangible guidant l’action humanitaire mais comme un principe opérationnel. Cela signifie qu’elle n’est respectée que dans la mesure où elle est efficace dans le cadre de l’action de secours. Il a été reconnu que prendre une position publique sur une question n’est pas nécessairement en contradiction avec ce principe. La neutralité n’est pas synonyme d’obligation de silence ou de confidentialité absolue. Il existe différentes variantes en fonction de la situation et du type d’action de secours menée. Cette notion ne s’oppose pas à une communication prudente qui prend en considération l’intérêt général des victimes et qui est respectueuse de la nature sensible de certaines informations.
Le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge a d’ailleurs consacré le fait qu’il dénonce publiquement les violations graves et répétées du DIH, notamment lors du conflit en ex-Yougoslavie. Le DIH, lui-même, établit que de telles dénonciations doivent être adressées aux États et à l’ONU (Art. 89, PAI). Il est évident que l’opinion publique et les médias ont un rôle important à jouer dans cette chaîne de recours.
**——————————————–
- PRINCIPE DE LA RESPONSABILITÉ HUMANITAIRE
——————————————–**
Cet ensemble de principes, en particulier les principes opérationnels, pose la question de la responsabilité des organisations humanitaires en cas de non-respect des principes. La mise en œuvre du DIH ne dépend pas seulement des belligérants. Elle dépend également des droits et des initiatives du CICR et des autres organisations humanitaires impartiales encadrées par le DIH. Il est ainsi impossible d’ignorer la responsabilité de ces organisations en tant qu’acteurs humanitaires engagés dans la négociation et la fourniture de secours aux victimes de conflits armés. Cette responsabilité peut finalement atteindre le seuil de la complicité dans certaines situations où l’assistance ne permet pas de protéger la sécurité et la vie des populations, notamment dans les cas où l’aide est refusée ou détournée par les belligérants ou lorsqu’elle est utilisée pour piéger ou commettre des actes de violence contre les personnes affectées (victimes du conflit armé). Enfin, la responsabilité de ces organisations est engagée lorsqu’un membre de leur personnel est directement témoin de crimes ou d’autres violations graves du DIH. D’autres aspects de cette question sont développés dans les entrées sur**
➔ Droit international humanitaire; Organisation non gouvernementale; Protection; Croix-Rouge, Croissant-Rouge; Secours; Responsabilité; Droit d’accès; Droit d’initiative humanitaire .
Jurisprudence
Dans son arrêt concernant les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre le Nicaragua ( Nicaragua c. États-Unis d’Amérique , fond, arrêt, CIJ Recueil 1986), la Cour internationale de justice a affirmé que
II n’est pas douteux que la fourniture d’une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait
être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au droit international. Les caractéristiques d’une telle aide sont indiquées dans le premier et le second des principes
fondamentaux proclamés par la vingtième conférence internationale de la Croix-Rouge aux termes desquels :
« Née du souci de porter secours sans discrimination aux blessés des champs de bataille, la Croix-Rouge, sous son aspect international et national, s’efforce de prévenir et d’alléger en toutes circonstances les
souffrances des hommes. Elle tend à protéger la vie et la santé ainsi qu’à faire respecter la personne humaine. Elle favorise la compréhen-sion mutuelle, l’amitié, la coopération et une paix durable entre tous les
peuples » et « Elle ne fait aucune distinction de nationalité, de race, de religion, de condition sociale ou d’appartenance politique. Elle s’applique seulement à secourir les individus à la mesure de leur souffrance et
à subvenir par priorité aux détresses les plus urgentes. » (para. 242)
Selon la Cour, pour ne pas avoir le caractère d’une intervention condamnable dans les affaires intérieures d’un autre Etat, non seulement l’ « assistance humanitaire » doit se limiter aux fins consacrées par la pratique de la Croix-Rouge, à savoir « prévenir et alléger les souffrances des hommes » et « protéger la vie et la santé [et] faire respecter la personne humaine » : elle doit aussi, et surtout, être prodiguée sans discrimination à toute personne dans le besoin au Nicaragua, et pas seulement aux contras et à leurs proches. (para. 243)
La Cour conclut que « le motif tiré de la préservation des droits de l’homme au Nicaragua ne peut justifier juridi-quement la conduite : des Etats-Unis et ne s’harmonise pas, en tout état de cause, avec la stratégie judiciaire de 1’Etat défendeur fondée sur le droit de légitime défense collective ». (para. 268).
@ Sites Web:
https://casebook.icrc.org/glossary/fundamental-principles-ihl**
https://www.icrc.org/sites/default/files/topic/file_plus_list/4046-the_fundamental_principles_of_the_international_red_cross_and_red_crescent_movement.pdf
Akande, Dapo et Gillard, Emanuella-Chiara, “Oxford Guidance on the Law Relating to Humanitarian Relief Operations in Situation of Armed Conflict”, Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies et l’Université d’Oxford, 2016, 62 pages.
Blondel, Jean-Luc. “Fundamental Principles of the Red Cross and Red Crescent: Their Origin and Development” Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 31, 283, (Juillet–Août 1991): 349–57.
Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies, OCHA on Message: General Assembly resolution 46/182, March 2012, disponible sur : https://reliefweb.int/report/world/ocha-message-general-assembly-resolution-46182-enar
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Harroff-Tavel, Marion, “Neutrality and Impartiality: The importance of these principles for the International Red Cross and Red Crescent Movement and the difficulties involved in applying them”, Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 29, 273, (Décembre 1989): 536-552.
Henckaerts, Jean-Marie, et Louise Doswald-Beck, eds. Customary International Law. Vol. 1, The Rules. Cambridge: Cambridge University Press, 2005. Kalshoven, Frits, “Impartiality and Neutrality in Humanitarian Law and Practice” Revue internationale de la Croix-Rouge, Vol. 29, 273, (Décembre 1989): 516–35.
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