Zones protégées
Le droit humanitaire prévoit différentes méthodes pour délimiter des zones dans lesquelles une protection spéciale sera apportée aux populations en danger ou dans lesquelles les combats ne peuvent avoir lieu. Il distingue :
- les localités non défendues ;
- les zones et localités sanitaires ;
- les zones et localités sanitaires et de sécurité ;
- les zones neutralisées ;
- les zones démilitarisées.
Chaque concept de droit humanitaire offre des droits et des obligations détaillés, mais aussi une répartition précise des responsabilités en matière de protection des populations regroupées dans ces zones.
Le Conseil de sécurité a ajouté de nouveaux concepts de zones sûres pour protéger les civils : « zones de sécurité » et « zones humanitaires sûres ». Elles ont pour fondement la notion de zones sûres mais elles ne remplissent pas les critères posés par le droit humanitaire. En effet, ces zones sont protégées par la présence de soldats de l’ONU dont les capacités militaires et les responsabilités de protection des populations sont plus symboliques que réelles.
- Le regroupement de populations vulnérables dans des lieux « protégés » est susceptible de créer des dangers supplémentaires pour les individus en les concentrant et en les exposant sans défense aux opérations militaires. La responsabilité juridique et militaire de protection de ces lieux et des personnes doit donc être établie de façon extrêmement précise.
- Les zones de sécurité créées par l’ONU en ex-Yougoslavie en 1993, la zone humanitaire sûre mise en place au Rwanda en 1994 et la zone de protection créée en 1991 au nord de l’Irak pour « protéger » les Kurdes ne répondent pas aux critères fixés par le droit humanitaire. Ces concepts résultent de compromis diplomatiques et militaires élaborés par le Conseil de sécurité de l’ONU dans lesquels la responsabilité de la protection des populations reste floue, et les moyens inadaptés. L’histoire tragique des populations rassemblées dans ces zones oblige à les considérer de façon critique.
- Les organisations de secours impliquées dans de telles situations doivent dans chaque cas vérifier les garanties de protection accordées aux populations et les chaînes de responsabilité et de recours instituées par de telles opérations.
Zones et localités sanitaires
Zones et localités organisées sur le territoire de la partie au conflit ou sur les territoires occupés de manière à mettre à l’abri des effets de la guerre les blessés et les malades des forces armées, ainsi que le personnel sanitaire affecté à cette mission. La première Convention de Genève propose aux États de prévoir ces lieux dès les temps de paix et de signer des accords ad hoc avec l’autre partie au conflit en temps de guerre. La convention propose en annexe un modèle d’accord définissant la création et la protection de ces zones sanitaires. Leur reconnaissance devra faire l’objet d’un accord entre les parties. Elles seront indiquées par des signes distinctifs appropriés. Ces signes sont constitués par des croix rouges, croissants rouges, lions et soleils rouges sur fond blanc apposés à la périphérie et sur les bâtiments (GI art. 23 et annexe I).
Zones et localités sanitaires et de sécurité
La quatrième Convention reprend au profit des civils la notion de zones et localités sanitaires prévue par la première convention au profit des malades et blessés des forces armées. Il s’agit de zones organisées sur le territoire de la partie au conflit ou sur des territoires occupés de manière à mettre à l’abri des effets de la guerre les blessés, les malades, les infirmes, les personnes âgées, les enfants de moins de quinze ans, les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de sept ans, ainsi que les personnes prévues pour les zones et localités sanitaires. Elles peuvent être créées dès le temps de paix mais un accord sera nécessaire entre les parties pour leur reconnaissance en temps de guerre (GIV art. 14 et annexe I). Les puissances protectrices et le Comité international de la Croix-Rouge sont invités par l’article 14 à prêter leurs bons offices pour faciliter l’établissement et la reconnaissance de ces zones et localités sanitaires et de sécurité.
Des bandes obliques rouges sur fond blanc désignent les zones et localités sanitaires et de sécurité (GIV art. 14). Il s’agit d’un signe distinctif établi par la quatrième Convention de Genève dont l’usage abusif ou le non-respect constitue un crime de guerre au titre d’infraction grave (GPI art. 85). Des croix rouges (croissant, lion ou soleil rouge) seront en outre apposées sur les zones uniquement réservées aux blessés et malades (GIV. annexe I, art. 6).
Zones neutralisées
Zones qui peuvent être créées dans les régions où ont lieu des combats et qui sont destinées à mettre à l’abri des hostilités les blessés et les malades militaires et civils, ainsi que les personnes civiles qui ne participent pas aux hostilités et qui ne se livrent à aucun travail de caractère militaire pendant leur séjour dans ces zones. L’initiative de la création peut être prise par les parties au conflit mais aussi par un État neutre ou un organisme humanitaire.
La reconnaissance ainsi que l’identification et la durée des zones neutralisées doivent faire l’objet d’un accord entre les parties, qui détermine également la situation géographique, l’administration, l’approvisionnement et le contrôle de cette zone (GIV art. 15).
Zones démilitarisées
Zones dans lesquelles il est interdit aux parties au conflit de mener des opérations militaires. Les parties au conflit ne peuvent pas non plus utiliser ces zones à des fins liées à la conduite des opérations militaires.
Les zones démilitarisées sont prévues par un accord passé en temps de paix ou après l’ouverture des hostilités. Cet accord doit être exprès. Il peut être verbal ou écrit et être passé soit directement entre les parties au conflit, soit par l’intermédiaire d’une puissance protectrice ou d’une organisation humanitaire impartiale. La partie qui contrôle la zone démilitarisée doit clairement la signaler, dans la mesure du possible, avec des signes acceptés par l’autre partie.
Les conditions pour qu’une zone puissent être qualifiée de « démilitarisée » sont les suivantes (GPI art. 60) :
- tous les combattants, ainsi que les armes et le matériel militaire mobiles, devront avoir été évacués ;
- il ne sera pas fait un usage hostile des installations ou des établissements militaires fixes ;
- les autorités et la population ne commettront pas d’actes d’hostilité ;
- toute activité liée à l’effort militaire devra avoir cessé (GPI art. 60).
Aucune des parties au conflit ne peut unilatéralement révoquer le statut de la zone démilitarisée. Seule exception possible : si l’une des parties au conflit ne respecte pas ces conditions ou si elle utilise la zone à des fins militaires, l’autre partie au conflit n’est plus tenue de respecter ses engagements. La zone perd alors son statut, mais elle continue toutefois de bénéficier des autres dispositions du droit humanitaire (GPI art. 60, 60.6, 60.7).
Il est important de s’arrêter sur les termes de l’accord devant être la base des zones énumérées ci-après. En Irak, par exemple, le Conseil de sécurité des Nations unies a créé une zone démilitarisée le long de la frontière avec le Koweit en accord avec les deux États concernés (S/rés. 687 du 3 avril 1991), ce qui concorde avec les dispositions du droit international humanitaire. Mais d’autres types de zones ont été créés par d’autres États en Irak :
- les États-Unis ont imposé une zone d’exclusion aérienne dans le Nord et dans le Sud couvrant environ 60 % du territoire dans le but de protéger les populations kurde et chiite, interdisant tout survol comme toute activité antiaérienne ;
- une « zone de sécurité » dans le Nord a été imposée par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni pour accueillir les « réfugiés » kurdes.
Ces zones, créées sur la base de la résolution 688 du Conseil de sécurité qui condamne la « répression de la population civile irakienne (notamment) dans les zones de peuplement kurde » (S/rés. 688 du 5 avril 1991), ne sont pas reconnues par l’Irak et par conséquent elles ne remplissent pas les critères juridiques posés par les Conventions de Genève et leurs Protocoles. Elles ne permettent donc pas de préciser les responsabilités de chacun dans la protection des populations.
Zones de sécurité
C’est le vocable donné aux zones de protection créées par l’ONU en Bosnie-Herzégovine. Créé à l’origine pour Srebrenica et ses environs par la résolution 819 du 16 avril 1993 (S/rés. 819), le concept de zones de sécurité ( safe areas ) a ensuite été étendu à Tuzla, Zepa, Bihac, Gorazde et Sarajevo par la résolution 824 du 6 mai 1993 (S/rés. 824). Elles consistaient, à des fins humanitaires, en l’interdiction de toute activité militaire à l’intérieur et autour desdites zones et le déploiement d’éléments de la FORPRONU. Ces deux résolutions ont été prises sur la base du chapitre VII de la Charte, ce qui leur confère un caractère obligatoire. Elles n’ont pas fait l’objet d’un accord ad hoc entre les deux parties au conflit. En outre, dans sa résolution 836 du 4 juin 1993 (S/rés. 836) adoptée elle aussi sur la base du chapitre VII de la Charte, le Conseil de sécurité des Nations unies autorise l’emploi de la force par la FORPRONU pour dissuader les attaques contre les zones de sécurité. Cet ensemble de textes de droit et de moyens militaires n’a pas suffi à imposer le respect de ces zones aux parties au conflit. Au moment de la prise de Srebrenica en juillet 1995 par l’armée des Serbes de Bosnie, une grande partie de la population a été massacrée. Plus de 7 000 personnes sont portées disparues. De leur côté, les soldats des Nations unies qui avaient mission de protéger cette zone n’ont pas recouru à la force, comme leur mandat les y autorisait, pour protéger la population. Ce nouveau concept comporte un défaut majeur au stade actuel, celui de diluer la responsabilité de protection des populations.
Zone humanitaire sûre
En 1994, le Conseil de sécurité a élargi le mandat de la mission d’assistance des Nations unies pour le Rwanda, la MINUAR (résolution 912 du 21 avril 1994), pour lui permettre d’établir et de maintenir des zones humanitaires sûres. Il a été aussi admis que la MINUAR pouvait utiliser la force pour protéger la population en danger, le personnel onusien et d’autres humanitaires, ou les moyens de transport et de distribution des secours (S/rés. 918 du 17 mai 1994).
Mais au Rwanda, la seule « zone humanitaire sûre » créée ne l’a pas été par la MINUAR. L’opération Turquoise a été lancée le 3 juillet 1994, à l’initiative de la France avec le soutien du Conseil de sécurité de l’ONU. Elle s’est déployée dans la partie sud-ouest du Rwanda, délimitée par les districts de Cyangugu, Gikongoro et le sud de Kibuye. La création de cette zone s’est appuyée sur la résolution 929 du Conseil de sécurité (22 juin 1994), qui autorise une intervention armée sous commandement et contrôle nationaux dans le cadre du chapitre VII afin de contribuernotamment « à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger » (S/rés. 929). Après le départ de l’armée française remplacée par des soldats de l’ONU ayant un mandat différent, la population est restée regroupée dans ces zones et a été l’objet en 1995 autour de Kibeho, d’attaques et de massacres par l’armée rwandaise. 6 000 à 8 000 d’entre eux ont disparu. Dans ce cas encore, les responsabilités de la force des Nations unies dans la protection de la population et le contenu de cette protection n’étaient pas suffisamment précises pour empêcher les massacres.
Maintien de la paix ▸ Ordre public ▸ Sécurité collective ▸ Protection
Pour en savoir plus
Bugnion F., « Zones et localités sanitaires », Le Comité international de la Croix-Rouge et la protection des victimes de la guerre , CICR, Genève, 1994, p. 548-555.
Oswald B.M., « La création et le contrôle de zones protégées lors des opérations de paix des Nations unies », Revue internationale de la Croix-Rouge , décembre 2001, n° 844, p. 1013-1035.
Sandoz Y., « Localités et zones sous protection spéciale », CICR, Quatre études du droit international humanitaire, Institut Henri-Dunant, Genève, 1986, p. 299-326.
Torelli M., « Les zones de sécurité », Revue générale de droit international public , 1995, p. 787-847.