Bombardement
Le terme bombardement est utilisé pour définir une attaque aérienne ou navale sur un objectif militaire. Il s’agit d’une méthode de guerre acceptée et réglementée par le droit international humanitaire (DIH).
Les règles du DIH limitant le recours au bombardement sont clairement énumérées à l’article 51(5)(a) du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 (API), qui développe des dispositions antérieures des Conventions de Genève (GCI, art. 50, GCII ; art. 51, GCIII ; art. 130 et GCIV, art. 147) et du Règlement de La Haye de 1907 (voir les articles 25 à 27 de la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre). 25 à 27 de la Convention (IV) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre). Ces dispositions prévoient que “les destructions étendues […] non justifiées par des nécessités militaires et exécutées de façon illicite et arbitraire” constituent une infraction grave aux Conventions.
Ces règles sont considérées comme faisant partie du DIH coutumier (DIHC), qui s’applique de la même manière aux conflits armés internationaux et non internationaux, même pour les pays qui n’ont pas ratifié les deux protocoles additionnels de 1977 aux quatre conventions de Genève.
Le DIH interdit les bombardements directs et les attaques contre les civils et les autres personnes et objets protégés énumérés dans le droit international humanitaire, tels que :
- la population civile en tant que telle (API, art. 51(2) ; APII, art. 13(2) et CIHL, règles 6 et 10) ;
- les unités médicales (GCI, art. 19 ; GCII, art. 23 ; GCIV, art. 18 ; API, art. 12 et APII, art. 11 et CIHL, règles 25, 28 à 30) ;
- les objets culturels et les lieux de culte (API, art. 53 et APII, art. 13) ;
- les ouvrages et installations contenant des forces dangereuses (API, art. 56 ; APII, art. 15 ; et CIHL, règle 42) ;
- les localités non défendues et les zones démilitarisées (CGIV, art. 14 et 15 ; API, art. 59 et 60 et CIHL, règles 35 à 37).
Pour la liste complète des personnes et des biens protégés contre les attaques délibérées par le DIH, voir
➔ Attaque ▸ Objectif militaire ▸ Biens protégés ▸ Personnes protégées
Le droit international humanitaire interdit également les bombardements et les attaques sans discrimination parce qu’ils violent des principes fondamentaux du DIH, tels que le principe de distinction entre civils et combattants, le principe de proportionnalité entre l’avantage militaire et les pertes civiles, et le principe de précaution visant à réduire au minimum les pertes civiles.
Le DIH donne la définition précise suivante de ce qui constitue un bombardement ou une attaque sans discrimination :
- celles qui ne sont pas dirigées contre un objectif militaire spécifique ;
- celles qui emploient une méthode ou des moyens de combat qui ne peuvent être dirigés contre un objectif militaire spécifique ; ou
- celles qui emploient une méthode ou des moyens de combat dont les effets ne peuvent être limités comme il se doit ;et par conséquent, dans chacun de ces cas, sont de nature à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil. (API, art. 51(4) et CIHL, règles 11 et 12).
Les types d’attaques suivants, entre autres, sont considérés comme aveugles et interdits :
- une attaque par bombardement, par quelque méthode ou moyen que ce soit, qui traite comme un objectif militaire unique un certain nombre d’objectifs militaires clairement séparés et distincts situés dans une ville, un village ou une autre zone contenant une concentration similaire de personnes civiles ou de biens de caractère civil (API, art. 51(5) et CIHL, règle 13) ; et
- une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou toute combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. (API, article 51(5) et CIHL, règle 14).
En outre, ceux qui planifient des bombardements et des attaques contre des objectifs militaires légitimes sont tenus de prendre des précautions pour s’assurer qu’ils épargnent effectivement la population civile et les biens de caractère civil. Ces précautions comprennent cinq obligations distinctes pour ceux qui planifient et exécutent le bombardement et l’attaque, prévues à l’article 57 de l’API et, dans des termes assez similaires, dans les règles 15 à 21 du DIH.
- Ils doivent faire tout ce qui est possible pour vérifier que la cible qu’ils attaquent n’est pas constituée de civils et/ou de biens de caractère civil, ou de biens faisant l’objet d’une protection spéciale, comme les hôpitaux, par exemple, et que la cible est un objectif militaire légitime (conformément à la définition du DIH fournie à l’article 52, paragraphe 2, de l’API). En cas de doute sur la nature civile ou militaire de la cible, celle-ci sera présumée civile (API, art. 50(1) et 52(3)) ;
- Ils doivent prendre toutes les précautions possibles dans le choix des moyens et des méthodes d’attaque pour éviter, et en tout cas réduire au minimum, les pertes en vies humaines dans la population civile, les blessures aux personnes civiles et les dommages aux biens de caractère civil ;
- Ils doivent s’abstenir de décider de lancer une attaque dont on peut attendre qu’elle cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ;
- Ils doivent cesser ou suspendre ce bombardement ou cette attaque s’il apparaît que l’objectif n’est pas militaire ou qu’il fait l’objet d’une protection spécifique en vertu du DIH, ou que l’on peut s’attendre à ce que l’attaque cause incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles, des dommages aux biens de caractère civil, ou une combinaison de ces pertes et dommages, qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ;
- Ils doivent donner un avertissement préalable effectif en cas de bombardements ou d’attaques susceptibles d’affecter la population civile, à moins que les circonstances ne le rendent impossible.
S’ils ont le choix entre plusieurs objectifs militaires pour obtenir un avantage militaire similaire, ils doivent choisir celui qui est susceptible de mettre le moins en danger la vie des civils et les biens de caractère civil en cas d’attaque.
Ces diverses interdictions et règles soulèvent de nombreuses questions d’interprétation et d’application dans des situations concrètes de conflit armé. La jurisprudence pertinente des tribunaux internationaux est examinée plus en détail dans les chapitres suivants
➔ Attaque ▸ Devoir des commandants ▸ Nécessité militaire ▸ Objectif militaire ▸ Proportionnalité
Outre ces obligations relatives à l’emploi des forces armées, le DIH rappelle les obligations des parties à un conflit agissant en tant que puissance détentrice. Elles doivent veiller à ce que les personnes dont elles ont la garde soient protégées des effets des hostilités. Par exemple, les camps de prisonniers de guerre et les lieux d’internement doivent disposer d’abris contre les bombardements aériens et autres dangers de la guerre (CGII, art. 23 ; CGIV, art. 84 et 88 et CIHL, règle 121).
Le Statut de la Cour pénale internationale (CPI), adopté à Rome le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1er juillet 2002, réaffirme que de telles attaques constituent des crimes de guerre lorsqu’elles sont commises dans le cadre de conflits armés internationaux ou non internationaux. Il convient toutefois de noter que le Statut de Rome ne fait référence explicitement au mot “bombardement” que dans le cadre de sa définition des crimes applicables aux conflits armés internationaux et non à ceux applicables aux conflits armés non internationaux pour lesquels il utilise le terme d’attaques (art. 8(2)(b)(v) du Statut de Rome).
Le Statut de la CPI stipule également que, dans certaines circonstances, ces bombardements aveugles peuvent conduire à la commission de crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont commis dans le cadre d’un conflit armé international ou non international. En effet, la destruction généralisée ou systématique de biens de caractère civil (y compris les habitations) peut également déclencher les crimes de déportation ou de transfert forcé de population (article 7(2)(d) du Statut de Rome). 7(2)(d) du Statut de Rome) s’il est démontré qu’ « un ou plusieurs actes accomplis par l’auteur ont eu pour effet de déporter ou de transférer de force la victime » ( Le Procureur c. William Samoei Ruto, Henry Kiprono Kosgey et Joshua Arap Sang , Affaire no. ICC-01/09-01/11, Décision sur la confirmation des charges , 23 janvier 2012, par. 245). En outre, la privation intentionnelle et grave du droit fondamental au logement, en violation du droit international, par le biais du déplacement (ou du transfert) forcé d’une population, peut également satisfaire aux critères de commission du crime de persécution énoncés à l’article 7(2)(g) du Statut de Rome (voir également CIHL, règle 129).
Avec la multiplication des conflits armés en zone urbaine, la destruction de biens civils dans le cadre d’un conflit armé est en augmentation. Les bombardements systématiques ou généralisés d’habitations, de biens civils et d’infrastructures sont strictement interdits par le DIH, le droit pénal international et le droit des droits humains. Dans son rapport de juillet 2022, le rapporteur spécial des Nations unies sur le logement convenable a appelé à la reconnaissance de ces violations graves du droit international, qui ont été commises dans un certain nombre de pays touchés par des conflits dans diverses régions du monde, comme un crime distinct en vertu du droit pénal international, qu’il a qualifié de “domicide”. Le crime de domicide ferait référence à la destruction délibérée des structures physiques des habitations et des infrastructures de base de manière à les rendre inhabitables, mais aussi à la violation systématique du droit au logement en violation du droit international. Le rapporteur spécial a souligné que la destruction d’habitations dans les conflits violents et armés va au-delà des simples dommages collatéraux et qu’elle n’est pas seulement systémique mais systématique. Par conséquent, il est nécessaire d’interdire et de punir systématiquement la destruction des maisons. Se référant aux tactiques utilisées pendant l’Holocauste et les guerres en Bosnie-Herzégovine, ainsi qu’au Rwanda, le rapporteur spécial a expliqué comment le domicide et le génocide sont inextricablement liés lorsque la destruction des maisons, par exemple par des bombardements, est utilisée pour provoquer la destruction physique du groupe victime. Le crime de domicide constitue une violation des droits humains en soi et peut être un processus de collaboration avec d’autres crimes tels que le génocide.
➔ Arme ▸ Attaque ▸ Bien protégés ▸ Crime de guerre/crime contre l’humanité ▸ Déplacement de population ▸ Déportation ▸ Devoir des commandants ▸ Génocide - ; Guerre ▸ Méthodes (et moyens) de guerre ▸ Nécessité militaire ▸ Objectif militaire ▸ Persécution ▸ Personnes protégées ▸ Proportionnalité
Pour en savoir plus
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