Internement
En période de conflit armé international, les mesures d’internement peuvent frapper des personnes civiles ou des prisonniers de guerre. On distingue l’internement de la détention par le fait que les décisions d’internement sont prises par des autorités administratives ou militaires, alors que les décisions de détention relèvent en principe d’autorités judiciaires. Dans les conflits armés internationaux, l’internement des combattants obéit aux règles précises et détaillées par le statut de prisonniers de guerre (GIII art. 21, 22, 30, 31, 72). Dans ces conflits, des garanties spécifiques sont également prévues pour les personnes arrêtées, détenues ouinternées pour des motifs en relation avec le conflit (GPI art. 75.6). L’internement des civils est réglementé par des règles spécifiques ( infra ).
▸ Détention ▹ Garanties judiciaires ▹ Prisonnier de guerre
- Dans les conflits armés non internationaux, le droit humanitaire ne prévoit pas explicitement de mesures d’internement. Il ne prévoit pas non plus de statut de combattant pour les membres de groupes armés non étatiques opposés aux forces armées officielles. Le Protocole additionnel II de 1977 utilise le terme de « personnes détenues pour des motifs en relation avec le conflit » pour désigner et protéger les personnes ayant pris part aux hostilités de façon isolée ou au sein de groupes armés non étatiques. Ce terme recouvre des situations assimilables aux deux catégories traditionnelles de détention ou d’internement (GPII art. 4 et 5). Le Protocole additionnel II prévoit également des garanties judiciaires au profit de ces personnes (GPII art. 6).
▸ Détention ▹ Garanties judiciaires ▹ Groupes armés non étatiques ▹ Population civile
Les règles relatives à l’internement présentées ci-dessous sont destinées aux situations d’internement de personnes civiles dans les conflits armés internationaux. Elles peuvent toujours être utilisées comme référence dans des situations analogues pour cadrer les actions de secours car elles sont particulièrement détaillées. Ces règles prennent effet chaque fois que des civils sont privés de leur liberté de mouvement par des autorités militaires ou administratives et dépendant pour leur survie des secours extérieurs qui sont délivrés ou autorisés par ces autorités.
Lieux d’internement
Ils devront être situés à l’écart des dangers de la guerre et disposer de systèmes d’identification et d’abri en cas d’attaque (GIV art. 83, 84, 88), être conformes à des normes précises de logement et d’hygiène. Les locaux devront être à l’abri de l’humidité, suffisamment chauffés et éclairés. Les internés disposeront de matériel de couchage convenable et adapté compte tenu du climat, de l’âge, du sexe et de l’état de santé des internés. Ils disposeront, jour et nuit, d’installations sanitaires conformes aux exigences d’hygiène. Il leur sera fourni l’eau et le savon et le temps nécessaire leur sera accordé pour leurs soins d’hygiène et les travaux de nettoyage (GIV art. 85).
Alimentation et habillement
La ration alimentaire quotidienne des internés sera suffisante en quantité, qualité et variée, pour leur assurer un équilibre normal de santé et pour empêcher les troubles de carence. Il sera tenu compte du régime auquel les internés sont habitués (GIV art. 89). Les internés doivent bénéficier de vêtements adaptés au climat et de linge de rechange. Les travailleurs doivent recevoir une tenue de travail, y compris les vêtements de protection appropriés. La puissance détentrice ne peut pas apposer aux vêtements de marque extérieure qui ait un caractère infamant ou prête au ridicule (GIV art. 90).
Hygiène et soins médicaux
Chaque lieu d’internement doit posséder une infirmerie placée sous l’autorité d’un médecin qualifié qui doit proposer des consultations quotidiennes. Les internés seront traités de préférence par un personnel médical de leur nationalité. Ils ne pourront pas être empêchés de se présenter aux autorités médicales pour être examinés.Le traitement et la fourniture de tout appareil nécessaire au maintien en bonne santé des internés leur seront accordés gratuitement (lunettes, prothèses dentaires…). Les autorités médicales doivent, à la demande, fournir un rapport médical officiel ou un certificat présentant la nature de la maladie ou de la blessure ainsi que la durée et le type de traitement donné, pour chaque interné se trouvant sous traitement.
En plus de l’examen médical volontaire, quand la nécessité s’en fait sentir, des inspections médicales auront lieu au moins une fois par mois pour contrôler l’état général de santé, de nutrition, de propreté et pour dépister les maladies contagieuses. Elles comporteront notamment le contrôle du poids de chaque interné (GIV art. 91 et 92).
Religion, activités intellectuelles et physiques
Les internés doivent pouvoir pratiquer leur religion. Les ministres du culte pourront leur rendre visite (GIV art. 93). Les internés doivent pouvoir se livrer à des exercices physiques comme à des activités éducatives ou intellectuelles. Des espaces libres suffisants seront réservés. Des espaces spéciaux seront réservés aux enfants et adolescents (GIV art. 94). La puissance détentrice pourra utiliser les internés comme travailleurs, s’ils le désirent, en dehors des travaux directement liés à la vie des internés. Ces travaux ne devront être ni dangereux ni humiliants ou dégradants. Ils seront rémunérés et couverts par les règles élémentaires de droit du travail (GIV art. 95 et 96).
Propriété personnelle et ressources financières
Les internés seront autorisés à conserver leurs objets et effets d’usage personnel, ainsi que les pièces d’identité. Un reçu devra leur être donné pour tout objet remis à l’administration du camp (GIV art. 97).
Les internés recevront régulièrement des allocations pour pouvoir acheter des denrées et objets tels que le tabac et les articles de toilette. Ils peuvent également recevoir des subsides de la puissance dont ils sont ressortissants, des puissances protectrices, de tout organisme qui pourrait leur venir en aide, ou de leurs familles. Ils doivent pouvoir aussi envoyer des subsides à leurs familles et aux personnes qui dépendent économiquement d’eux (GIV art. 98).
Administration et discipline
Tout lieu d’internement sera placé sous l’autorité d’un officier ou d’un fonctionnaire responsable. Il disposera du texte de la quatrième Convention de Genève dans sa langue. Les règlements, ordres et avis relatifs à la vie des internés devront leur être communiqués et affichés à l’intérieur des lieux d’internement dans une langue qu’ils comprennent. Dans chaque lieu d’internement, les internés éliront les membres d’un comité chargé de les représenter auprès de l’administration et auprès des organismes qui leur viendraient en aide, tels que le CICR ou autre (GIV art. 99 à 104).
Relations avec l’extérieur
Chaque interné pourra, dans la semaine qui suit son internement, prévenir sa famille ainsi que l’Agence centrale de recherches de la Croix-Rouge et pourra envoyer et recevoir des lettres et des cartes ainsi que des paquets individuels ou collectifs contenant des denrées alimentaires, des vêtements, des médicaments, des livres et des objets religieux, d’étude ou de loisir. Ces envois de secours seront exempts de douane et d’affranchissement. Ils pourront être transportés par le CICR ou tout autre organisme agréé par les parties au conflit. La censure de la correspondance devra être faite dans les plus brefs délais. La distribution des lettres et des colis ne pourra pas être retardée sous prétexte de difficultés de censure. Les internés pourront également recevoir à intervalles réguliers la visite de leurs proches (GIV art. 105 à 116).
Sanctions pénales et disciplinaires
La législation en vigueur sur le territoire où ils se trouvent continue de s’appliquer aux internés qui commettent des infractions pendant leur internement. Les tribunaux prendront en considération le fait que le prévenu n’est pas un ressortissant de la puissance détentrice. Ils pourront atténuer la peine. Les peines disciplinaires ne seront ni inhumaines ni brutales ou dangereuses pour la santé des internés. Les évasions ne sont passibles que de peines disciplinaires […]. Les peines disciplinaires ne peuvent pas être effectuées dans un établissement pénitentiaire. Les locaux où elles seront subies sont conformes aux exigences de l’hygiène, et doivent disposer de lieux de couchage. Les internés punis disciplinairement auront la faculté de prendre chaque jour de l’exercice et d’être en plein air pendant deux heures. Ils pourront se présenter à la visite médicale quotidienne. Ils pourront lire et écrire (GIV art. 117 à 126).
Transfert des internés
Le transfert se fera toujours avec humanité. Il se fera en règle générale par chemin de fer ou autres moyens de transport dans des conditions au moins égales à celles dont bénéficient les troupes de la puissance détentrice dans leurs déplacements (GIV art. 127 et 128).
Décès
Les internés pourront remettre leur testament aux autorités responsables. Le décès sera constaté par un médecin. Un certificat exposant les causes du décès et les conditions dans lesquelles il s’est produit sera établi. Ils seront enterrés (ou incinérés selon les rites de leur religion ou leur demande expresse) honorablement si possible selon leur rite. Tout décès suspect sera suivi immédiatement d’une enquête par la puissance détentrice (GIV art. 129 à 131).
Libération, rapatriement, hospitalisation en pays neutre
Toute personne internée sera libérée par la puissance détentrice dès que les causes qui ont motivé son internement n’existeront plus (GIV art. 132 à 135).
Bureaux et Agence centrale de renseignement
La puissance détentrice fournira toutes les informations sur les personnes internées à l’Agence centrale de recherches (GIV art. 136 à 141).
Jurisprudence
Les tribunaux pénaux internationaux ont dû se prononcer sur la légalité de la détention de civils pendant les conflits. Confronté à la question des camps de détention de civils dans le conflit yougoslave, le TPIY a reconnu qu’il est incontestable que la détention de civils peut faire partie des mesures de contrôle de sécurité que les parties à un conflit ont le droit de prendre en application des article 27 de la quatrième Convention de Genève : affaire Celebici, décision de la première Chambre du TPIY du 16 novembre 1998, § 569. Dans cette affaire, les juges distinguent entre les restrictions à la liberté des civils qui sont permises au titre des articles 5 et 27 de la quatrième Convention de Genève. L’article 5 couvre les personnes qui sont soupçonnées de se livrer à une activité préjudiciable à la sécurité de l’État. L’article 27 concerne de façon plus large la possibilité pour une partie en conflit de prendre des mesures de contrôle ou de sécurité qui sont nécessaires du fait de la guerre. Les juges rappellent cependant que l’internement n’est autorisé que s’il est absolument nécessaire et énoncent des critères stricts d’interprétation des notions de sécurité et de nécessité (§ 576-578). Les juges affirment également que même si l’internement de civils est justifié sur la base des critères prévu par les articles 5, 27 ou 42 de la quatrième Convention de Genève, les personnes détenues doivent se voir accorder certains droits fondamentaux en matière de procédure, prévus par l’article 43 de la quatrième Convention de Genève. Ces garanties ont trait au droit de faire appel de la décision d’internement et de bénéficier de la protection et des visites du Comité international de la Croix-Rouge (§ 579). La Chambre d’appel a confirmé cette analyse dans sa décision sur la même affaire, du 20 février 2001. Elle a estimé que la détention de civils contre leur gré, lorsque la sécurité de la puissance détentrice ne l’exige pas est illégale. Elle précise également qu’un internement licite à l’origine devient clairement illégal si la partie détentrice ne respecte pas les garanties procédurales fondamentales reconnues aux personnes détenues et ne crée pas de tribunal ou de collège administratif compétent pour examiner les motifs de la détention, ainsi que l’exige l’article 43 de la quatrième Convention de Genève (§ 320).
Concernant les conditions de détention des civils dans les camps, les juges du tribunal ont établi la responsabilité pénale des personnes qui assurent en fait ou en droit la direction des camps de détention. Dans l’affaire Celebici du 16 novembre 1998, la Chambre de première instance du TPIY a constaté que les détenus du camp « étaient confrontés à des conditions de vie telles qu’ils étaient constamment en proie à l’angoisse et à l’appréhension de violences physiques. Les actes de cruauté et de violence qui y étaient fréquemment commis, aggravés par leur caractère imprévisible et par les menaces proférées par les gardiens, faisaient subir aux détenus des pressions psychologiques intenses engendrant un climat que l’on peut effectivement qualifier de “terreur” ». Les juges ont établi que Mucic « [avait] contribué à maintenir les conditions inhumaines qui prévalaient dans le camp ». La Chambre d’appel du TPIY a décidé le 20 février 2001 que Music était responsable de ces crimes car il était commandant de fait du camp de Celebici (§ 214). Les juges estiment que pour trancher la question de la responsabilité il faut s’attacher à l’exercice effectif du pouvoir et non aux titres officiels (§ 197).
Consulter aussi
▸ Détention ▹ Prisonnier de guerre ▹ Agence centrale de recherches (ACR) ▹ Garanties judiciaires ▹ Sécurité ▹ Mission médicale
Pour en savoir plus
Bugnion F., « La protection des prisonniers de guerre et des détenus civils », Le Comité international de la Croix-Rouge et la protection des victimes de la guerre , CICR, Genève, 1994, p. 623-822.
Pelic J., « Procedural principles and safeguards for internment/administrative detention in armed conflict and other situations of violence » , Revue internationale de la Croix-Rouge, n° 858, juin 2005, p. 375-391.