Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Mission médicale

Il s’agit de l’ensemble du dispositif et des activités sanitaires et médicaaux destinés à la population civile, ainsi qu’aux malades et blessés en période de conflit. Elle bénéficie d’un régime de protection particulier dans le cadre du droit humanitaire. La protection et les soins qui doivent être apportés aux malades et aux blessés constituent la première étape du traitement humain des individus en temps de guerre.

Historiquement, il s’agit également d’une des activités les plus anciennes prévues par le droit humanitaire. C’est pour réglementer le sort et les soins des blessés et morts laissés sur les champs de bataille qu’Henri Dunant a créé le premier Comité de la Croix-Rouge et rédigé la première Convention de Genève en 1864.

Les deux premières Conventions de Genève sont relatives à la protection des blessés, malades et naufragés des forces armées en campagne ou sur mer. Cette protection spéciale prévue pour les personnes qui ne participent plus aux combats du fait de leur maladie ou de leur blessure s’est ensuite étendue aux blessés et malades civils dans la quatrième Convention de Genève de 1949.

Les deux Protocoles additionnels de 1977 ont unifié la protection prévue par les Conventions de Genève pour les blessés et malades, le personnel sanitaire, les unités sanitaires, les moyens de transport sanitaire, le matériel sanitaire civil ou appartenant aux forces armées. Ils ont regroupé ces dispositions sous le titre de « mission médicale » (GIV art. 56 et 57 ; GPI art. 8 à 31 ; GPII art. 7 à 12). Ces dispositions concernent à la fois les conflits armés internationaux et non internationaux. Elles sont aujourd’hui largement reconnues comme des règles coutumières obligatoires qui s’imposent à toutes les parties aux conflits internationaux et non internationaux, y compris aux groupes armés non étatiques et aux parties qui n’ont pas signé les conventions ou protocoles pertinents.

Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre les bâtiments, le matériel, les unités et moyens de transport sanitaires, et le personnel utilisant, conformément au droit international, les signes distinctifs des Conventions de Genève est considéré comme un crime de guerre par le statut de la Cour pénale internationale dans les conflits internationaux et non internationaux (art. 8.2.b.xxiv du statut de Rome). Il s’agit également d’une infraction grave aux Conventions de Genève réprimé au titre de la compétence universelle si elle est commise dans un conflit armé international.

Blessés et maladesServices sanitairesPersonnel sanitaireDéontologie médicaleMauvais traitements

  • Blessé ou malade, le militaire ne peut plus participer aux combats et il est exposé aux vengeances et aux mauvais traitements. Il a perdu son caractère de menace. Il ne peut plus être considéré comme un adversaire. Il est protégé comme toutes les personnes qui ne participent pas aux hostilités et doit être traité avec humanité (GI-IV art. 3).
  • Blessés ou malades dans une période de conflit, les civils sont incapables de fuir, d’assurer leur propre protection ou de pourvoir à leurs besoins. Ils sont vulnérables et menacés par leur maladie. Ils doivent bénéficier d’une protection renforcée contre les effets des combats et du droit à être soigné.

Les principes généraux de protection de la mission médicale sont les suivants :

Assurer la protection des blessés et malades en toutes circonstances

La protection des malades et des blessés doit être assurée dans toutes les situations. Dans le droit humanitaire, les blessés et malades constituent une catégorie à part de personnes protégées dans laquelle la distinction entre combattant et civil est abolie (GI-GIV art. 3 commun ; GPI arts. 10 et 11 ; GPII art. 7).

Cette protection est énoncée dans l’article 3 commun des quatre conventions qui constitue le minimum de droit applicable en tout temps, qu’il s’agisse de conflit armé international, non international ou même de tensions internes dans un pays. Cet article est considéré comme contenant les garanties minimales coutumières applicables en tout temps à toute personne sans possibilité de discrimination en fonction du statut de la personne concernée.

  • Les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris celles qui ont dû déposer les armes du fait de blessure ou de maladie, seront en toutes circonstances traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable fondée sur la race, la couleur, la religion ou la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.
  • Les blessés et les malades seront recueillis et soignés. Un organisme impartial, tel que le Comité international de la Croix-Rouge, pourra offrir ses services aux parties en conflit (GI-IV art. 3).
  • Ces dispositions minimales sont complétées par les deux protocoles additionnels qui précisent que « tous les blessés, les malades et les naufragés, qu’ils aient ou non pris part au conflit armé, seront respectés et protégés. Ils seront en toutes circonstances, traités avec humanité et recevront, dans toute la mesure du possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne sera faite entre eux » (GPI art. 10 ; GPII art. 7).

Blessés et malades

Assurer le fonctionnement des services sanitaires

La protection des blessés et malades se réalise concrètement dans les garanties qui sont apportées par le droit pour assurer le fonctionnement des services sanitaires en période de conflit. Le droit humanitaire accorde une protection spéciale aux unités sanitaires, au personnel sanitaire et aux moyens de transport sanitaire et garantit l’approvisionnement en médicaments et le libre passage des secours médicaux :

  • le personnel et les installations sanitaires ne peuvent pas faire l’objet d’attaques ;
  • les installations sanitaires peuvent porter le signe protecteur de la Croix-Rouge ;
  • le personnel et le matériel sanitaires sont protégés contre les réquisitions ;
  • l’approvisionnement en médicaments doit toujours être assuré.

Services sanitairesPersonnel sanitaireRéquisitionSignes distinctifs-Signes protecteurs

Rechercher et soigner les blessés et malades

Pour permettre que les blessés et malades soient recherchés, recueillis et soignés, le droit humanitaire offre un statut particulier de protection au personnel et auxmoyens de transport sanitaires. Il leur permet de porter un signe distinctif et garantit leur liberté de déplacement :

  • le personnel sanitaire sera toujours respecté et protégé ;
  • il ne pourra être réquisitionné ;
  • il pourra entreprendre des activités de recherche des malades et blessés et les parties au conflit faciliteront ses déplacements. Elles ne pourront les limiter que de façon temporaire pour d’impérieuses nécessités militaires ;
  • le personnel sanitaire pourra toujours se rendre dans les endroits où ses services sont nécessaires ;
  • il ne pourra être contraint d’accomplir son travail au profit de personnes en particulier ;
  • aucune discrimination autre que fondée sur des critères médicaux ne peut être apportée dans les soins aux malades et blessés ;
  • il ne pourra être contraint d’accomplir des actes contraires à la déontologie ;
  • il ne pourra jamais être puni pour avoir accompli des actes médicaux conformes à la déontologie, quelles qu’en aient été les circonstances.

Personnel sanitaireDroit d’accèsServices sanitairesRéquisitionDéontologie médicale

Détention et internement dans les territoires occupés

Dans certaines situations telles que les territoires occupés, les prisons ou les lieux d’internement, les garanties qui sont accordées à la mission médicale doivent être renforcées pour résister aux risques spécifiques qui pèsent tant sur la personne du malade que sur celle du soignant. Le droit humanitaire édicte dans ces cas des règles spécifiques.

  • Pour les prisonniers de guerre malades et blessés (GIII art. 29 à 33) : il est prévu que, dans certains cas, les actes médicaux et l’hospitalisation doivent être pratiqués en pays neutre (GIII art. 132).
  • Pour les personnes détenues ou internées (GIV art. 91 et 92) : la possibilité de pratiquer certains actes médicaux en pays neutre ou en dehors des structures détentrices est également prévue (GIV art. 132).
  • Pour les territoires occupés : la puissance occupante ne doit pas entraver le fonctionnement des services sanitaires et veiller à ce qu’ils aient un niveau suffisant. Les puissances protectrices ou d’autres organisations humanitaires pourront en tout temps vérifier l’état de l’approvisionnement en vivres et médicaments (GIV art. 55 à 57 ; 59 à 63).
  • Pour les personnels et installations sanitaires des forces armées et les malades et blessés qu’ils prennent en charge (GI art. 12 à 37).
  • Pour les personnes détenues pour des motifs en relation avec le conflit dans les conflits non internationaux ou internationaux (GPII art 5.1.a ; art. 7).

Blessés et maladesDétentionInternementPrisonnier de guerreTerritoire occupé

Déontologie médicale en temps de guerre

Le droit humanitaire cherche à renforcer la capacité de résistance de l’éthique médicale dans les situations de conflit.

  • Il érige la déontologie médicale au rang de règle de droit international qui s’impose aux États. Sans définir et codifier le contenu complet de l’éthique médicale, les Conventions de Genève encadrent le travail médical dans des règles minimales constantes. Le but est de clarifier les obligations et les interdictions qui pèsent sur le praticien du fait du droit international pour lui permettre de résister à un contexte national de contrainte, de pression et de violence.
  • Il énumère les comportements médicaux interdits : ceux-ci incluent les actes et omissions médicaux qui ne sont pas justifiés par l’état de santé du malade et conformes aux protocoles et à la déontologie.
  • Il précise également les comportements médicaux que les autorités ne pourront pas interdire.
  • Il prévoit que nul ne pourra être puni pour avoir accompli des actes médicaux conformes à la déontologie, quelles qu’aient été les circonstances.
  • Il protège le secret médical dans les situations de conflit.

Déontologie médicaleMauvais traitements

L’interdiction des actes médicaux non justifiés par l’état de santé du malade

Le droit humanitaire sanctionne l’obligation qu’il fait de soigner les blessés et les malades et de respecter la déontologie de ces actes médicaux.

Le fait d’infliger des actes qui nuisent à la santé physique ou mentale des personnes ainsi que l’omission délibérée de donner des soins constituent des infractions graves aux conventions, c’est-à-dire des crimes de guerre (GI art. 50 ; GPI art. 11). Le fait de soumettre des personnes au pouvoir de la partie adverse à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques quelles qu’elles soient qui ne sont ni motivées par un traitement médical, dentaire ou hospitalier, ni effectuées dans l’intérêt de ces personnes, et qui entraîneraient la mort de celles-ci ou mettraient sérieusement en danger leur santé est considéré comme un crime de guerre selon le statut de la Cour pénale internationale (art. 8.2.e.xi). Cette disposition pose la question du cadre éthique de l’activité médicale auprès de patients détenus ou au sein des lieux de détention en situation de conflit. Elle pose aussi la question de la responsabilité personnelle pénale du personnel médical agissant auprès de patients détenus en période de conflit (voir ▹ Déontologie médicale ).

Les règles du droit international humanitaire coutumier

L’étude sur les règles du droit international humanitaire coutumier publiée par le CICR en 2005 reprend les garanties de traitement des civils, blessés et malades en période de conflit prévues dans les différentes Conventions de Genève. Ces règles sont applicables en situation de conflit armé international et non international.

Règle 6 : les personnes civiles sont protégées contre les attaques, sauf si elles participent directement aux hostilités et pendant la durée de cette participation.

Règle 25 : le personnel sanitaire exclusivement affecté à des fonctions sanitaires doit être respecté et protégé en toutes circonstances. Il perd sa protection s’il commet, en dehors de ses fonctions humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi.

Règle 27 : le personnel religieux exclusivement affecté à des fonctions religieuses doit être respecté et protégé en toutes circonstances. Il perd sa protection s’il commet, en dehors de ses fonctions humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi.

Règle 28 : les unités sanitaires exclusivement affectées à des fins sanitaires doivent être respectées et protégées en toutes circonstances. Elles perdent leur protection si elles sont employées, en dehors de leurs fonctions humanitaires, pour commettre des actes nuisibles à l’ennemi.

Règle 29 : les moyens de transport sanitaire exclusivement réservés au transport sanitaire doivent être respectés et protégés en toutes circonstances. Ils perdent leur protection s’ils sont employés, en dehors de leurs fonctions humanitaires, pour commettre des actes nuisibles à l’ennemi.

Règle 30 : les attaques contre le personnel et les biens sanitaires et religieux arborant, conformément au droit international, les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève sont interdites.

Règle 109 : chaque fois que les circonstances le permettent, et notamment après un engagement, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les blessés, les malades et les naufragés, sans distinction de caractère défavorable.

Règle 110 : les blessés, malades et naufragés doivent recevoir, dans toute la mesure possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu’exige leur état. Aucune distinction fondée sur des critères autres que médicaux ne doit être faite entre eux.

Règle 111 : chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures possibles pour protéger les blessés, malades et naufragés contre les mauvais traitements et le pillage de leurs biens personnels.

Le certificat médical individuel

  • Dans les situations où la maladie, la blessure ou la mort découlent d’un acte délictueux ou criminel (viol, torture, coups et blessures, mauvais traitement, mutilation), le médecin a l’obligation d’établir un certificat médical individuel au profit de la victime ou de ses ayants droit. Le médecin cherchera également à savoir s’il s’agit d’un acte isolé ou s’il s’inscrit dans un schéma plus généralisé de violations des droits de la personne humaine.
  • Certaines législations nationales imposent le recours à un médecin légiste désigné par les autorités. Elles imposent parfois une obligation légale de lever le secret médical et de notification aux autorités judiciaires nationales. Toutefois, dans les situations de crise ou de conflit, une telle transmission automatique risque de mettre la victime encore plus en danger. Le médecin pourra invoquer les dispositions spécifiques de la déontologie médicale pour maintenir le secret médical dans ces situations (voir ▹ Déontologie médicale ). Le certificat médical ne peut être remis qu’à la victime. Des données sur les violences et mauvais traitements respectant l’anonymat de la victime pourront être transmises au CICR dans le cadre de ses activités de protection des victimes de violations du droit humanitaire ou à d’autres agences pertinentes des Nations unies tels que le Haut-Commissariat aux réfugiés.

Le certificat médical établi par du personnel médical humanitaire national ou expatrié garde toute sa validité pour constater et authentifier les lésions et traumatismes de la victime dans les meilleurs délais. Il joue un rôle important car il est souvent la seule trace que possède la victime sur les violences dont elle a souffert. Ce certificat peut l’aider à obtenir le statut de réfugié, celui d’handicapé ou de victime de guerre. Il peut aussi permettre à la victime d’établir des faits de torture, viol, mutilation, ainsi que des éléments constitutifs de crimes de guerre ou crime contre l’humanité si elle porte plainte devant des tribunaux nationaux ou internationaux même des années plus tard. Les délais relatifs au dépôt de plainte s’étale sur plusieurs années selon la nature des crimes. La victime peut raisonnablement attendre que sa sécurité soit de nouveau garantie avant de décider de porter plainte.

Pour en savoir plus

Amnesty International , Codes d’éthique et déclarations concernant les professions médicales : Recueil de textes déontologiques , Paris, 1994, 124 p. ( http://web.amnesty.org/pages/health-ethicsindex-eng ).

Baccino Astrada A., Manuel des droits et devoirs du personnel sanitaire lors des conflits armés , CICR, Genève, 1982.

British Medical Association , The Medical Profession and Human Rights : Handbook for a Changing Agenda , BMA, London, 2001

Green L.C., « War law and the medical profession », Annuaire canadien de droit international , 1979, p. 159-205.

Henckaerts J. M. et Doswald -Beck L ., Droit international humanitaire coutumier , CICR, 2005, vol.1 : Règles , p. 79-104.

Reyes H., Russbach R., « Le rôle du médecin dans les visites du Comité international de la Croix-Rouge aux prisonniers », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 791, septembre-octobre 1991, p. 497-510.

Schoenholzer J.P., Le Médecin dans les Conventions de Genève de 1949, CICR, Genève, 1988.

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