Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Personnes disparues et les morts

Les conflits comme les catastrophes naturelles peuvent causer des pertes massives en vies humaines ; les systèmes sociaux et administratifs locaux sont alors bien souvent débordés. Il est essentiel de faire la lumière sur le sort des disparus (I) et identifier les morts (II) pour conserver et/ou rétablir les droits fondamentaux ainsi que des activités de secours responsables. Ces questions doivent d’emblée être intégrées aux programmes de secours afin que les preuves soient conservées pour l’identification future des corps et que les disparus ne soient pas rendus davantage vulnérables à d’éventuels abus. Les activités de recherche et de rétablissement desliens familiaux constituent des éléments déterminants pour distinguer les disparitions forcées des disparitions naturelles. Dans les situations de conflit, le CICR dispose d’un mandat international en matière de disparition forcée. L’efficacité de ses activités repose sur d’autres organisations humanitaires qui enregistrent puis font remonter les informations sur les personnes disparues. En temps de paix, diverses conventions internationales portent sur l’interdiction et le suivi des disparitions forcées.

Des manuels pratiques de gestion des dépouilles mortelles ont récemment été développés afin d’améliorer les pratiques humanitaires en la matière et ainsi faciliter l’identification des morts. Il est essentiel que de tels protocoles soient connus de tous, et respectés, dès lors que les organisations médicales et de secours participent à la gestion des dépouilles mortelles dans le cadre de situations de pertes massives en vies humaines. L’identification des dépouilles mortelles à des fins d’enquêtes et de poursuites pénales ne correspond ni ne répond aux besoins d’une identification à des fins humanitaires.

Personnes disparues

La protection des personnes disparues et l’interdiction des disparitions forcées

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) entend par personnes disparues « les personnes dont la famille est sans nouvelles, et/ou qui, selon des informations fiables, ont été rapportées comme disparues en raison d’un conflit armé, international ou non international, ou d’une situation de violence interne, de troubles intérieurs, ou encore de toute autre situation qui puisse requérir l’intervention d’une institution neutre et indépendante ».

Le terme de personnes disparues renvoie à des personnes pouvant être vivantes ou mortes. Cette incertitude est en elle-même source tant de vulnérabilité que de menace. Vivantes, ces personnes peuvent être secrètement détenues, ou séparées de leurs proches du fait d’un déplacement soudain, d’une catastrophe naturelle ou d’un accident. Dans tous les cas, elles doivent bénéficier de la protection prévue par le droit international humanitaire quelle que soit la catégorie à laquelle elles appartiennent : civil, déplacé, détenu, prisonnier de guerre, blessé et malade, mort, etc.

La question des personnes disparues est des plus politique. Les États belligérants ont en effet tendance à manipuler le nombre de personnes disparues ou à dissimuler délibérément des informations pour faire pression sur les parties opposées, pour terroriser et contrôler les populations ou encore pour affaiblir les détenus à des fins d’interrogatoire.

La protection des personnes disparues dans le cadre des Conventions de Genève

Les Conventions de Genève de 1949 établissent l’obligation des parties aux conflits armés internationaux de prendre toutes les mesures possibles pour élucider le sort des personnes portées disparues, pour rechercher les personnes qui ont été reportées comme disparues par la partie adverse et pour enregistrer les informations concernant ces personnes (GI art 19- 20 ; GII art. 16-17 ; GIII art. 122-125 ; GIV art 136-141 ; GPI art. 32-33).

Si une personne est portée disparue du fait de déplacements de population lors d’un conflit armé, les liens familiaux doivent être rétablis dès que possible (GIV art. 25-26). Si les personnes sont disparues du fait de détention ou d’hospitalisation par l’ennemi, le droit international humanitaire prévoit que leurs familles et les autorités soient rapidement informées à travers trois vecteurs que sont la notification d’hospitalisation, de capture ou d’arrestation ; la transmission des cartes de capture ou d’internement ; et en raison du droit de correspondance avec leur famille. Les autorités détentrices sont aussi dans l’obligation de répondre aux demandes sur les personnes protégées (GI art. 16 ; GII art. 19 ; GIII art. 70-71, 122-123 ; GIV art. 106-107, 136, 137, 140 ; GPI, art. 33.2).

Les parties au conflit, mais aussi les organisations humanitaires internationales doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour que les familles aient connaissance du sort de leurs proches. Le CICR a un rôle essentiel à jouer par le biais de son Agence centrale de recherches, qui aide à retrouver les personnes disparues dès lors que les informations les concernant ont été recueillies.

L’interdiction des disparitions forcées dans le cadre d’autres conventions internationales

  • La Déclaration des Nations unies sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1992 (résolution 47/133), définit la pratique systématique de la disparition forcée comme un crime contre l’humanité. Cette pratique constitue une violation du droit au respect de la dignité humaine, du droit à la liberté et à la sécurité de la personne et du droit de ne pas être soumis à la torture. Elle met en outre gravement en danger le droit à la vie (art. 1).
  • La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a été adoptée le 20 décembre 2006 par l’Assemblée générale des Nations unies et est entrée en vigueur en 2010. En juin 2015, 46 États y étaient parties. Cette convention vise à prévenir les disparitions forcées, considérées comme un crime et, dans certains cas définis selon le droit international, comme un crime contre l’humanité. Elle affirme le droit de toute personne de ne pas être soumise à la disparition forcée, ainsi que le droit des victimes à la justice et à réparation.
  • L’interdiction en tout temps de disparition forcée et la définition du crime de disparition forcée (art. 1 et 2) :

Article 1. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée.

Article 2. Aux fins de la présente convention, on entend par « disparition forcée » l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservéà la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi.

  • Les obligations des États en termes de protection des personnes de toute forme de disparition forcée (art. 3-25) :

Article 3. Tout État partie prend les mesures appropriées pour enquêter sur les agissements définis à l’article 2, qui sont l’œuvre de personnes ou de groupes de personnes agissant sans l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, et pour traduire les responsables en justice.

Article 4. Tout État partie prend les mesures nécessaires pour que la disparition forcée constitue une infraction au regard de son droit pénal.

Article 5. La pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité, tel qu’il est défini dans le droit international applicable, et entraîne les conséquences prévues par ce droit.

Article 6. Tout État partie prend les mesures nécessaires pour tenir pénalement responsable au moins toute personne qui commet une disparition ou y participe, ainsi que le supérieur qui savait qu’un tel crime était sur le point d’être commis et n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher la commission d’un tel acte.

Articles 7-15. Procédures pénales.

Article 16. Aucun État partie n’expulse, ne refoule, ne remet, ni n’extrade une personne vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être victime d’une disparition forcée.

Article 17. Nul ne sera détenu en secret.

Articles 18-23. Garanties accordées aux personnes privées de liberté.

Article 24 :

  1. Aux fins de la présente convention, on entend par « victime » la personne disparue et toute personne physique ayant subi un préjudice direct du fait d’une disparition forcée
  2. Toute victime a le droit de savoir la vérité sur les circonstances de la disparition forcée, le déroulement et les résultats de l’enquête et le sort de la personne disparue. Tout État partie prend les mesures appropriées à cet égard.
  3. Tout État partie prend toutes les mesures appropriées pour la recherche, la localisation et la libération des personnes disparues et, en cas de décès, pour la localisation, le respect et la restitution de leurs restes.
  4. Tout État partie garantit, dans son système juridique, à la victime d’une disparition forcée le droit d’obtenir réparation et d’être indemnisée rapidement, équitablement et de manière adéquate.
  5. Le droit d’obtenir réparation visé au paragraphe 4 du présent article couvre les dommages matériels et moraux ainsi que, le cas échéant d’autres formes de réparation telles que :
  6. la restitution ;
  7. la réadaptation ;
  8. la satisfaction, y compris le rétablissement de la dignité et de la réputation ;
  9. des garanties de non-répétition.

Article 25. Dispositions spécifiques pour les enfants victimes de disparition forcée.

  • Création d’un Comité des disparitions forcées (art. 26-36) :

Article 26. (1) Pour la mise en œuvre des dispositions de la présente convention, il est institué un Comité des disparitions forcées, composé de dix experts de haute moralité, possédant une compétence reconnue dans le domaine des droits de l’homme, indépendants, siégeant à titre personnel et agissant en toute impartialité. (2) Les membres du Comité seront élus par les États parties selon une répartition géographique équitable. L’élection se fait au scrutin secret. (3) La première élection aura lieu au plus tard six mois après la date d’entrée en vigueur de la présente convention. (4) Les membres du Comité sont élus pour quatre ans. Ils sont rééligibles une fois. (7) Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies met à la disposition du Comité le personnel et les moyens matériels qui lui sont nécessaires pour s’acquitter efficacement de ses fonctions. Le secrétaire général convoque les membres du Comité pour la première réunion.

Article 27. Une conférence des États parties se réunira au plus tôt quatre ans et au plus tard six ans après l’entrée en vigueur de la présente convention pour évaluer le fonctionnement du Comité.

Article 29. (1) Tout État partie présente au Comité, par l’entremise du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, un rapport sur les mesures qu’il a prises pour donner effet à ses obligations au titre de la présente convention, dans un délai de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la convention pour l’État partie concerné. (2) Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies met le rapport à la disposition de tous les États parties.

Article 35. Le Comité n’est compétent qu’à l’égard des disparitions forcées ayant débuté postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente convention.

La première conférence des États parties à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées s’est tenue le 31 mai 2011 au siège des Nations unies à New York. Elle visait principalement à élire les 10 membres du Comité. Ont été élus : M. Mohammed Al-Obaidi, M. Mamadou Badio Camara, M. Emmanuel Decaux, M. Alvaro Garce Garcia y Santos, M. Luciano Hazan, M. Rainer Huhle, Mme. Suela Janina, M. Juan José Lopez Ortega, M. Enoch Mulembe et M. Kimio Yakushiji.

Dans le cadre des conventions régionales

La Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes a été adoptée à Bélem do Pará, Brésil, le 9 juin 1994. En avril 2013, 14 États y étaient parties. La convention définit la pratique de la disparition forcée comme une « offense grave et odieuse à la dignité intrinsèque de la personne humaine » et réaffirme que la pratique systématique de la disparition forcée des personnes constitue un crime contre l’humanité.

Article 1. Les États parties à la présente convention s’engagent à : (1) ne pas pratiquer, ne pas permettre et ne pas tolérer la disparition forcée des personnes, même pendant les états d’urgence, d’exception ou de suspension des garanties individuelles ; (2) sanctionner, dans le cadre de leur juridiction, ceux qui ont participé au délit de disparition forcée des personnes, ou ont tenté de le commettre à titre d’auteurs, de complices et de receleurs ; (3) coopérer entre eux pour contribuer par tous les moyens à prévenir, à sanctionner et à éradiquer la disparition forcéedes personnes ; (4) prendre les mesures législatives, administratives, judiciaires ou autres, nécessaires à l’exécution des engagements qu’elles ont contractés dans le cadre de la présente convention.

Article 2. La convention entend par disparition forcée des personnes « la privation de liberté d’une ou de plusieurs personnes sous quelque forme que ce soit, causée par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivie du déni de la reconnaissance de cette privation de liberté ou d’information sur le lieu où se trouve cette personne, ce qui, en conséquence, entrave l’exercice des recours juridiques et des garanties pertinentes d’une procédure régulière ».

Dans le cadre du droit international humanitaire coutumier

Selon la règle 98 de l’étude sur les règles du droit international humanitaire coutumier publiée par le CICR en 2005, « les disparitions forcées sont interdites » en situation de conflit armé tant international que non international.

La règle 117 stipule quant à elle que « chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures pratiquement possibles pour élucider le sort des personnes disparues par suite d’un conflit armé, et doit transmettre aux membres de leur famille toutes les informations dont elle dispose à leur sujet ». Cette règle s’applique en situation de conflit armé tant international que non international. L’obligation de rendre compte des personnes disparues est en accord avec l’interdiction de disparition forcée ( cf. règle 98) et l’obligation de respecter la vie de famille ( cf. règle 105).

Coutume

En droit international pénal

Selon le statut de la Cour pénale internationale, la pratique systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité (article 7.1.i). L’article 7.2.i du statut entend par disparition forcée « les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ». Ainsi la Cour considère la pratique systématique de la disparition forcée comme aussi grave que d’autres crimes contre l’humanité tels que la torture, l’extermination ou le meurtre.

Cour pénale internationale (CPI)Tribunaux pénaux internationaux (TPI)

Les moyens de protection des personnes disparues et de prévention des disparitions forcée

Le Groupe de travail des Nations unies sur les disparitions forcées ou involontaires

Le 29 février 1980, la Commission des droits de l’homme a adopté la résolution 20 établissant un groupe de travail composé de cinq membres agissant en tantqu’experts nommés à titre personnel « pour examiner les questions concernant les disparitions forcées ou involontaires de personnes ». Depuis 1980, le mandat du groupe de travail a été régulièrement renouvelé ; la dernière résolution renouvelant son mandat a été adoptée par le Conseil des droits de l’homme le 12 avril 2011. En mai 2011, les cinq experts du groupe de travail étaient M. Ariel Dulitzky (président), M. Bernard Duhaime, Mme Houria Es-Slami, M. Tae-Ung Baik et Mme Jasminka Dzumhur.

Le groupe se réunit trois fois par an et soumet un rapport annuel à la Commission et à l’Assemblée générale. Le groupe s’occupe uniquement des cas de disparition forcée imputables, directement ou indirectement, aux États ; ce qui signifie qu’il n’intervient pas dans les cas de disparitions perpétrées par des acteurs non étatiques. Le groupe n’enquête pas directement sur des cas individuels. En outre, il ne juge ni ne sanctionne, ne procède pas à l’exhumation des corps, ni n’accorde de satisfaction ou de réparation. Le mandat du groupe consiste à tracer les personnes disparues et à aider les familles à déterminer le sort de leurs proches qui, ayant disparu, ne sont pas sous la protection de la loi. Afin de remplir son mandat, le groupe dispose d’une procédure de communication ; les communications peuvent émaner de la famille de la victime, des ONG, des gouvernements, des organisations intergouvernementales ou de tierces parties. Le groupe soumet le cas au gouvernement intéressé en lui demandant de procéder à des enquêtes et de l’informer ensuite de ses résultats.

Les experts du groupe de travail ont conduit plusieurs visites dans les pays afin d’évaluer le travail effectué par les États pour traiter les cas de disparition forcée. Par exemple, le groupe de travail a visité la Bosnie-Herzégovine sur son invitation du 14 au 21 juin 2010. Depuis sa création, le groupe de travail a transmis un total de 53 337 cas à divers gouvernements. Le nombre de cas activement examinés et qui n’ont pas encore été clarifiés, fermés ou abandonnés est de 42 633 pour un total de 83 États. Le groupe de travail a pu clarifier 1 814 cas durant les cinq dernières années.

Le rôle des organisations humanitaires

Comme indiqué précédemment, le rôle des organisations humanitaires internationales, et plus particulièrement du CICR, face au problème des personnes disparues est essentiel. Le positionnement du CICR reste toutefois délicat puisque celui-ci doit prendre toutes les mesures possibles pour obtenir des informations sur les personnes disparues sans toutefois perdre la possibilité de négocier avec les autorités nationales ou locales qui, souvent, redoutent des poursuites pénales. Dans une recherche d’équilibre, le CICR a développé divers outils visant à répondre au problème des disparus. Ces outils, qui n’incluent pas la dénonciation publique, sont les suivants :

  • la diffusion du droit international humanitaire ;
  • la visite des lieux de détention et l’enregistrement des personnes détenues ;
  • la visite aux personnes en détention et le traçage de leurs précédents lieux de détention ;
  • la protection générale des civils touchés par un conflit ;
  • la restauration des liens familiaux à travers le réseau des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge ;
  • la compilation et le traitement des demandes de traçage à travers son Agence centrale de recherches.

Toutes les organisations humanitaires en contact avec des victimes doivent s’assurer que leur trace ne soit pas perdue. Elles doivent informer le CICR et distribuer aux victimes les formulaires de l’Agence centrale de recherches afin de retrouver les disparus et réunir les familles.

Croix-Rouge, Croissant-RougeAgence centrale de recherches (ACR)

Les morts

La protection des morts

Dans le cadre des Conventions de Genève

En situation de conflit armé international, les États parties ont le devoir de rechercher les personnes décédées (GI art. 15 ; GII art. 18, GIV art. 16). Ils doivent également s’efforcer de rassembler les informations nécessaires à l’identification des morts (GI art. 16 et GPI art. 33.2). En vertu du droit international humanitaire, les morts doivent être respectés, enterrés honorablement et les sépultures marquées afin de faciliter l’accès et la protection des tombes (GI art. 17 et GPI art. 34.1) En outre, les restes des personnes décédées doivent être respectés et le retour à leur famille facilité autant que possible (GPI art. 34.2).

Les dispositions du droit international humanitaire sur les personnes décédées et leurs sépultures applicables en cas de conflit armé international sont relativement détaillées. Elles s’appliquent pendant et après un conflit armé ou en situation d’occupation.

Dans le contexte de conflits armés non internationaux, l’obligation de rechercher les personnes décédées se retrouve à l’article 8 du Protocole additionnel II de 1977. S’agissant des conflits armés non internationaux, le droit international humanitaire ne prévoit que quelques règles de fond concernant les morts et leur sépulture. Les parties à un conflit armé non international restent toutefois soumises aux obligations générales du droit international humanitaire, telles que l’interdiction des atteintes à la dignité de la personne et des traitements humiliants et dégradants.

Droit international humanitaire

En droit international humanitaire coutumier

Les règles 112 à 116 de l’étude du CICR (voir supra ) prévoient des dispositions relatives à la collecte, au traitement, à la disposition et au retour des restes des personnes décédées.

La règle 112 dispose que « chaque fois que les circonstances le permettent, et notamment après un engagement, chaque partie au conflit doit prendre sans tarder toutes les mesures possibles pour rechercher, recueillir et évacuer les morts, sansdistinction de caractère défavorable ». Cette règle s’applique aux conflits armés internationaux comme non internationaux. Le CICR rappelle que l’obligation de rechercher et recueillir les personnes décédées est une obligation de moyens. Chaque partie au conflit doit prendre « toutes les mesures possibles » pour rechercher et recueillir les morts. Cette règle s’applique à toutes les personnes décédées sans distinction, c’est-à-dire quelle que soit la partie à laquelle elles appartiennent et sans tenir compte de leur participation ou non aux hostilités.

La règle 113 stipule que « chaque partie au conflit doit prendre toutes les mesures possibles pour empêcher que les morts ne soient dépouillés. La mutilation des cadavres est interdite ». Cette règle s’applique en situation de conflit armé tant international que non international.

La règle 114 dispose que « les parties au conflit doivent s’efforcer de faciliter le retour des restes des personnes décédées, à la demande de la partie à laquelle ils appartiennent ou à la demande de leur famille. Elles doivent leur retourner les effets personnels des personnes décédées ». Cette règle s’applique seulement aux conflits armés internationaux.

La règle 115 dispose que « les morts doivent être inhumés de manière respectueuse et leurs tombes doivent être respectées et dûment entretenues ». Cette règle s’applique aux conflits armés internationaux et non internationaux. Les Conventions de Genève précisent que les morts doivent être enterrées, si possible, selon les rites de la religion à laquelle ils appartenaient.

La règle 116 stipule que « afin de permettre l’identification des morts, chaque partie au conflit doit enregistrer toutes les informations disponibles avant l’inhumation, et marquer l’emplacement des sépultures ».

Les moyens de protection et d’identification des restes des personnes décédées

Après un conflit ou une catastrophe vient le temps de l’identification et de la gestion des dépouilles mortelles. La prise en charge des pertes massives en vies humaines et, plus précisément, l’identification des restes humains, ont toujours été l’objet de controverses. Que celle-ci soit menée à des fins humanitaires ou judiciaires affectera directement la gestion des restes humains.

L’identification des corps à des fins humanitaires

Les organisations humanitaires peuvent faire face à des situations où elles doivent rechercher et recueillir les morts. En pratique, elles ont besoin, pour mener à bien leurs activités, de la permission de la partie ayant le contrôle d’une certaine zone. Elles ne sauraient être arbitrairement privées de cette permission. Au nom de la mission conférée au CICR par les Conventions de Genève, l’organisation a la légitimité d’entreprendre des activités de recherche et de collecte. Lorsque l’identification des dépouilles mortelles s’inscrit dans une perspective purement humanitaire, les fosses communes sont ouvertes et les corps identifiés. Il s’agit de faire connaître aux familles le sort de leurs proches portés disparus, que ces derniers soient vivants ou morts. La pratique consiste habituellement à comparer les listes des personnes disparues à celles des corps identifiés. Les activités de recherchessont principalement le fait de l’Agence centrale de recherches dirigée par le CICR conformément aux Conventions de Genève. L’Agence centrale de recherches déploie mondialement les activités de recherche en coordination avec les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Grâce à cette coopération, le mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge délivre des services de recherche par-delà les frontières nationales, permettant ainsi aux familles de rétablir le contact ou connaître le sort de leurs proches disparus.

À ce jour, aucune ONG ni organisation internationale ne dispose d’un mandat spécifiquement dédié à l’identification des dépouilles mortelles. Cependant, dans la mesure où les démarches entreprises immédiatement après un conflit risquent de se répercuter sur l’identification ultérieure des victimes, des manuels pratiques ont été développés en vue de promouvoir de meilleures pratiques. Conçus comme des outils à la disposition des autorités locales et nationales, et des professionnels sur le terrain, ces manuels fournissent des informations techniques qui appuieront une approche correcte de la prise en charge des dépouilles mortelles : les victimes ne devraient pas être enterrés dans les fosses communes ; il faut conserver tous les éléments d’identification des corps et des lieux d’inhumation.

Le CICR peut en outre fournir une expertise médico-légale. Il a à sa disposition une équipe d’experts consacrés aux affaires de personnes disparues, fournissant des conseils techniques et soutenant le renforcement des capacités médico-légales en vue d’aider les familles à obtenir des réponses. L’utilisation de sciences médico-légales pour élucider le sort des personnes disparues est relativement récent. La première banque de données génétiques consacrée à la recherche des personnes disparues a été mise en place en 1987 en Argentine pour répondre aux besoins des familles. Dans ce type d’activités, le rôle du CICR consiste à compléter et fournir un appui aux autorités nationales et/ou sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. L’identification médico-légale repose sur des éléments aussi divers que la localisation du corps, les interviews des témoins, les éléments matériels trouvés sur le cadavre (pièce d’identité, téléphone mobile, photographies, vêtements…) et les éléments matériels encore utilisables sur le corps (dents, visage, signe distinctif, empreintes, analyse ADN des cheveux…). Si l’analyse ADN est de plus en plus perçue comme jouant un rôle majeur, celle-ci est couplée à d’autres éléments et vient les compléter. En outre, nombre de défis demeurent s’agissant de l’utilisation des sciences médico-légales en vue de l’identification des personnes disparues, parmi lesquels la limitation des ressources humaines et financières qui ne sont pas nécessairement disponibles au lendemain des conflits.

L’identification à des fins judiciaires

L’identification des dépouilles mortelles peut aussi être menée à des fins judiciaires. Dans ce cas, il s’agit souvent de la première étape pour porter une affaire pénale devant une cour. Les tribunaux pénaux internationaux pour le Rwanda et l’ex-Yougoslavie s’inscrivent dans cette perspective. Sous leurs auspices, nombre de charniers ont été exhumés en vue d’identifier les personnes décédées. La première exhumation a eu lieu dans la ville de Kibuye à l’ouest du Rwanda en décembre 1995. Sur les 500 corps exhumés, seules 17 personnes ontpu être identifiées. En ex-Yougoslavie, le Bureau du procureur du TPIY a initié la première exhumation de charniers en 1996 sur cinq sites différents. Sur l’un des sites, dénommé ferme Ovcara, les enquêteurs ont trouvé les restes supposés de quelque 200 patients et personnels de l’hôpital de Vukovar.

De 1996 à 2001, le TPIY a fouillé nombre de fosses communes. Son travail a été poursuivi par la Commission internationale pour les personnes disparues créée par l’ex-président Clinton lors du sommet du G7 de Lyon en France. Son rôle premier consiste à assurer la coopération des gouvernements dans la localisation et l’identification des personnes disparues lors de conflits armé ou suite à des violations des droits de l’homme. L’organisation a été établie pour apporter un soutien aux accords de Dayton, qui ont mis fin à la guerre de Bosnie. Le siège de la commission se trouve à Sarajevo. En 2000, la commission a développé une nouvelle installation pour la morgue et le stockage des restes humains de Srebrenica. Elle a été la première à utiliser l’ADN comme première étape de l’identification d’un grand nombre de personnes disparues lors du conflit en ex-Yougoslavie.

La spécificité de l’ouverture des fosses communes et de l’identification des corps à des fins judiciaires tient à l’ampleur de l’identification et au nombre de corps identifiés. En effet, les enquêtes pénales en matière de crimes de guerre ne nécessitent pas l’identification de la totalité des corps d’un charnier. Pour gagner du temps, comme de l’argent, les enquêteurs peuvent ne se concentrer que sur quelques corps. Il s’agit principalement pour eux de confirmer les faits et les nombres avancés afin de rassembler les preuves pour les tribunaux, et non pas établir l’identité de chaque corps. Par conséquent, dans ce cas, le droit des familles de connaître le sort de leurs proches ne sera pas nécessairement honoré.

La disparition est considérée comme un crime continu jusqu’à ce que le sort de la personne disparue soit connu. Cela signifie que le délai de prescription commence à courir quand cesse la disparition, en d’autres termes, quand la personne disparue est retrouvée, morte ou vive. Ainsi, ces crimes ne peuvent pas être couverts par des lois d’amnistie votées avant que la personne disparue ne soit découverte.

Dans l’affaire Quinteros c. Uruguay (21 juillet 1983, § 186), le Comité des droits de l’homme a confirmé qu’il est interdit de cacher délibérément aux familles des informations sur leurs proches disparus. Le Comité a également confirmé que les disparitions constituaient une violation grave des droits des familles des disparus dans l’incertitude quant au sort de leurs proches et dans l’angoisse continuelle qui en résulte.

Dans l’affaire Kurt c. Turquie (25 mai 1998, § 130-133), la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le fait de cacher des informations aux familles des personnes détenues par les forces de sécurité - ou de garder le silence dans la cas de personnes disparues durant un conflit armé - peut atteindre un degré de gravité équivalent à celui d’un traitement inhumain.

Dans l’affaire Kupreskic et al . (14 janvier 2000, § 566), la Chambre préliminaire de la CPI a estimé que la disparition forcée pouvait relever de la catégorie d’« autres actes inhumains » comme crime contre l’humanité, dès lors que ces actes sont exécutés de manière systématique et à grande échelle.

Pour en savoir plus :

Crettol M.et La Rosa A. M., « Les personnes portées disparues et la justice transitionnelle : le droit de savoir et la lutte contre l’impunité », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 862, juin 2006.

« Management of dead bodies after disaster : A field manual », PAHO, WHO, ICRC, IFRC. Disponible en ligne sur : http://www.icrc.org/eng/assets/files/other/icrc_002_0880.pdf

« Management of dead bodies in disaster situations », PAHO, WHO, 2004, 176 p. Disponible en ligne sur : http://www.paho.org/english/dd/ped/manejocadaveres.htm

Martins S., « The missing », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 84, n° 848, décembre 2002, p. 723-725.

Petrig A., « The war dead and their gravesites », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 91, n° 874, juin 2009, p. 341-369.

Sassoli M.et Tougas M. L., « The ICRC and the missing », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 84, n° 848, décembre 2002, p. 727-749.

Stover E., Shigekane R., « The missing in the aftermath of war : When do the needs of victims’families and international war crimes tribunals clash ? », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 84, n° 848, décembre 2002, p. 845-865.

« The missing », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 84, n° 848, décembre 2002, p. 721-920.

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