Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Blocus

Un blocus est une opération militaire employée par les belligérants pour contrôler, empêcher ou bloquer partiellement ou complètement le flux de biens et de personnes vers et depuis des zones spécifiques, qu’il s’agisse de territoires, de régions sous leur contrôle ou de l’ennemi. Il peut inclure tous les mouvements maritimes vers ou depuis un port ou une côte (blocus naval), mais les blocus peuvent également être menés par les airs (blocus aérien). Une opération militaire qui entoure, isole ou encercle une zone sur terre est connue sous le nom de siège. Il est également important de distinguer entre les termes blocus et embargo. Un embargo n’est pas un acte de guerre, mais un type de sanction économique multilatérale ou unilatérale qui peut être adoptée sous l’égide des Nations Unies (ONU), d’une organisation régionale ou d’un État pour tenter de changer le comportement d’un État ou pour l’obliger à se conformer à une décision, un ordre international.

➔ EmbargoSiège

Un blocus est un acte de guerre réglementé par le droit international, notamment par la Déclaration concernant le droit maritime adoptée à Paris le 16 avril 1856 et par les articles 1 à 21 de la Déclaration concernant les lois de la guerre maritime adoptée le 26 février 1909 à Londres. Le Manuel de San Remo sur le droit international applicable aux conflits armés en mer (SRM) adopté le 12 juin 1994 fournit également une interprétation juridique du blocus dans les paragraphes 67(a), 93-104, 146(f) et 153(f). Pour qu’il soit contraignant pour les États tiers, il doit être effectif et son existence doit être officiellement déclarée, avec une date de début, les limites géographiques territoriales et un délai accordé aux navires ou aéronefs neutres pour pouvoir quitter la zone (SRM arts. 93 et 94).

En tant que méthode de guerre, un blocus doit respecter le droit international humanitaire (DIH) et le droit international humanitaire coutumier (DIHC), applicables dans toutes les situations de conflit armé international ou non international. Cela signifie respecter les principes de nécessité militaire, de distinction et de proportionnalité tout en protégeant les civils et les biens civils. (API arts. 48, 51(2), 51(5)(b), 52(2) et 57(2)(a)(iii) ; APII ; art. 13(2) ; DIHC règles 1, 7, 11, 14, 15, 17 et 22).

Conformément au DIH et au DIHC, les États sont obligés de permettre le libre passage des secours de nature exclusivement humanitaire et impartiale, indispensables à la survie de la population civile (GCIV arts. 23 et 59 ; API arts. 70-71 ; APII art. 18(2) et DIHC règles 53-56). Cela, que la situation soit un blocus, un siège ou un embargo. Le DIH ne prévoit aucune exception à ce devoir basée sur l’argument de nécessité militaire impérative.

Un blocus sera considéré comme illégal en vertu du DIH s’il est mis en œuvre de manière à priver la population civile de l’accès aux biens essentiels nécessaires à sa survie. En outre, tout blocus, siège ou embargo mis en œuvre dans le but de provoquer la famine de la population civile est interdit. (SRM art. 102 ; GCIV arts. 23 et 55 API art. 54 APII art. 14 et DIHC règles 53, 55 et 56). La famine de civils constitue un crime de guerre relevant de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) dans le contexte d’un conflit armé international (arts. 8(2)(b)(xxv) du Statut de Rome). La famine de civils et l’obstruction aux secours humanitaires ne constituent pas des crimes de guerre au titre de l’article 8 (2)(e) général du Statut de Rome applicable dans le cadre d’un conflits armés non international (CANI). Cependant, en 2019, l’Assemblée des États parties au Statut de Rome a adopté un amendement qui rajoute cette interdiction de la famine vis-à-vis des ,civils en tant que crime de guerre dans les CANI. Le nouvel article (8(2)(e)(xix) interdit l’utilisation intentionnelle de la famine des civils comme méthode de guerre en les privant des objets indispensables à leur survie, y compris l’entrave délibérée aux secours. Cet amendement n’est applicable qu’aux 16 États qui l’ont accepté en août 2024. Pour les autres Etats, les autres interdictions demeurent et elles

Pour les Etats, les autres interdictions deumeurent et elles peuvent éventuellement être poursuivies comme crimes contre l’humanité si elles remplissent les conditions de la définition du Statut de Rome relatives à l’infliction intentionnelle de conditions de vie, notamment la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculée pour entraîner la destruction d’une partie de la population (art. 7(2)(b) du Statut de Rome).

Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État peut également constituer un acte d’agression interdit par la charte des Nations Unies et susceptible de plaintes devant la Cour Internationale de Justice ou de poursuites par la Cour Pénale Internationale dans la limite des exigences juridictionnelles spécifiques pour le crime d’agression définies dans le Statut de la CPI (art. 8bis(2)(c).

Agression

Il y a eu de nombreux exemples dans le passé où les blocus et les sièges ont limité ou privé l’accès aux fournitures essentielles pour les populations civiles. Le chapitre sur le siège présente la jurisprudence des tribunaux internationaux concernant la fourniture d’assistance humanitaire dans de telles situations. Dans l’ensemble, un nombre restreint de décisions des tribunaux internationaux élaborent sur le concept de blocus. Le 31 mai 2010, des soldats israéliens ont attaqué une flottille de six navires transportant de l’aide humanitaire et tentant de briser le blocus israélien de la bande de Gaza. Malgré le fait que l’opération militaire israélienne ait entraîné la mort de 9 personnes, le Procureur de la CPI a décidé de ne pas enquêter sur l’affaire (décision du Procureur du 16 novembre 2014 confirmée par la décision finale du Procureur du 29 novembre 2017). Cependant, l’implication de la CIJ et de la CPI dans l’enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis pendant la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza pourrait conduire à des décisions pertinentes sur le blocus dans les années à venir.

EmbargoFamineComité des sanctionsCrimes de guerre/crime contre l’humanitéCour internationale de justice , Cour pénale internationaleMéthode (et moyens) de guerreBiens protégésSanctions diplomatiques, économiques ou militairesSiège

Pour en savoir plus

Dinstein Yoram, “The Conduct of Hostilities under the Law of International Armed Conflict” , Cambridge: Cambridge University Press, 2004, pages 104-106.

Drew Phillip, “International Humanitarian Law and Blockade”, chapitre 7 dans “The Law of Maritime Blockade: Past, Present and Future” , Oxford, 2017, Oxford Academic, 18 janvier 2018.

Heintschel von Heinegg Wolf, “The Law of Armed Conflict at Sea”, dans “The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflict” , pages 470-473. Oxford: Oxford University Press, 1995.

Kraska James et Pedrozo Raul, “The Newport Manual on the Law of Naval Warfare”, vol. 101 International Law Studies Stockton Center for International Law, 2023, 265 pages. Disponible à : https://digital-commons.usnwc.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=3047&context=ils

Comité international de la Croix-Rouge, “Israel/Lebanon/Hezbollah Conflict in 2006”, How does law protect in war? - Online casebook. Disponible à : https://casebook.icrc.org/case-study/israellebanonhezbollah-conflict-2006#part_i_para_268

“Israel/Gaza Operation Cast Lead”, How does law protect in war? - Online casebook. Disponible à : https://casebook.icrc.org/case-study/israelgaza-operation-cast-lead

“Israel Blockade of Gaza and the Flotilla Incident”, How does law protect in war? - Online casebook. Disponible à : https://casebook.icrc.org/case-study/israel-blockade-gaza-and-flotilla-incident-0

“Yemen Naval Blockade”, How does law protect in war? - Online casebook. Disponible à : https://casebook.icrc.org/case-study/yemen-naval-blockade-0

“Yemen Potential Existence and Effects of Naval Blockade”, How does law protect in war? - Online casebook. Disponible à : https://casebook.icrc.org/case-study/yemen-potential-existence-and-effects-naval-blockade

Pedrozo Raul, “Russia-Ukraine War at Sea: Naval Blockades, Visit and Search and Targeting War-Sustaining Objects” , Articles of War Lieber institute West point, 25 août 2023. Disponible à : https://lieber.westpoint.edu/russia-ukraine-war-naval-blockades-visit-search-targeting-war-sustaining-objects/

“War and cities edition”, International Review of the Red Cross , vol. 98, no. 901 (avril 2016).

Zheng Junteng, “Unlawful Blockades as Crimes Against Humanity”, American Society of International Law , vol. 22, no. 5, 20 avril 2018. Disponible à : https://www.asil.org/insights/volume/22/issue/5/unlawful-blockades-crimes-against-humanity

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