Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Compétence universelle

Mécanisme exceptionnel en droit pénal prévu en 1949 par les quatre Conventions de Genève pour la sanction des crimes les plus graves, la compétence universelle permet de poursuivre un individu présumé coupable d’une violation grave du droit humanitaire devant n’importe quel tribunal de n’importe quel pays. Ce système a permis de combler l’absence de juridiction internationale compétente et efficace.

Ce principe est applicable à toutes les infractions graves des Conventions de Genève qui entrent pour la plupart dans la catégorie des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. Toutefois, les définitions de ces crimes contenues dans les différents textes internationaux et nationaux, applicables en temps de paix ou de conflit, ne se recoupent pas totalement.

Crime de guerre-Crime contre l’humanité .

Les États peuvent exercer une compétence universelle sur d’autres crimes précis prévus par d’autres conventions : la torture, le commerce d’esclaves, les attaques ou les détournements d’avions et certains actes de terrorisme. Le fait que les États aient le droit de conférer à leurs tribunaux nationaux une compétence universelle en matière de crimes de guerre a été érigé au rang de norme coutumière (règle 157 de l’étude sur les règles du droit international humanitaire coutumier publiée par le CICR en 2005).

Les principes normaux de droit pénal limitent la compétence des tribunaux d’un pays aux crimes qui se sont déroulés sur le territoire national ou dont la victime ou le coupable possède la nationalité. La nature des crimes de guerre et des crimescontre l’humanité et les contextes dans lesquels ils se déroulent rendent difficile leur jugement sur le territoire du pays où ils sont commis.

Le statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome le 17 juillet 1998, afin de juger les crimes les plus graves tels que le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression ne permet pas de répondre à l’ensemble des situations de violations graves du droit humanitaire. Le statut, entré en vigueur le 1erjuillet 2002, pose plusieurs limites à la compétence de la Cour pénale internationale. Il promeut la complémentarité des tribunaux nationaux, justifiant l’importance de renforcer les capacités judiciaires nationales.

Cour pénale internationale (CPI) .

  • Les victimes des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et de torture peuvent, en principe, porter plainte devant des tribunaux nationaux étrangers, sur la base de la compétence universelle prévue par les quatre Conventions de Genève de 1949 et par la Convention contre la torture de 1984. L’utilisation de cette procédure est actuellement le recours le plus efficace pour sanctionner internationalement les crimes les plus graves.
  • Ces plaintes peuvent cependant être mises en échec si les pays concernés n’ont pas mis leur législation en conformité avec cette obligation internationale. Des dispositions spéciales doivent être incluses dans le code pénal et le code de procédure pénale du pays concerné pour que la compétence des tribunaux nationaux soit effective.
  • Le Conseil de sécurité de l’ONU a demandé aux États d’adapter leur législation interne pour intégrer le principe de compétence universelle, afin de sanctionner les auteurs de violations du droit humanitaire (déclaration présidentielle du 12 février 1999). Le secrétaire général de l’ONU a formulé la même demande dans son rapport sur la protection des populations civiles dans les conflits armés du 8 septembre 1999.
  • Certains pays, principalement les membres de l’Union européenne (et quelques autres tels que la Suisse et le Canada), ont mis leur législation nationale en accord avec cette obligation. D’autres États sont plus réticents, notamment la France ou les États-Unis.
  • Dans la plupart des pays, la présence du criminel sur le territoire national est exigée pour déclencher la compétence des tribunaux.

C’est pour éviter que l’absence de tribunaux pénaux internationaux ne conduise à l’impunité des auteurs de ces crimes, que les États parties aux Conventions de Genève se sont engagés à participer à la recherche, à la poursuite et à la répression des auteurs des crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Les Conventions de Genève imposent donc à tous les États signataires l’obligation :

  • de rechercher les personnes suspectées d’avoir commis ou d’avoir donné l’ordre de commettre l’une ou l’autre des infractions graves ;
  • de les déférer devant ses propres tribunaux quelle que soit leur nationalité ;
  • ou de les remettre pour jugement à une autre partie contractante, intéressée à la poursuite, pour peu qu’elle ait retenu contre l’auteur présumé du crime des charges suffisantes (GI art. 49 ; GII art. 50 ; GIII art. 129 ; GIV art. 146).

Ces dispositions vont bien au-delà de la simple entraide judiciaire prévue entre les États pour éviter que les criminels se mettent à l’abri des poursuites pénales enfranchissant des frontières. L’entraide judiciaire implique en général le choix entre l’obligation de juger ou celle d’extrader. Le droit humanitaire y rajoute celle de rechercher activement les criminels. Il exige également des garanties pour s’assurer que l’extradition ne soit pas synonyme d’impunité pour le criminel présumé.

Le principe de compétence universelle constitue aujourd’hui la procédure de sanction la plus efficace au niveau international. Il est réservé aux crimes les plus graves. Il a été intégré dans la convention contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984. Les personnes victimes de la torture peuvent donc bénéficier de la possibilité de porter plainte devant les tribunaux d’un État étranger, à la condition que la personne accusée se trouve sur son territoire et que cet État ait adapté sa législation interne.

Torture et traitements cruels inhumains et dégradants .

Des mécanismes d’entraide judiciaire et l’extradition sont également prévus en droit international pour faciliter la répression des crimes.

Entraide judiciaire .

Pour en savoir plus

Pradelle de la G., « La compétence universelle », in Droit international pénal, sous la dir. de Ascensio H., Decaux E. et Pellet A., Pedone, 2000, 1 053 p., p. 905-918.

Bassiouni C., Aut Dedere Aut Judicare , Martinus Nijhoff, La Haye, 1995.

Graditzky T., « La responsabilité pénale individuelle pour violation du droit international humanitaire applicable en situation de conflit armé non international », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 829, mars 1998, p. 38-48.

Peyro Llopis A., La Compétence universelle en matière de crimes contre l’humanité , Bruylant, coll. du CREHDO, 2003, 178 p.

« Portée et application du principe de compétence universelle. Déclaration du CICR aux Nations unies, 2011 ». Disponible en ligne sur http://www.icrc.org/fre/resources/documents/statement/united-nations-universal-jurisdiction-statement-2011-10-12.htm

Xavier P., « The principles of universal jurisdiction and complementarity : how do the two principles intermesh », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 88, n° 862, juin 2006, p. 375-398.

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