RéparationIndemnisation
L’indemnisation des victimes de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire est récente en droit international. Elle s’inscrit dans l’exercice du droit aux recours judiciaires reconnus par le droit international aux victimes de violations graves du droit humanitaire et des droits de l’homme, et elle en constitue la dernière phase. Ce droit au recours et à l’indemnisation incombe principalement aux juridictions nationales, compte tenu du faible nombre de recours judiciaires internationaux ouverts aux individus.
Le droit à l’indemnisation des victimes se distingue du régime de responsabilité internationale existant entre les États, qui les oblige à réparer les préjudices causés à un autre État par la violation de leurs engagements internationaux. Ces questions sont tranchées par la Cour internationale de justice, qui peut se prononcer sur le montant des indemnisations interétatiques. Les États peuvent également mettre en œuvre des mécanismes d’indemnisation internationaux directs quand leur responsabilité est engagée du fait d’un préjudice causé à des entités et/ou des individus étrangers. Cela est fréquent dans les opérations militaires internationales, et les décisions relèvent souvent d’accords amiables ou d’arbitrage directement initiés par les forces armées concernées.
Le droit international a recours à plusieurs termes différents pour parler de la réparation des préjudices subis par les victimes de violations graves des droits de l’homme et du droit humanitaire. Il s’agit des termes d’indemnisation, de compensation, de restitution, de réhabilitation, de réadaptation et de satisfaction.
Principes internationaux de réparation
En 2005, la Commission des droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a adopté les « Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire » (E/CN.4/RES/2005/35). Ceux-ci ont été approuvés par l’Assemblée générale des Nations unies en 2006 (A/RES/60/147 du 21 mars 2006). Ces principes insistent en premier lieu sur l’obligation particulière des États de fournir des recours adéquats aux victimes de violations qui sont le plus souvent commises par des organes et agents de l’État. En effet, c’est cette spécificité des violations des droits de l’homme qui rend leur sanction difficile et accroît la vulnérabilité des victimes. Les principes internationaux insistent donc sur la nécessité d’inclure dans le droit national les dispositions utiles à l’interdiction et à la sanction de ces actes, la formation du personnel ayant des fonctions officielles sécuritaires et judiciaires, l’accès à l’information des victimes, la protection des victimes contre les représailles, les garanties contre la répétition de ces actes ou pratiques du fait des organes et agents de l’État, et les règles et procédures permettant la réparation du préjudice subi. Ils affirment que la réparation pleine et effective doit être assurée dans tous les cas et être proportionnée à la gravité de la violation. Ces principes précisent les diverses formes que peut prendre cette réparation : restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition (principes 19 à 23 de la résolution 2005/35). La restitution devrait, dans la mesure du possible, rétablir la victime dans la situation originale qui existait avant que les violations flagrantes ne se soient produites. Cela implique par exemple : la restauration de la liberté, la jouissance des droits de l’homme, de l’identité, de la vie de famille et de la citoyenneté, le retour sur le lieu de résidence et la restitution de l’emploi et des biens.
Une indemnisation devrait être accordée pour tout dommage résultant de violations flagrantes qui se prête à une évaluation économique, selon qu’il convient et de manière proportionnée à la gravité de la violation et aux circonstances de chaque cas.
Ces principes encouragent également les États à informer le public, et particulièrement les victimes de violations flagrantes de droits de l’homme ou de droit international humanitaire, des droits et services qui leurs sont disponibles au nom du droit au recours (services médicaux, psychologiques, juridiques, etc.).
À la lumière des textes et de la pratique internationaux, les principes de réparation destinés aux victimes restent directement rattachés et soumis à la responsabilité de l’État, qui inclut son obligation de réparation en cas de comportement internationalement illicite. Le droit international reconnaît ces principes mais ne crée pas de droit individuel à l’indemnisation. Celui-ci ne peut être mis en œuvre qu’au niveau des tribunaux nationaux.
Ceci est confirmé par une décision rendue en 2012 par la Cour internationale de justice dans un différend opposant l’Allemagne à l’Italie sur l’indemnisation des victimes du nazisme. La Cour a précisé qu’elle ne se prononcerait pas sur l’existence d’un droit individuel à réparation directement opposable et qui serait conféré par le droit international aux victimes de violations du droit humanitaire. Mais elle a affirmé que, « pendant un siècle, la quasi-totalité des traités de paix ou règlement d’après guerre ont reflété le choix soit de ne pas exiger le versement d’indemnités, soit de recourir à titre de compensation au versement d’une somme forfaitaire. Compte tenu de cette pratique, il est difficile d’apercevoir en droit international une règle imposant une indemnisation complète pour chacune des victimes, dont la communauté internationale des États dans son ensemble s’accorderait à estimer qu’elle ne peut souffrir d’aucune dérogation » (Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant), CIJ, jugement du 3 février 2012, § 94 et 108).
L’indemnisation par les cours régionales relatives aux droits de l’homme
Au niveau régional, les conventions relatives aux droits de l’homme posent de façon explicite le principe du droit à l’indemnisation dans le cadre de l’obligation des États de garantir des recours judiciaires effectifs aux victimes de violations des droits de l’homme. Les Cours européenne, interaméricaine et africaine des droits de l’homme (Cour africaine de justice et des droits de l’homme et Cour de justice de la CEDEAO) peuvent décider dans leurs jugements d’octroyer des indemnisations aux victimes des violations en condamnant l’État concerné à payer aux victimes des réparations dont le montant est établi par le juge régional (art. 13 de la Convention européenne, art. 25 et 63 de la Convention interaméricaine, art. 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et art. 28.h et 45 du protocole portant statut de la Cour africaine de justice et des droits de l’homme de 2008, et art. 3.2 du protocole supplémentaire au Protocole relatif à la Cour de justice de la CEDAO de 2005). Dans ce cas, c’est l’État national qui est tenu de réparer financièrement les dommages qu’il a lui-même causés aux victimes. Il y est contraint par la décision de justice du juge régional, qui fixe le montant de l’indemnisation. Il ne s’agit pas dans ce cas d’un mécanisme large de solidarité internationale mais d’une mise en cause judiciaire de la responsabilité de l’État dans les préjudices subis par les individus.
Cour pénale internationale (CPI) ▸ Cour européenne des droits de l’homme ▸ Cour et Commission interaméricaines des droits de l’homme ▸ Commission et Cours africaines des droits de l’homme ▸ Recours individuels ▸ Droits de l’homme
Jurisprudence
- Cour pénale internationale
ICC-01/04-01/06, Prosecutor v. Thomas Lubanga Dyilo, Decision establishing the principles and procedures to be applied to reparations , § 185 à 196, voir supra .
- Cour internationale de justice
La CIJ rappelle dans plusieurs décisions qu’« il est bien établi en droit international général que l’État responsable d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer en totalité le préjudice causé par ce fait ». Voir Usine de Chorzów, compétence, 1927, C.P.J.I. série A n° 9, p. 21 ; Projet Gab íkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 81 , § 152 ; Avena et autres ressortissants mexicains(Mexique c. États-Unis d’Amérique), C.I.J. Recueil 2004 , p. 59, § 119 ; Activités armées sur le territoire du Congo(République démocratique du Congo c. Ouganda),arrêt, C.I.J. Recueil 2005 , p. 168. Dans cette dernière affaire notamment « la Cour juge par ailleurs appropriée la demande de la RDC tendant à ce que la nature, les formes et le montant de la réparation qui lui est due soient, à défaut d’accord entre les parties, déterminés par la Cour dans une phase ultérieure de la procédure » (§ 260-261).
Dans son jugement dans l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce intervenant, jugement, 3 février 2012), la CIJ distingue le régime du droit à réparation individuelle qui reste soumis au principe de l’immunité juridictionnelle des États et celui de l’obligation de réparation existant dans les relations entre les États . « La Cour ne se prononce pas sur l’existence d’un droit individuel à réparation directement opposable qui serait conféré par le droit international aux victimes de violations du droit des conflits armés » (§ 108).
« Une décision tendant à reconnaître l’immunité d’un État n’entre pas davantage en conflit avec l’obligation de réparation qu’avec la règle interdisant le fait illicite commis à l’origine. De surcroît, pendant un siècle, la quasi-totalité des traités de paix ou règlement d’après guerre ont reflété le choix soit de ne pas exiger le versement d’indemnités, soit de recourir à titre de compensation au versement d’une somme forfaitaire. Compte tenu de cette pratique, il est difficile d’apercevoir en droit international une règle imposant une indemnisation complète pour chacune des victimes, dont la communauté internationale des État dans son ensemble s’accorderait à estimer qu’elle ne peut souffrir aucune dérogation » (§ 94).
Contacts
UNVFVS/UNVFVT
OHCHR
Palais des Nations, CH-1211 Genève 10 / Suisse.
Redress (London-based association that helps victims of torture to obtain justice and reparation) : http://www.redress.org
Pour en savoir plus
Flauss J. F. et Lambert- Abdelgawad E., La Pratique d’indemnisation par la Cour européenne des droits de l’homme , Bruylant., 2011, 360 p.
Gillard E. C., « Réparations pour violations du droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 851, numéro spécial : Les Victimes après la guerre - action humanitaire, réparation et justice , septembre 2003, p. 529-554.
Kolliopoulos A. et Dupuy P. M., La Commission d’indemnisation des Nations unies et le droit de la responsabilité internationale , LGDJ, Paris, 2001, 483 p.
« La participation des victimes aux procédures de la Cour pénale internationale. Étude de la pratique et considération des options pour le futur », Redress, octobre 2012, 70 p.
« Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire », Commission des droits de l’homme du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, résolution 2005/35 ; Assemblée générale des Nations unies, résolution A/RES/60/147. Disponible en ligne : http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/60/147&Lang=F
Revue internationale de la Croix-Rouge , numéro spécial « Commissions vérité et réconciliation », vol. 88, n° 862, juin 2006.
Wooldrige F. et Olufemi , « Les considérations d’ordre humanitaire dans les travaux de la Commission d’indemnisation des Nations unies », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 851,numéro spécial : Les Victimes après la guerre - action humanitaire, réparation et justice , septembre 2003, p. 555-581.
Zegveld L., « Réparation en faveur des victimes selon le droit international humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 851, numéro spécial : Les Victimes après la guerre - action humanitaire, réparation et justice , septembre 2003, p. 497-528.