Cour internationale de justice (CIJ)
La Cour internationale de justice (CIJ) est l’organe judiciaire créé par la Charte des Nations unies (ONU) en 1945 pour le règlement des différends entre États. Son statut fait partie intégrante de la Charte des Nations unies (il y est annexé) et la création de la CIJ est mentionnée dans le 14e chapitre de la Charte des Nations unies. La CIJ n’est compétente qu’à l’égard des États et non des individus. La CIJ ne doit pas être confondue avec la Cour pénale internationale (CPI), qui juge les individus sur la base de leur responsabilité pénale individuelle pour des crimes relevant du droit international. De son côté, la CIJ se concentre sur les obligations et les responsabilités internationales des États en tant que tel.
La CIJ rends des jugements obligatoires quand elle est saisie par des Etats. Elle peut aussi rendre des avis consultatifs quand elle est saisie de certaines questions juridique par certains organes de l’ONU.
La compétence de la CIJ s’applique à tous les différends entre États comportant un élément juridique tel que l’interprétation d’un traité, toute question de droit international, l’existence d’un fait qui, s’il était établi, constituerait une violation par un État de ses obligations internationales, et la nature ou l’étendue de la réparation à accorder pour la violation d’une telle obligation (art. 36 du statut de la CIJ).
Bien que la CIJ soit un organe prévu par la Charte des Nations unies, l’acceptation de sa compétence n’est pas obligatoire pour les États membres de l’ONU, qui restent libres d’accepter sa juridiction et de lui soumettre leurs différents sur une base permanente ou ad hoc.
Les États peuvent saisir la CIJ concernant leurs différents avec d’autre Etats que si ces derniers ont également accepté la compétence de la CIJ. Cependant, il est possible dans certains cas de contourner cette restriction. En effet un certain nombre de traités internationaux contiennent des dispositions spéciales qui soumettent obligatoirement à la CIJ les différends relatifs à leur interprétation. Ces dispositions servent donc de base à la compétence automatique et obligatoire de la CIJ à l’égard des États parties à ces conventions internationales. C’est notamment le cas pour la convention sur le génocide de 1948 et celle pour la lutte contre la discrimination raciale de 1965.
Au fil des ans, de nombreuses situations de conflit armé ont été déférées à la CIJ par des États parties sur la base de cette compétence automatique de la CIJ à l’égard des conventions internationales, en particulier celles relatives au génocide, à la discrimination raciale ou au terrorisme. L’avis consultatif de la CIJ a également été demandé par l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU), conformément à l’article 96, paragraphe 1, de la Charte des Nations unies, dans d’autres situations de conflit armé où les travaux du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) étaient limités par le ou les veto d’un membre permanent (par exemple, en ce qui concerne la légalité de l’utilisation par un État d’armes nucléaires dans un conflit armé, les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé et l’admission d’un État au sein des Nations unies).
La Composition (I) et les compétences (II) de la CIJ permettent de comprendre la portée de sa jurisprudence dans la gestion judiciaire des situations de conflits armé.
Sa jurisprudence (III) fixe le contenu et l’interprétation de règles fondamentales du droit international et du DIH applicable dans des situations de conflits armés tels que le Nicaragua ; l’ex-Yougoslavie ; la RDC ; l’Ukraine et la Russie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; Myanmar ; la Palestine et Israël , et le Kosovo (III.1). Les décisions et avis de la CIJ, clarifient également le contenu de règles fondamentales du droit international et du DIH qui sont aussi utilisées par les tribunaux pénaux internationaux et la CPI (III.2).
La CIJ a notamment clarifié la différence qui existe entre la responsabilité des Etats et la responsabilité pénale des individus, pour les violations du droit international, y compris le droit international humanitaire et des droits de l’homme. Elle s’est prononcée sur des questions telles que l’action humanitaire et l’ingérence dans les affaires intérieures d’un État, le recours légitime aux forces armées, la légitime défense, le génocide et l’agression, l’utilisation d’armes nucléaires, la responsabilité de l’État du fait des activités de ses propres agents et organes, mais aussi du fait du contrôle qu’il exerce sur les activités des groupes armés non étatiques et dans les situations d’occupation. La CIJ a également donné des avis consultatifs sur des sujets tels que le droit à l’autodétermination applicable au processus de décolonisation et à l’administration des anciens territoires et sur les privilèges et immunités du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme. La CIJ a réaffirmé l’application concurrente et extraterritoriale des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi que l’obligation de réparer les dommages causés par les actes illicites des États.
Dans ses arrêts, la CIJ applique les règles existantes du droit international telles que les conventions internationales, le droit coutumier, la jurisprudence antérieure, les principes généraux du droit et la doctrine internationale. La CIJ peut également, si les parties concernées sont d’accord, fonder son jugement sur des notions plus larges d’« équité » (article 38(2) du Statut de la CIJ), auquel cas sa décision s’apparentera davantage à un jugement arbitral qu’à un jugement de contentieux classique.
Les décisions de la CIJ sont contraignantes et définitives pour les États parties à l’affaire et ne sont pas susceptibles d’appel (art. 94(1) de la Charte des Nations unies, art. 60 du statut de la CIJ). Le Conseil de sécurité des Nations unies a le pouvoir, à la demande de l’État lésé, de prendre des mesures spéciales pour faire exécuter un arrêt rendu par la CIJ (article 94, paragraphe 2, de la Charte des Nations unies). Les décisions de la CIJ ne sont contraignantes que pour les États parties au différend.
Les arrêts et décisions de la CIJ permettent d’établir les faits et le droit applicable dans une situation donnée et de déterminer si un État est responsable d’actes en violation de ses obligations internationales. Un fait est considéré comme internationalement illicite s’il peut être attribué au comportement de l’État, de ses agents ou des personnes agissant en son nom ou sous son contrôle. Un tel fait engage la responsabilité internationale de l’État et donne lieu à un droit à réparation. Dans ce cas, l’État en question est tenu de réparer intégralement les dommages causés par son comportement internationalement illicite, conformément aux principes généraux du droit international public relatifs à la responsabilité des États. La CIJ elle-même ne détermine généralement pas le montant des réparations dans ses arrêts. La question des réparations est renvoyée aux négociations directes entre les États. Si les États sont en désaccord sur le montant des réparations, ils peuvent décider de soumettre ce différend spécifique à la CIJ. Un État partie à un différend soumis à la CIJ peut demander à la Cour d’ordonner des mesures provisoires immédiates sans attendre sa décision finale sur le fond de l’affaire, qui peut prendre des années. Les décisions sur les mesures provisoires sont contraignantes pour les États et visent à empêcher une nouvelle détérioration de la situation. Les mesures provisoires sont particulièrement pertinentes dans les situations de conflit armé et d’allégations de crimes de masse contre la population.
En plus de statuer sur les différends soumis par les États, l’article 65 du statut de la CIJ prévoit que la Cour peut donner des avis consultatifs à la demande de tout organe ou organisation internationale (intergouvernementale) autorisé par la Charte des Nations unies. L’article 96 de la Charte des Nations unies confère ce pouvoir à l’AGNU et au CSNU, ainsi qu’à tout organe ou agence spécialisée des Nations unies spécifiquement autorisé par une décision de l’AGNU à demander des avis consultatifs. Bien que non contraignants, les avis consultatifs de la CIJ contribuent à la clarification et au développement du droit international. Ils ont également une autorité juridique et morale qui peut jouer un rôle dans la diplomatie préventive. En effet, la Charte des Nations unies encourage le recours à la CIJ parmi les moyens non militaires dont dispose le Conseil de sécurité des Nations unies pour le règlement pacifique des différends et des menaces à la paix et à la sécurité internationales (articles 36 à 41 de la Charte des Nations unies).
☞ Les particuliers et les organisations non gouvernementales ne peuvent pas saisir la CIJ.
- La juridiction de la CIJ n’est pas obligatoire pour les États. Les États doivent accepter formellement la compétence de la CIJ, soit sur une base générale et permanente, soit sur une base ad hoc pour un différend particulier (article 36 du statut de la CIJ). Une fois qu’un État accepte de soumettre une affaire à la CIJ, les décisions de la Cour deviennent juridiquement contraignantes pour cet État.
- De nombreux traités internationaux prévoient que les différends relatifs à leur interprétation peuvent être soumis à la CIJ. Cela crée une base supplémentaire pour la compétence automatique de la CIJ entre tous les États parties à ces conventions.
- La CIJ peut également, en plus des litiges, émettre des avis consultatifs sur l’interprétation du droit international et des traités internationaux à la demande de certains organes de l’ONU (art. 96 de la Charte de l’ONU, art. 65-68 du statut de la CIJ).
I. Composition
La CIJ est composée de 15 juges, chacun de nationalité différente, élus pour neuf ans par l’AGNU et le CSNU (art. 3 du statut de la CIJ). Les juges doivent être choisis de manière à assurer la représentation des principaux systèmes juridiques du monde (article 9 du statut de la CIJ). Le siège de la CIJ est situé à La Haye, aux Pays-Bas.
II. Compétence
1. Différends entre Etats
Tous les États membres des Nations unies sont automatiquement parties au statut de la CIJ (article 93, paragraphe 1, de la Charte des Nations unies). Toutefois, l’acceptation de la compétence de la CIJ reste facultative. Les États doivent accepter expressément de soumettre à la CIJ les questions de droit ou de fait sur lesquelles ils sont en litige avec d’autres États. Une fois que les États acceptent la compétence de la CIJ dans un cas particulier ou en général, ils sont automatiquement liés par sa décision.
Les États peuvent accepter la compétence de la CIJ de trois manières différentes :
- Un État peut à tout moment déclarer formellement qu’il reconnaît la compétence générale de la CIJ comme obligatoire, pour tout différend qui pourrait surgir avec tout autre État ayant fait la même déclaration. (art. 36(2) du statut de la CIJ). L’État peut également renoncer à cette condition de réciprocité. La CIJ est alors compétente pour statuer sur toute question juridique relative à l’interprétation d’un traité, sur tout point de droit international, ainsi que sur l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait une violation d’une obligation internationale, et sur la nature ou l’étendue de la réparation à accorder pour une telle violation.
- Les États impliqués dans un différend juridique particulier peuvent décider d’un commun accord de soumettre cette affaire à la juridiction de la CIJ (article 36(1) du statut de la CIJ).
- Les États peuvent également être parties à l’une des quelque 300 conventions et traités internationaux qui soumettent à la CIJ des questions d’interprétation ou des différends entre États. Dans ce cas, un État partie à un tel traité international peut déclencher la compétence automatique de la CIJ en ce qui concerne ce traité international. Cette troisième option est souvent choisie par les États pour déclencher la compétence automatique de la Cour. Par exemple, de nombreux différends relatifs à des situations de conflit armé sont portés devant la CIJ sur la base de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ou de la Convention sur le génocide.
2. Renvoi et avis consultatifs
La CIJ peut être saisie par le Conseil de sécurité des Nations unies lorsque celui-ci est impliqué dans le règlement pacifique d’un différend entre États, dont la nature est essentiellement juridique (art. 33 et 36(3) de la Charte des Nations unies). Il s’agit dans ce cas d’une saisine pour obtenir un jugement à caractère obligatoire.
Un avis consultatif sur toute question juridique peut également être demandé par l’AGNU et le CSNU, en leur nom propre. D’autres organes et institutions de la famille des Nations unies peuvent également être autorisés par l’AGNU à demander des avis consultatifs à la CIJ sur des questions relatives au mandat et aux activités de cet organe (art. 96 de la Charte des Nations unies, art. 65(1) du Statut de la CIJ).
3. Mesures conservatoires
Compte tenu de la longue durée des affaires de la CIJ et de la lenteur des procédures, la CIJ peut, si la nature de l’affaire le justifie, prendre une décision imposant des mesures conservatoires à l’une des parties sans attendre le jugement sur le fond de l’affaire (art. 41 du statut de la CIJ). Une mesure provisoire protège les droits d’une partie à l’affaire avant que la CIJ ne prenne une décision définitive et prévient les dommages graves et irréversibles qui pourraient autrement se produire pendant la période nécessaire à l’examen de l’affaire au fond. Ces mesures sont obligatoires et sans préjudice de la décision finale. Le non-respect de ces mesures provisoires constitue une violation des obligations internationales de l’État concerné et engage sa responsabilité juridique. L’arrêt définitif de la CIJ tiendra pleinement compte du respect ou du non-respect des mesures provisoires adoptées au cours de l’examen.
Un certain nombre d’arrêts de la CIJ ont clarifié son pouvoir d’ordonner des mesures conservatoires de toute urgence, sans attendre la décision finale de l’affaire. La Cour définit l’urgence en termes de risque réel et imminent de préjudice irréparable. Elle considère que cette condition d’urgence est remplie, en particulier, lorsque :
- des dommages irréparables peuvent être causés à des droits faisant l’objet d’une procédure judiciaire ;
- le non-respect présumé de ces droits peut avoir des conséquences irréparables ;
- il existe un risque réel et imminent qu’un dommage irréparable soit causé ;
- les actes susceptibles de causer des dommages irréparables peuvent se produire à tout moment. Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 3, paras. 64 et 65 ; Allégations de violations du Traité d’amitié, de relations économiques et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, C.I.J. Recueil 2018, p. 645, par. 77 ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022, p. 211, paras. 65, 66, 74, 75 et 77.
- la situation est instable et la population affectée reste vulnérable aux violations et à des violences pouvant entraîner des pertes en vies humaines et des lésions corporelles. Voir Application de la Convention internationale sur l’élimination de la discrimination raciale (Géorgie v. Fédération de Russie), mesures provisoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 353, paras. 142 et 143.
- Il faut veiller à ce qu’aucun dommage irréparable ne soit causé à des personnes ou à des biens à la suite d’affrontements armés entraînant des morts, des blessés et le déplacement de la population locale, ainsi que des dommages à un site du patrimoine mondial de l’UNESCO. Voir Demande d’interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Preah Vihear (Cambodge c. Thaïlande), mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 537, paras. 53 et 61. Voir aussi, par exemple, Affaire du personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), mesures conservatoires, ordonnance du 15 décembre 1979, C.I.J. Recueil 1979, p. 20, par. 42 ; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures conservatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 3, par. 21 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la zone frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), mesures conservatoires, ordonnance du 8 mars 2011, C.I.J. Recueil 2011, p. 6, par. 75.
- des violations graves et répétées des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont été commises, et les biens et les ressources de la zone de conflit restent vulnérables. Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), mesures conservatoires, ordonnance du 1er juillet 2000, C.I.J. Recueil 2000, p. 111, paras. 42 et 43.
- pour protéger les prisonniers ou autres détenus contre le risque d’être blessés ; Voir Jadhav (Inde c. Pakistan), mesures provisoires, ordonnance du 18 mai 2017, C.I.J. Recueil 2017, p. 231, para. 61 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique), mesures provisoires, ordonnance du 5 février 2003, C.I.J. Recueil 2003, p. 77, paras. 55 et 59 ; LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), mesures provisoires, ordonnance du 3 mars 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 9, par. 24-29 ; Convention de Vienne sur les relations consulaires (Paraguay c. États-Unis d’Amérique), mesures provisoires, ordonnance du 9 avril 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 248, par. 37, 39 et 41 ; Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 98.
- ces actions pourraient entraîner la destruction de preuves matérielles dont la Cour a besoin. (Voir Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), mesures conservatoires, ordonnance du 10 janvier 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 3, par. 20. Voir aussi, par exemple, Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), mesures conservatoires, ordonnance du 15 mars 1996, C.I.J. Recueil 1996, p. 13, par. 43.
4. Réparations
La CIJ est compétente pour statuer sur tout différend qui lui est soumis par les États concernant la nature ou l’étendue de la réparation à accorder pour la violation d’une obligation internationale (article 36 du statut de la CIJ). La jurisprudence internationale confirmée par la CIJ a établi que l’État responsable d’un fait internationalement illicite est tenu de réparer intégralement les dommages causés par ce fait. (Affaire de l’usine de Chorzow, demande d’indemnité (compétence), 26 juillet 1927, série A, n° 9, p. 21 ; Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie], demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, Recueil de la CIJ 1997, p. 243, paragraphe 152 ; et affaire de l’usine d’Avena et de l’usine d’Ostende [Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie], ordonnance du 17 décembre 1997, Recueil de la CIJ 1997, p. 243, paragraphe 152) 152 ; et l’affaire Avena et autres ressortissants mexicains [Mexique c. États-Unis d’Amérique], arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 12, par. 119). Cependant, comme expliqué ci-dessus, la CIJ ne se prononce pas directement sur le montant et la nature des réparations. Son premier arrêt établit l’existence d’un fait illicite de l’État et renvoie la question des réparations aux États dans le cadre d’une deuxième phase de négociations. La CIJ encadre ces négociations en précisant que « dans la phase de la procédure consacrée à la réparation, aucune des parties ne peut remettre en cause les conclusions de son arrêt, celles-ci étant passées en force de chose jugée ». (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci [Nicaragua c. États-Unis d’Amérique], fond, arrêt, CIJ Recueil 1986, p. 14, par. 284). La CIJ limite son rôle dans ce domaine en déclarant qu‘“il n’appartient pas à la Cour de déterminer le résultat final des négociations que doivent mener les parties. Dans ces négociations, les parties devraient, de bonne foi, rechercher une solution concertée fondée sur les conclusions du présent arrêt » (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, CIJ Recueil 2005, p. 168, par. 261). Selon la CIJ, le fait que les parties à un différend ne parviennent pas à s’entendre sur la question des réparations ne suffit pas à justifier sa compétence. Dans un certain nombre d’affaires, la CIJ a suggéré que le désaccord devait être de nature juridique et non simplement financière pour que les parties puissent porter l’affaire devant la Cour. Elle a également jugé dans certains cas qu’en l’absence d’accord entre les parties, la question des réparations dues devait être déterminée par la Cour. Sur cette base, la CIJ a identifié et décidé des réparations appropriées dans plusieurs affaires, telles que les affaires Costa Rica/Nicaragua et République démocratique du Congo/Ouganda. (Voir Certaines activités menées par le Nicaragua dans la zone frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 665 et Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, para. 345 et Réparations, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p.13, para. 409).
III. Jugements et avis consultatifs d’intérêt en DIH
Les décisions de la CIJ concernent l’application et les violations du droit international et du DIH dans plusieurs pays confrontés à des situations de conflits armés (1). Certaines de ces situations ont également été examinées par les tribunaux pénaux internationaux ad hoc et par la CPI. Les décisions de la CIJ définissent et établissent les différents aspects de la responsabilité des États dans ces situations. Elles complètent le travail des tribunaux pénaux internationaux qui n’examine que la responsabilité pénale individuelle. Les décisions de la CIJ définissent le contenu et l’application de nombreux concepts du droit international et du DIH (2).
1. Les travaux de la CIJ sur les conflits armés et les crimes internationaux
L’implication de la CIJ dans diverses situations de conflit armé illustre son rôle d’organe judiciaire de règlement des différends internationaux entre États, en complément du rôle du CSNU concernant le maintien de la paix et de la sécurité internationale et de celui des tribunaux pénaux internationaux concernant la responsabilité criminelle individuelle.
La CIJ a notamment été impliquée dans la gestion de différends soumis par des États dans les situations de conflit armé suivantes : a) Nicaragua ; b) ex-Yougoslavie ; c) RDC ; d) Ukraine et Russie ; e) Arménie et Azerbaïdjan ; f) Myanmar ; g) Israël .et Palestine et h) Kosovo.
Dans plusieurs décisions, la CIJ a réaffirmé sa compétence pour agir en parallèle avec le CSNU lorsque d’autres organes de l’ONU le lui demandent afin de donner un avis consultatif sur des situations de conflit armé traitées par le CSNU ou lorsque le travail de ce dernier est bloqué par le véto des membres permanents.
a) Nicaragua
En 1984, le Nicaragua a demandé à la CIJ de condamner l’intervention militaire des États-Unis au Nicaragua, qui a été menée en soutenant des groupes armés opérant sur le territoire du Nicaragua et contre le Nicaragua (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, (voir supra, section I.4)). Dans cette affaire, la CIJ a examiné les critères permettant de distinguer (1) l’action humanitaire de l’ingérence illicite dans les affaires intérieures d’un État, (2) la nature coutumière et la responsabilité de l’État à l’égard des groupes armés agissant sous son contrôle effectif, et (3) la définition de l’agression et du droit de légitime défense ( voir infra , section III.2).
b) ExYougoslavie
De 1993 à 2015, la CIJ a été appelée à traiter des questions liées au conflit armé sur le territoire de l’ex-Yougoslavie, parallèlement à l’intervention militaire des Nations unies et à l’action du TPIY ad hoc (tous deux créés par le Conseil de sécurité des Nations unies). Trois affaires différentes ont été soumises à la CIJ par les différentes parties au conflit armé en ex-Yougoslavie. Le déroulement de la procédure a reflété un parallèle parfait entre l’évolution du conflit armé dans l’ex-Yougoslavie et sa traduction simultanée en un différend juridique. (Voir les affaires Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie et Monténégro) qui a débuté le 20 mars 1993 et Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) qui a débuté le 24 avril 2001).
Le 20 mars 1993, la Bosnie-Herzégovine a saisi la CIJ en vertu de la convention sur le génocide. La requête concernait des actes de génocide commis pendant le conflit entre la Bosnie et la Serbie de 1991 à 1995, puis en 1999 et 2000. Il était demandé à la CIJ de déterminer si l’État de Serbie pouvait être tenu pour responsable des actes de génocide présumés commis par les milices serbes de Bosnie en raison du soutien et du contrôle qu’il exerçait sur ces groupes armés sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Le 8 avril 1993, la CIJ a rendu une ordonnance de mesures conservatoires avant de procéder à l’examen des exceptions préliminaires soulevées par la Serbie-et-Monténégro concernant la compétence de la CIJ en matière de génocide. Le 11 juillet 1996, la CIJ a rendu son arrêt sur les exceptions préliminaires et a commencé l’examen du fond de l’affaire. La Serbie-et-Monténégro a demandé un réexamen de la décision du 11 juillet 1996, qui a été refusé par la Cour le 3 juillet 2003. L’arrêt sur le fond a finalement été rendu le 26 février 2007, soit 16 ans après les faits et 12 ans après la fin du conflit armé. (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [Bosnie-et-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro], arrêt, CIJ Recueil 2007, p. 43) L’arrêt de la CIJ clarifie deux éléments principaux : il reconnaît que, parmi les crimes commis pendant le conflit armé, seuls ceux commis à Srebrenica constituent un génocide (paragraphe 297). Les autres crimes n’avaient pas l’intention spécifique requise par la convention sur le génocide et s’apparentent davantage à un nettoyage ethnique et à d’autres crimes contre l’humanité (paragraphe 376). La Cour a jugé que ce qui est communément appelé « nettoyage ethnique » ne constitue pas en soi une forme de génocide. Le génocide présuppose l’intention de détruire physiquement un groupe de personnes en tant que tel, en tout ou en partie, et pas seulement la volonté de l’expulser d’un territoire donné. Les actes de « nettoyage ethnique » peuvent en effet constituer des éléments de la mise en œuvre d’un plan génocidaire, mais seulement s’il existe une intention de détruire physiquement le groupe ciblé et pas seulement d’assurer son transfert par la force (paragraphe 190). La Cour a estimé que l’intention spécifique de détruire le groupe en tout ou en partie devait être établie de manière convaincante par référence à des circonstances particulières, à moins qu’il n’existe des preuves irréfutables de l’existence d’un plan général à cette fin ; et pour qu’un modèle de comportement soit considéré comme une preuve d’une telle intention, il devrait être tel qu’il ne puisse qu’indiquer l’existence d’une telle intention (par. 373). Ainsi, la Cour a accepté la possibilité de prouver l’intention génocidaire indirectement par déduction. Cependant, pour déduire l’existence d’un dolus specialis d’un modèle de comportement, il est nécessaire que ce soit la seule déduction qui puisse raisonnablement être tirée des actes en question.
La CIJ a également jugé que la Serbie ne pouvait être tenue pour responsable des actes de génocide commis à Srebrenica en juillet 1995, car il n’avait pas été établi que ces actes avaient été commis soit par ses propres agents, soit par des personnes ou entités étrangères dépendant entièrement de la Serbie (paragraphes 395, 415 et 471). Toutefois, l’arrêt de la CIJ a conclu que la Serbie avait violé son obligation au titre de l’article I de la convention sur le génocide en n’usant pas de son influence sur les milices serbes de Bosnie pour empêcher le génocide (paragraphes 428-438). La Serbie a également violé l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article VI de la convention sur le génocide de punir les auteurs du génocide, notamment en ne coopérant pas pleinement avec le TPIY dans le cadre de la remise du général Ratko Mladić en vue de son procès (paragraphes 439-450). Enfin, la Cour a estimé que la Serbie avait également violé les mesures conservatoires ordonnées par la Cour le 8 avril 1993 (paragraphes 52.A.1 et 52.A.2), qui lui imposaient de « prendre toutes les mesures en son pouvoir pour empêcher la commission du crime de génocide » et de « veiller à ce que toutes […] organisations et personnes susceptibles d’être soumises à son […] influence […] ne commettent pas d’actes de génocide » (paragraphe 456). Cette décision a étendu la responsabilité des Etats pour les actes commis par des groupes armés étrangers non étatiques sur lesquels ils ont un certain degré d’influence et de contrôle. (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, arrêt du 26 février 2007).
Le 2 juillet 1999, la Croatie a également déposé une plainte contre la Serbie-et-Monténégro pour des actes de génocide commis pendant la guerre de 1991 et 1995 (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie)) qui a débuté le 2 juillet 1999 et s’est achevée le 3 février 2015. La Serbie a soulevé les mêmes exceptions préliminaires à la compétence de la Cour que dans l’affaire de la Bosnie. Par un arrêt du 18 novembre 2008, la CIJ s’est déclarée compétente pour connaître de l’affaire. (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie-et-Monténégro), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 412). Le 4 janvier 2010, la République de Serbie a déposé un contre-mémoire contenant une demande reconventionnelle pour génocide commis par la Croatie à l’encontre de la Serbie. L’arrêt définitif dans cette affaire a été rendu par la Cour le 3 février 2015, dans lequel la CIJ a confirmé sa compétence en vertu de la convention sur le génocide pour statuer sur le fond de l’affaire. Cependant, la CIJ a rejeté la demande de la Croatie et la demande reconventionnelle de la Serbie pour génocide. La Cour a estimé que, malgré la réalité des meurtres de ressortissants ou de groupes ethniques croates, il n’avait pas été suffisamment établi que les actes en question reflétaient une intention génocidaire. S’agissant des meurtres de Serbes de Croatie en tant que groupe national ou ethnique, la Cour estime qu’ils n’ont pas été commis à une échelle telle qu’ils indiquent l’existence d’une intention génocidaire (paras. 148, 440, 441, 510 et 515) (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Croatie c. Serbie, arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 3).
Le 29 avril 1999, à la suite des bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Kosovo, les pays de Serbie et Monténégro ont saisi la CIJ de 10 affaires similaires concernant la légalité de l’usage de la force par l’Allemagne, la Belgique, le Canada, l’Espagne, les États-Unis, la France, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni. Dans deux de ces dix affaires (Espagne et États-Unis), la Cour, par ordonnance du 2 juin 1999, s’est déclarée manifestement incompétente et a ordonné le retrait de ces deux affaires du rôle. (Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Espagne), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 76 et Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. États-Unis d’Amérique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 916). Puis, le 23 décembre 2003, la CIJ s’est jointe aux huit autres affaires. Le 15 décembre 2004, la CIJ a rendu un arrêt déclarant qu’elle n’était pas compétente pour connaître de cette affaire conjointe et qu’elle n’avait pas examiné le fond de l’affaire (voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Belgique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 279 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Canada), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 429 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 575 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Allemagne), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 575 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. C.J.I. Recueil 2004, p. 1011 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Portugal), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 1160 ; et Licéité de l’emploi de la force (Serbie et Monténégro c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2004, p. 1307).
c) République démocratique du Congo (RDC)
De 1999 à 2022, la CIJ a examiné quatre plaintes déposées par la République démocratique du Congo (RDC) concernant des actes d’agression armée commis sur son territoire par l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi. Le 31 janvier 2001, la RDC a suspendu sa procédure contre le Rwanda et le Burundi en ne maintenant que la plainte contre l’Ouganda (Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168). Cette plainte a été déposée dans le contexte d’une guerre régionale pour laquelle le CSNU dirigeait, depuis 1996, l’une de ses plus importantes missions de maintien de la paix, la MONUSCO (anciennement MONUC). En 2001, à la suite d’une demande de mesures provisoires déposée par la RDC en juin 2000, la Cour a ordonné aux deux parties de prévenir et de s’abstenir de toute action armée. En 2001, l’Ouganda a également déposé trois demandes reconventionnelles contre la RDC. Deux de ces demandes reconventionnelles ont été jugées recevables par la CIJ et ont été incluses dans la procédure. Dans son ordonnance de novembre 2001 sur les demandes reconventionnelles ougandaises, la Cour a jugé que le soutien politique et militaire allégué de la RDC à des groupes rebelles anti-Ouganda opérant sur le territoire ougandais n’avait pas été prouvé. Toutefois, elle a reconnu que l’attaque de l’ambassade ougandaise située dans la commune de Ndili en RDC et les violences contre le diplomate constituaient une violation par la RDC de ses obligations au titre de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques.
Le 28 mai 2002, la RDC a déposé une nouvelle requête contre le Rwanda pour « violations massives, graves et flagrantes des droits de l’homme et du droit international humanitaire » résultant « d’actes d’agression armée perpétrés par le Rwanda sur le territoire de la République démocratique du Congo en violation flagrante de la souveraineté et de l’intégrité territoriale [de la RDC], telles que garanties par la Charte des Nations Unies et la Charte de l’Organisation de l’unité africaine ». La RDC a ajouté que la compétence de la Cour découlait de la suprématie des normes impératives (jus cogens) dans le domaine des droits de l’homme, telles que reflétées dans certains traités et conventions internationaux ainsi que dans les « clauses compromissoires » de nombreux instruments juridiques internationaux. Dans son arrêt du 3 février 2006, la CIJ s’est déclarée incompétente pour traiter la requête de la RDC. Elle a estimé que les instruments internationaux invoqués par la RDC ne pouvaient être invoqués, soit parce que (1) le Rwanda n’y était pas parti, soit (2) parce qu’il avait émis des réserves à leur égard, soit (3) parce que d’autres conditions de compétence de la Cour n’étaient pas réunies. (Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 6).
La procédure de la CIJ dans l’affaire ougandaise a duré plusieurs années et a abouti à un arrêt le 19 décembre 2005 (République démocratique du Congo c. Ouganda). Dans cet arrêt, la CIJ a établi des faits et clarifié plusieurs concepts du droit international humanitaire. La Cour a jugé que l’invasion de la RDC par l’Ouganda constituait une intervention militaire illégale. Elle a précisé que les conditions de la légitime défense n’étaient pas réunies en l’espèce. La Cour a également clarifié la responsabilité internationale de l’État au regard du droit de l’occupation.
La Cour a estimé que l’Ouganda était la puissance occupante dans la région et qu’il était donc responsable des violations du DIH et du droit relatif aux droits de l’homme commises par ses propres forces armées, mais aussi des mêmes violations commises par des groupes armés non étatiques opérant sur le territoire sous son contrôle et son occupation (paragraphes 345(1) et 345(3)). 345(1) et 345(3)). Sur la question de l’exploitation illégale des ressources naturelles congolaises, la Cour a également jugé que l’Ouganda, en tant que puissance occupante, était responsable des actes de pillage et d’exploitation illégale des ressources naturelles commis par des membres des forces armées ougandaises sur le territoire de la RDC. Elle a également conclu qu’elle était responsable de son manquement à son obligation, en tant que puissance occupante, d’empêcher les actes de pillage, de saccage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises commis par d’autres acteurs (para. 345(4)). La Cour a précisé que la responsabilité de l’Ouganda était engagée parce qu’il n’avait pris aucune mesure pour mettre fin à ces actes. Dans son arrêt de 2005, la CIJ a prévu que la nature, la forme et le montant des réparations ne seraient soumis à la Cour que si les parties n’étaient pas en mesure de parvenir à un accord sur la base de l’arrêt.
Après dix ans de négociations infructueuses sur cette indemnisation, la RDC a demandé à la Cour, le 13 mai 2015, de régler la question. La Cour a traité l’affaire entre le 1er juillet 2015 et le 9 février 2022, date à laquelle elle a rendu son arrêt définitif sur la question des réparations. Cet arrêt accorde à la RDC 225 000 000 de dollars US pour les dommages aux personnes, 40 000 000 de dollars US pour les dommages aux biens et 60 000 000 de dollars US pour les dommages aux ressources naturelles. Cette somme devait être payée par l’Ouganda en versements annuels de 65 000 000 dollars US à partir du 1er septembre 2022. (voir infra, Section III.2).
d) L’Ukraine et la Russie
Deux affaires différentes ont été soumises à la CIJ dans le cadre du conflit armé entre l’Ukraine et la Russie, qui a débuté en 2014 et s’est transformé en un véritable conflit armé international en février 2022 :
Le 16 janvier 2017, l’Ukraine a déposé une requête contre la Russie en se fondant sur la compétence de la CIJ pour appliquer la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (ICSFT) et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (CERD). Le 19 avril 2017, la CIJ a ordonné des mesures provisoires fondées uniquement sur la CERD concernant la situation en Crimée, ordonnant à la Russie de respecter les droits et les institutions de la communauté tatare de Crimée et de dispenser un enseignement en langue ukrainienne. Le 18 septembre 2018, la Russie a contesté la compétence de la CIJ à la fois au titre de l’ICSFT et de la CERD. Par un arrêt du 8 novembre 2019, la CIJ a confirmé sa compétence au titre de ces deux traités (voir Application de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019, p. 558, para. 134). La Cour a conclu que même si le financement d’actes terroristes par un État n’entre pas dans le champ d’application de l’ICSFT, cela ne signifie pas qu’il est licite au regard du droit international. Par conséquent, la violation de l’obligation internationale de prévenir et de réprimer le financement du terrorisme engage la responsabilité de l’État (Ukraine c. Fédération de Russie, arrêt du 8 novembre 2009, par. 60 et 61).
L’opinion dissidente du juge Xue a rejeté la compétence de la CIJ dans cette affaire sur la base de la CIFRT ou de la CERD. Il a fait valoir que le différend entre l’Ukraine et la Fédération de Russie découlait du conflit armé non international dans l’est de l’Ukraine. Il a estimé qu’il était presque impossible de faire la distinction entre une violation grave du droit international humanitaire et un acte de terrorisme présumé. Par conséquent, le choix de la Cour de qualifier l’assistance militaire et financière fournie à un État (en l’occurrence, la Russie) de financement du terrorisme, l’a fait entrer dans le domaine des considérations juridiques liées à la définition du caractère d’un conflit armé, une question qui ne relève pas de la compétence de la CIJ selon l’ICSFT. (Ukraine c. Fédération de Russie, arrêt du 8 novembre 2009, paragraphe 5). La date limite pour le dépôt des conclusions écrites finales était le 10 mars 2023. Le 31 janvier 2024 la Cour a rendu son jugement. Elle a déclaré la Russie coupable de violations de la convention international pour la répression du financement du terrorisme et de celle sur la l’élimination de la discrimination raciale, ainsi que pour violation des mesures conservatoires ordonnées par la Cour en 2017. Toutefois la Cour n’a pas fait droit aux nombreuses demandes de l’Ukraine. Concernant le financement du terrorisme, la Cour a rejeté la plupart des accusations au motif que la convention visée n’interdit que les activités de transfert d’argent et pas l’entrainement ou d’autres formes de soutien matériel. Les avocats de l’Ukraine n’ont pas réussi à apporter la preuve d’un financement direct de la Russie dans l’attaque de l’avion de ligne MH 17 de la Malaysia Airlines qui avait été abattu au-dessus du Donbass. La Cour a cependant considéré que la Russie avait violé la convention car elle avait manqué dans cette affaire à son devoir d’enquête, obligation imposée par cette convention.
Le 27 février 2022, suite à l’invasion armée de son territoire par l’armée russe le 24 février 2022, l’Ukraine a saisi la CIJ contre la Russie sur la base d’une question d’interprétation de la convention sur le génocide. Le même jour, l’Ukraine a également demandé des mesures conservatoires. L’Ukraine soutient que le différend entre les parties porte sur la question de savoir si, à la suite de l’affirmation unilatérale de la Fédération de Russie selon laquelle un génocide est en train de se produire, la Fédération de Russie dispose d’une base légale pour entreprendre une action militaire en Ukraine et contre l’Ukraine afin de prévenir et de punir le génocide conformément à l’article I de la convention sur le génocide. Le 16 mars 2022, la CIJ s’est déclarée compétente sur la base de la convention sur le génocide. (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022, p. 211). La Cour a estimé que la convention sur le génocide ne pouvait être interprétée comme justifiant une intervention militaire unilatérale de la Russie. Elle a affirmé que l’Ukraine a un droit plausible à ne pas être soumise à des opérations militaires menées par la Fédération de Russie aux fins de prévenir et de réprimer un génocide allégué sur le territoire de l’Ukraine (paragraphe 60). Considérant le risque de dommages irréparables et l’urgence de la situation, la Cour a pris des mesures conservatoires demandant à la Fédération de Russie de cesser immédiatement l’opération militaire sur le territoire de l’Ukraine qui a débuté le 24 février 2022 et de veiller à ce que toutes les unités militaires ou unités armées irrégulières qu’elle pourrait diriger ou soutenir, ainsi que toutes les organisations et personnes qui pourraient être sous son contrôle ou sa direction, ne prennent aucune mesure en vue de la poursuite desdites opérations militaires. (Ukraine c. Fédération de Russie, ordonnance du 16 mars 2022, paragraphes 65-78 et 86). Le 3 octobre 2022, la Russie a contesté la compétence de la CIJ. La CIJ a ordonné le dépôt définitif des conclusions écrites des parties au plus tard le 3 février 2023 avant de rendre un arrêt définitif sur la question de la compétence de la CIJ dans cette affaire fondée sur la convention sur le génocide. Entre le 21 juillet 2022 et le 15 décembre 2022, 33 États ont déposé des déclarations d’intervention en l’affaire, conformément au paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour, que la CIJ a jugées recevables au stade des exceptions préliminaires de la procédure. 32 États intervenants ont déposé des observations écrites sur l’objet des interventions dans le délai fixé par la CIJ au 3 juillet 2023. Les audiences publiques sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie ont eu lieu du 18 au 27 septembre 2023. Le 2 février 2024 la Cour a rendu son jugement rejetant cinq des six exceptions préliminaires soulevées par la Russie. La Cour se déclare donc compétente pour examiner l’affaire sur le fond.
e) Myanmar
Le 11 novembre 2019, la Gambie a demandé à la CIJ d’engager une procédure contre le Myanmar pour violation présumée de la convention sur le génocide en ce qui concerne le sort du groupe minoritaire des Rohingyas. Elle a fait valoir l’existence d’un acte et d’une intention de commettre un génocide dans la persécution des Rohingyas par les organes et agents de l’État du Myanmar, y compris les forces militaires et de sécurité. Dans la même procédure, elle a demandé des mesures conservatoires (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (La Gambie c. Myanmar, requête introductive d’instance et demande de mesures conservatoires, 11 novembre 2019, para. 132). En particulier, elle a demandé au Myanmar de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir tout acte constitutif de génocide, de veiller à ce que les forces armées militaires, paramilitaires ou irrégulières qu’il pourrait diriger ou soutenir ne commettent pas d’actes de génocide, et de ne pas détruire ou rendre inaccessibles les éléments de preuve relatifs aux événements en l’espèce. Le 20 janvier 2021, le Myanmar a déposé une objection préliminaire contestant la compétence de la CIJ sur l’affaire pour un certain nombre de motifs. Dans son arrêt du 22 juillet 2022, la CIJ a rejeté les objections préliminaires du Myanmar et a conclu que la requête était recevable et que la CIJ était compétente pour connaître de l’affaire sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide. (Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), Objections préliminaires, Arrêt, 22 juillet 2022, para. 115(5)). Le juge chinois a été le seul à exprimer son désaccord, en s’appuyant sur divers arguments juridiques. Ceux-ci incluaient le fait que la CIJ est censée régler les différends entre États et non les situations où un État qui n’est pas partie à un différend particulier (un État non lésé) demande à la Cour de protéger les intérêts communs conformément à une convention. Il a également été avancé que la requête de la Gambie reflétait en fait la position de l’Organisation de l’État islamique, alors que la compétence de la CIJ est limitée aux requêtes des États, à l’exclusion des organisations internationales. (Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), Objections préliminaires, Opinion dissidente du juge Xue, 22 juillet 2022, paras. 4-7, 12-14, 16, 17 et 29). Par ordonnance du 12 mai 2023, la CIJ a fixé au 24 août 2023 la date limite de dépôt des mémoires des parties avant une décision finale sur le fond de l’affaire au titre de la convention sur le génocide. Puis, le 16 octobre 2023, elle a autorisé la Gambie à déposer une réplique avant la date limite du 16 mai 2024 et le Myanmar à soumettre une duplique avant le 16 décembre 2024.
f) Arménie et Azerbaïdjan
Dans le cadre du conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan concernant la région du Haut-Karabagh, qui a repris avec des hostilités armées entre septembre et novembre 2020, deux affaires distinctes ont été soumises à la CIJ. Toutefois, afin de déclencher la compétence automatique de la Cour, les affaires portaient sur des violations de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et non directement sur le différend territorial entre les deux États.
Le 16 septembre 2021, la République d’Arménie a saisi la CIJ d’une affaire concernant des violations alléguées par l’Azerbaïdjan de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale à l’encontre de personnes d’origine ethnique ou nationale arménienne (« Arméniens »), quelle que soit leur nationalité réelle. La requête était accompagnée d’une demande urgente de mesures provisoires à ordonner par la CIJ, en particulier de s’abstenir de pratiques de nettoyage ethnique à l’encontre des Arméniens. (Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), Requête introductive d’instance contenant une demande de mesures conservatoires, 16 septembre 2021, paras. 2 et 131). Le 7 décembre 2021, la CIJ a reconnu l’existence d’un conflit armé en cours entre les deux parties au sujet du statut de la région du Haut-Karabagh, qui était une région autonome avant l’indépendance des deux républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan en 1991. La CIJ a confirmé sa compétence dans le cadre limité de la CERD et a ordonné des mesures provisoires pour protéger la population et le patrimoine culturel contre de nouvelles attaques. (Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361). Le 22 février 2023, dans l’attente de son arrêt définitif sur le fond de l’affaire, la CIJ a pris des mesures conservatoires supplémentaires ordonnant à la République d’Azerbaïdjan de prendre toutes les mesures à sa disposition pour assurer la libre circulation des personnes, des véhicules et des marchandises dans le corridor de Latchine., dans les deux sens. (Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), ordonnance du 22 février 2023, para. 67). Le 21 avril 2023, l’Azerbaïdjan a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et la procédure au fond a donc été suspendue dans l’attente d’une décision sur cette exception préliminaire. Le délai dans lequel l’Arménie pouvait présenter un exposé écrit de ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires a été fixé au 21 août 2023. Les 15 mai et 29 septembre 2023, l’Arménie a demandé à la CIJ de modifier son ordonnance du 22 février 2023. La demande du 15 mai 2023 a été rejetée par la Cour et des audiences publiques ont eu lieu le 12 octobre 2023 concernant la demande de l’Arménie du 29 septembre 2023. Les décisions sur la question de la compétence et la demande de modification de l’ordonnance du 22 février 2023 font actuellement l’objet de délibérations devant la Cour.
L’Azerbaïdjan a répondu à la requête de l’Arménie devant la CIJ par une requête similaire le 23 septembre 2021, se référant à un différend juridique entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie concernant la politique de nettoyage ethnique de l’Arménie et les violations systématiques de la CERD à l’encontre des Azerbaïdjanais. (Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie), requête introductive d’instance, 23 septembre 2021). Le 7 décembre 2021, la CIJ a ordonné des mesures provisoires exigeant de l’Arménie qu’elle prenne toutes les mesures nécessaires pour prévenir l’incitation et la promotion de la haine raciale, y compris par des organisations et des particuliers sur son territoire, à l’encontre des personnes d’origine nationale ou ethnique azerbaïdjanaise. La Cour a également ordonné aux deux parties de s’abstenir de toute action susceptible d’aggraver ou de prolonger le différend porté devant la Cour ou d’en rendre le règlement plus difficile. (Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie), mesures provisoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 405, par. 76(1) et (2)). Dans l’attente d’un jugement définitif sur le fond de l’affaire, l’Azerbaïdjan a demandé des mesures conservatoires supplémentaires le 4 janvier 2023, qui ont été rejetées par une ordonnance de la CIJ du 22 février 2023. (Application de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie), Demande en indication de mesures conservatoires, Ordonnance du 22 février 2023, paras. 25 et 27). Le 21 avril 2023, l’Arménie a soulevé des exceptions préliminaires à la compétence de la Cour et la procédure au fond a donc été suspendue, dans l’attente d’une décision sur cette exception préliminaire. Le délai dans lequel l’Azerbaïdjan pouvait soumettre un exposé écrit de ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires a été fixé au 21 août 2023. Dans son arrêt du 12 novembre 2024, la Cour a rejeté les deux exceptions préliminaires soulevées par l’Azerbaïdjan et s’est déclarée compétente pour juger la requête déposée par l’Arménie.
L’AGNU a également demandé des avis consultatifs à la CIJ dans deux situations complexes concernant le territoire palestinien occupé et l’indépendance du Kosovo. L’AGNU l’a fait sur la base de sa compétence complémentaire à celle du CSNU en matière de maintien de la paix et de sécurité internationale (article 24 de la Charte des Nations unies).
g) Palestine et Israël
L’AGNU a demandé des avis consultatifs à la CIJ dans trois affaires distinctes concernant le territoire palestinien occupé par Israël. L’Afrique du Sud a également déposé une plainte contre Israël devant la CIJ concernant la situation à Gaza, en application de la convention sur le génocide.
Avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé : 9 juillet 2004.
Le 9 juillet 2004, la CIJ a rendu un avis consultatif sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, paras. 24-25, 47, 50 et 96). Cet avis consultatif répondait à une demande formulée dans la résolution ES-10/14 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 8 décembre 2003 en vertu de l’article 65 du statut de la CIJ. L’avis de la CIJ examine la question du droit applicable dans les territoires occupés et de la responsabilité de la puissance occupante en vertu du droit international général, et en particulier du droit international humanitaire. Elle a également déclaré qu’il devrait y avoir une application extraterritoriale des conventions relatives aux droits de l’homme par la puissance occupante dans les territoires étrangers ou les personnes placées sous son contrôle (voir infra, section III.2). Dans cette affaire, la CIJ s’est également prononcée sur l’interprétation des dispositions de la Charte des Nations Unies concernant les responsabilités distinctes de l’AGNU et du CSNU dans le domaine du maintien de la paix. La CIJ a affirmé sa compétence pour émettre un avis consultatif à la demande de l’AGNU sur une situation dans laquelle le CSNU était déjà impliqué (paragraphes 25-28). Elle a jugé que la construction du mur par la puissance occupante dans le territoire palestinien occupé est contraire au droit international, que l’État d’Israël est responsable de cette pratique illégale, que la puissance occupante doit cesser ces travaux et démanteler le mur et verser une indemnité pour tous les dommages causés par la construction du mur. (Paragraphes 147 et 163)
Avis consultatif sur les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est : 19 juillet 2024.
Le 30 décembre 2022, l’AGNU a adopté la résolution A/RES/77/247 soumettant à la CIJ une demande d’avis consultatif sur les conséquences juridiques des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est. (Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, demande d’avis consultatif, 30 décembre 2022). Cette demande s’appuie sur l’avis consultatif de la CIJ émis le 9 juillet 2004 sur les conséquences juridiques de la construction du mur dans le territoire palestinien occupé et demande à la CIJ de se prononcer sur les questions suivantes, notamment en ce qui concerne les violations du droit international humanitaire et des droits de l’homme dans le contexte d’une occupation militaire : Quelles sont les conséquences juridiques de la violation permanente par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation prolongée, de la colonisation et de l’annexion du territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris les mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël de lois et de mesures discriminatoires en la matière ? Comment les politiques et pratiques d’Israël mentionnées au paragraphe 18(a) ci-dessus affectent-elles le statut juridique de l’occupation, et quelles sont les conséquences juridiques qui découlent de ce statut pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?
Le 3 février 2023, la Cour a fixé au 25 juillet 2023 la date limite pour recevoir les informations écrites des agences de l’ONU, y compris le CSNU, et les exposés écrits des États. 57 déclarations écrites d’États ont été déposées au cours de cette période. La Cour a également autorisé, à leur demande, la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine à participer à la procédure. Le 23 octobre 2023, la Cour a également annoncé sa décision de tenir des audiences publiques sur la demande d’avis consultatif à partir du 19 février 2024.
Le 19 juillet 2024 la Cour a rendu son avis consultatif. Elle rappelle que pour être licite, l’occupation doit respecter les règles du droit international humanitaire et des droits de l’homme. En l’espèce, la Cour estime que les pratiques d’occupation d’Israël sont illicites car elles contraires à plusieurs règles du droit international et du DIH en ce qui concerne (1) le transfert par Israël de colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que le maintien de leur présence, interdit par le DIH ; (2) les politiques foncières d’Israël impliquant l’expansion des colonies israélienne au travers de la confiscation ou de la réquisition de terre au détriment de la population palestinienne locale ; (3) la politique d’exploitation des ressources naturelles du Territoire palestinien mise en œuvre par Israël est contraire à l’obligation qu’il a de respecter le droit du peuple palestinien à la souveraineté permanente sur les ces ressources et à l’obligation de la puissance occupante d’administrer le territoire dans l’intérêt de la population locale , (4) l’extension de la législation israélienne aux territoires occupés est contraire aux règles du DIH qui font obligation à la puissance de respecter le droit en vigueur dans le territoire occupé ; (5) le déplacement forcé de la population palestinien est contraire à l’interdiction du transfert forcé de la population d’un territoire occupé ; (6) les violences contre les Palestiniens pour lesquels Israël manque systématiquement à ses obligations de prévenir ou de punir les attaques des colons qui portent atteinte à la vie ou à l’intégrité physique des Palestiniens ; (7) les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est qui ont été établies se poursuivent en violations du droit international.
La Cour estime aussi que le régime de lois et de mesures restrictives qu’Israël impose aux Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé est constitutif de discrimination systémique fondée notamment sur la race, la religion ou l’origine ethnique en violation des règles de droit international de droits de l’homme et de la CIEDR, (paragraphes 180-229).
En outre la Cour constate que ces politiques et pratiques d’occupation illicite ne revêtent pas un caractère temporaire mais sont destinées à rester en place indéfiniment et à créer sur le terrain des effets irréversibles. La Cour estime donc que ces politiques équivalent à une annexion de vastes parties du Territoire palestinien occupé et constituent une violation de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force et du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. La Cour considère également que les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne peuvent pas l’emporter sur l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force (paragraphes 252-258).
La Cour en conclut que : (1) la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé est illicite et que les politiques et pratiques d’Israël dans ce Territoire occupé constitue une violation du droit international et un fait illicite continu qui engage la responsabilité internationale d’Israël. ; (2) l’Etat d’Israël est dans l’obligation de mettre fin à sa présence illicite dans le Territoire palestinien occupé dans les plus bref délais ; (3)l’Etat d’Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle activité de colonisation, et d’évacuer tous les colons du Territoire palestinien occupé ; (4)l’Etat d’Israël a l’obligation de réparer le préjudice causé à toutes les personnes physiques ou morales concernées dans le Territoire palestinien occupé ; (5) tous les Etats sont dans l’obligation de ne pas reconnaitre comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de la situation créée par la présence continue de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé ; (6) les organisations internationales, y compris l’Organisation des Nations Unies sont dans l’obligation de ne pas reconnaitre comme licite la situation découlant de la présence illicite de l’Etat d’Israël dans le Territoire palestinien occupé.
Affaire : Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël)
Le 29 décembre 2023 L’Afrique du Sud a déposé une requête devant la CIJ évoquant une violation par Israël de ses obligations concernant la convention contre le génocide concernant la situation des Palestiniens dans la bande de Gaza. L’Afrique du Sud fonde la compétence de la Cour sur la base de l’article IX de la convention contre le génocide à laquelle les deux Etats sont partis. L’Afrique du Sud demande à la Cour de rendre une ordonnance imposant des mesures conservatoires immédiates à Israël. Des audiences publiques ont été tenues. 13 Etats ont fait interventions auprès de la Cour pour se joindre à l’affaire.
Le 26 janvier 2024 la Cour a rendu une ordonnance commandant à l’Etat d’Israël de prendre les mesures conservatoires suivantes :
- prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission à l’encontre des Palestiniens de Gaza de tout acte entrant dans le champs d’application de la convention sur le Génocide, en particulier le meurtre des membres du groupe, les atteintes grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle, les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe .
- veiller à ce que son armée ne commette aucune des actes énumérés ci-dessus.
- prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza. ;
- prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza
- prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuves relatifs aux allégations d’actes entrant dans la définition du Génocide
Le 12 février et le 6 mars 2024, l’Afrique du Sud a demandé à la Cour d’ordonner des mesures conservatoires additionnelles. Le 28 mars 2024 la Cour a ordonné une sixième mesures conservatoires additionnelle à celles déjà prises et obligeant l’Etat d’Israël à :
- soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un delà d’un mois à compter de celle-ci.
Le 10 mai 2024 l’Afrique du Sud a fait une demande urgente de modification des mesures conservatoires déjà ordonnées par la Cour. Le 24 mai 2024 la Cour a rendu une nouvelle ordonnance confirmant les mesures conservatoires précédentes et rajoutant deux nouvelles mesures en lien direct avec la conduite des hostilités. La Cour ordonne à L’Etat Israélien de :
- arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existences capables d’entrainer sa destruction physique totale ou partielle ; 8)maintenir ouvert le point de passage de Rafah pour que puisse être assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence.
Concernant l’examen de cette affaire sur le fond, la Cour a autorisé le 14 avril 2025 une extension de délai pour le dépôt du contre mémoire par Israël jusqu’au 12 janvier 2026. L’examen sur le fond reste en cours devant la Cour.
Avis Consultatif relatif aux Obligations d’Israël en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci.
Le 19 décembre 2024 L’AGNU a adopté une résolution 79/232 demandant à la cour de rendre à titre prioritaire et de toute urgence, un avis consultatif relatif aux Obligations d’Israël en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation des Nations Unies, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci. Cette demande s’inscrit dans le contexte de la guerre à Gaza et l’adoption par Israël de loi déclarant l’organisation des Nations Unies pour les secours aux réfugiés palestiniens (UNRWA) comme organisation terroriste et interdisant ses activités sur le territoire Israélien et le Territoire palestinien occupé par Israël. Elle s’inscrit également dans un contexte de restriction et d’interdiction de l’aide humanitaire par la puissance occupante
Le 23 décembre 2024, la Cour a accepté sa compétence pour répondre à la question juridique suivantede rendre une décision permettant de définir précisément: Quelles sont les obligations d’Israël, en tant que puissance occupante et membre de l’Organisation des Nations Unies, en ce qui concerne la présence et les activités de l’Organisation, y compris ses organismes et organes, d’autres organisations internationales et d’États tiers dans le Territoire palestinien occupé et en lien avec celui-ci, y compris s’agissant d’assurer et de faciliter la fourniture sans entrave d’articles de première nécessité essentiels à la survie de la population civile palestinienne, ainsi que de services de base et d’une aide humanitaire et d’une aide au développement, dans l’intérêt de la population civile palestinienne et à l’appui du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ?
Elle a considéré que la décision de l’Etat d’Israël soulève plusieurs questions de violation potentielle de la charte des Nations Unies, du Droit humanitaire international et des droits de l’homme ainsi que des privilèges et immunités applicables aux organisations internationales, des résolutions du Conseil de sécurité et d’autres organes de l’ONU ainsi que des avis consultatifs déjà rendu par la Cour notamment celui du 19 juillet 2024 dans lequel la cours a réaffirmer l’obligation pour la Puissance occupante d’administrer le territoire occupé dans l’intérêt de la population locale et estimé qu’Israël n’avait pas droit à la souveraineté sur quelque partie du Territoire palestinien occupé et ne saurait y exercer des pouvoirs souverains du fait de son occupation.
Elle a aussi accepté de traiter cette demande selon la procédure d’urgence prévue par l’article 103 du règlement de la Cour et fixé au 28 février 2025, le délai pour le dépôt de tous les exposés écrits et la transmission de tout document. De nombreux Etats et organisations internationales et régionales ont participé à la procédure en soumettant des documents et opinions juridiques. Des audiences publiques ont été tenues du 28 avril au 2 mai 2025.
h. Le Kosovo
Le 8 octobre 2008, dans sa résolution 63/3, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé à la CIJ de donner un avis consultatif sur la légalité de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo. (Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance par les institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo, demande d’avis consultatif, 8 octobre 2008). Le 22 juillet 2010, la CIJ a rendu son avis consultatif, estimant que l’adoption par le Kosovo de la déclaration d’indépendance du 17 février 2008 ne violait ni le droit international général, ni la résolution 1244 (1999) du Conseil de sécurité des Nations Unies, ni le Cadre constitutionnel, et qu’elle ne violait donc aucune règle de droit international applicable. (Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 403, par. 122). La Cour a noté que l’une des évolutions majeures du droit international au cours de la seconde moitié du XXe siècle a été le développement du droit à l’autodétermination (paragraphe 82). La Cour considère donc que le droit international général ne contient pas d’interdiction de la déclaration d’indépendance (paragraphe 84). Elle confirme également sa compétence pour donner un avis consultatif à la demande de l’AGNU malgré le fait que le CSNU traitait de la même question, arguant qu’un tel avis consultatif ne constitue pas en soi une recommandation de l’AGNU à l’égard d’un différend ou d’une situation. (Paragraphes 24, 39-48).
2. Contribution de la CIJ à l’interprétation du droit international humanitaire
Les décisions de la CIJ (arrêts et avis consultatifs) ont permis de clarifier et de préciser plusieurs notions de droit international liées au DIH, notamment concernant : a) l’action humanitaire et la notion d’ingérence dans les affaires intérieures des Etats, b)le droit coutumier, c) l’utilisation légitime de la force armée en cas de légitime défense, de génocide et d’agression, d) l’utilisation de l’arme nucléaire, e) la responsabilité de l’Etat du fait des actes de ses agents et organes, f) la responsabilité de l’Etat pour les actes de groupes qu’il contrôle, g) la responsabilité en cas d’occupation de territoire, h) l’application simultanée et extraterritoriale du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, i) les règles d’interprétation du droit de bonne foi, j) les règles d’indemnisation et d’ immunité des Etats.
a) Action humanitaire et ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat
Dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique (voir supra, section I.4 ), la CIJ a déclaré que, pour ne pas revêtir le caractère d’une ingérence répréhensible dans les affaires intérieures d’un autre État, l’« assistance humanitaire » ne doit pas seulement se limiter aux buts établis par la pratique de la Croix-Rouge, à savoir « prévenir et alléger les souffrances humaines » et « protéger la vie et la santé [et] respecter la personne humaine » : elle doit aussi, et surtout, être accordée sans discrimination à tous ceux qui sont dans le besoin au Nicaragua, et non pas seulement aux contras et à leurs proches (par. 243).
➔ Intervention ; Principes humanitaires
b) Droit coutumier
Dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique (voir supra, section I.4), la CIJ a souligné que le non-respect par un État d’une règle coutumière n’équivalait pas à sa disparition (paragraphe 186).
c) L’utilisation légitime des forces armées en cas de légitime défense, de génocide et d’agression
Dans plusieurs arrêts, la CIJ a clarifié la définition de l’agression et les conditions précises dans lesquelles un État peut invoquer la légitime défense pour légitimer le recours à la force armée en vertu de l’article 51 de la Charte des Nations unies et du droit international coutumier. (Voir Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, paras. 35, 74, 176, 194, 195, 199, 200, 211 et 247 ; République démocratique du Congo c. Ouganda, paras. 143-148). La CIJ établit une distinction claire entre l’agression et d’autres types de menaces contre la sécurité intérieure d’un État, qui ne légitiment pas le recours à la force armée en cas de légitime défense. (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, paragraphe 224). Dans cette affaire, la Cour a déclaré que la légitime défense individuelle ou collective peut difficilement être invoquée par un État en dehors des informations du CSNU. La Cour a donc rejeté l’exception de légitime défense collective invoquée par les États-Unis pour justifier leurs activités militaires et paramilitaire au Nicaragua et contre celui-ci (Paragraphes 238 et 292).Elle a affirmé que les Etats-Unis avaient violé le principe interdisant le recours à la menace ou à l’emploi de la force par leurs activités militaires et paramilitaires, y compris leur assistance aux contras, dans la mesure ou une telle assistance (à un groupe armé étranger non étatique) implique la menace ou l’emploi de la force.(Paragraphe 252)
Dans son arrêt de 2005 dans l’affaire République démocratique du Congo contre Ouganda, la CIJ a encore clarifié le lien nécessaire entre la légitime défense et l’agression. Dans cette affaire, la Cour a jugé que les circonstances juridiques et factuelles permettant à l’Ouganda d’exercer un droit de légitime défense contre la RDC n’étaient pas réunies. Elle a noté que, bien que l’Ouganda ait insisté devant la Cour sur le fait qu’il agissait en état de légitime défense, il n’a jamais prétendu avoir fait l’objet d’une attaque armée de la part des forces armées de la RDC et n’a pas non plus signalé au Conseil de sécurité des Nations unies des événements qui, selon lui, l’obligeraient à agir en état de légitime défense. La documentation de l’Ouganda fait plutôt référence à la nécessité de protéger les intérêts légitimes de l’Ouganda en matière de sécurité et évoque des besoins en matière de sécurité qui sont essentiellement préventifs, à l’exception de la neutralisation des « groupes dissidents ougandais qui ont reçu une assistance du gouvernement de la RDC et du Soudan ». (Paragraphes 143-147).
Par ordonnance du 16 mars 2022 dans l’affaire Ukraine c. Fédération de Russie sur la convention sur le génocide, la Cour a précisé que l’obligation de prévenir ou de faire cesser un génocide, telle qu’énoncée dans la convention sur le génocide, ne saurait être interprétée comme une base juridique justifiant l’intervention militaire de la Russie en Ukraine et contre l’Ukraine. Elle a confirmé que l’Ukraine a un droit plausible de ne pas être soumise à des opérations militaires menées par la Fédération de Russie dans le but de prévenir et de punir un génocide prétendument en cours sur le territoire de l’Ukraine (paragraphe 60).
d) L’utilisation d’armes nucléaires
Le 15 décembre 1994, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 49/75 K, demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif sur la question suivante : La menace ou l’emploi d’armes nucléaires est-il en toute circonstance autorisée par le droit international ?
Dans son avis consultatif du 8 juillet 1996, la Cour a confirmé qu’une telle utilisation doit être conforme à la Charte des Nations unies, qui limite le recours à la force aux situations de légitime défense, et au droit international humanitaire. L’utilisation d’armes nucléaires doit respecter les règles du droit international humanitaire relatives à la limitation des méthodes et moyens de guerre et, en particulier, deux principes cardinaux : 1) l’Etat ne doit jamais faire des civils l’objet de l’attaque et, par conséquent, ne doit jamais utiliser des armes incapables de faire la distinction entre les civils et les cibles militaires ; 1) l’Etat ne doit jamais faire des civils l’objet de l’attaque et, par conséquent, ne doit jamais utiliser des armes incapables de faire la distinction entre civils et cibles militaires ; 2) des souffrances inutiles ne doivent pas être infligées aux combattants. La Cour a déclaré que « compte tenu de l’état actuel du droit international et des éléments de fait dont elle dispose, elle ne peut conclure définitivement à la licéité ou à l’illicéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires dans une circonstance extrême de légitime défense, dans laquelle la survie même d’un État serait en jeu ». (Paragraphes 74-87, 95 et 105).
e) Responsabilité de l’Etat du fait des actes de ses agents et organes
Dans plusieurs affaires, la CIJ a réaffirmé qu’un État est toujours responsable de la conduite de ses agents et organes, et que cette responsabilité peut être établie sans qu’il soit nécessaire de prouver que l’agent ou l’organe en question agissait au nom de l’État ou qu’il a outrepassé ses pouvoirs.
Dans son arrêt de 2005 dans l’affaire des privilèges et immunités du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’homme, la Cour a déclaré que, selon une règle bien établie du droit international, qui est de nature coutumière, « le comportement de tout organe d’un État, quel qu’il soit, ne peut être imputé à l’État que s’il a agi pour le compte de celui-ci » : « le comportement de tout organe d’un État doit être considéré comme un acte de cet État » (Différence relative à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 87, par. 62).
Dans l’affaire République démocratique du Congo contre Ouganda, la Cour a estimé que le comportement des soldats ougandais en RDC était attribuable à l’Ouganda en raison de leur statut et de leurs fonctions militaires. L’argument selon lequel, dans les circonstances particulières de l’affaire, les personnes concernées n’ont pas agi en qualité de personnes exerçant des prérogatives de puissance publique, n’est donc pas fondé. En outre, la question de savoir si les membres des Forces de défense populaires de l’Ouganda (UPDF) ont agi contrairement aux instructions ou ont outrepassé leurs pouvoirs n’est pas pertinente pour l’attribution de leur comportement à l’Ouganda. Selon une règle bien établie du droit coutumier, reflétée à l’article 3 de la quatrième Convention de La Haye de 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et à l’article 91 du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949, une partie à un conflit armé est responsable de tous les actes commis par des personnes faisant partie de ses forces armées (par. 213 et 214).
La responsabilité d’un État pour des actes illicites et pour des violations de ses obligations internationales est distincte de la responsabilité pénale individuelle. Cependant, une fois établie, elle donne lieu à une obligation de réparation du préjudice. (Voir République démocratique du Congo c. Ouganda, paragraphe 345).
f) Responsabilité de l’Etat en raison du contrôle qu’il exerce sur les activités des groupes armés non étatiques
La responsabilité de l’État pour les actes commis par des groupes armés non étatiques agissant sous son contrôle ou son influence a été clarifiée par la CIJ dans trois affaires importantes. Dans ces trois affaires, la Cour précise les différents niveaux de contrôle de l’État sur les violations commises par des groupes armés non étatiques. Toutefois, l’attribution de crimes commis par des groupes armés non étatiques à un État qui exerce un contrôle effectif sur ce groupe n’est qu’un aspect de la responsabilité de l’État, et le plus limité. La CIJ a également affirmé de manière plus générale la responsabilité des États pour les actes illicites qu’ils commettent en soutenant des groupes armés non étatiques. Dans certains cas, tels que l’occupation, l’État peut assumer une responsabilité internationale pour les dommages causés par un groupe armé non étatique qui n’agit pas sous son contrôle effectif. (Voir Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, arrêt du 26 novembre 1984, par. 109-116 ; Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, arrêt, 26 février 2007, par. 391-406 ; République démocratique du Congo c. Ouganda, arrêt du 19 décembre 2005, paras. 160-165, 179, 277, 300-301 et 345). –
Dans son arrêt dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, la CIJ a statué qu’un « contrôle effectif » est nécessaire pour permettre l’attribution à un État de violations commises par des groupes non étatiques agissant sous son contrôle. Elle précise également le contenu de ce contrôle effectif, qui va bien au-delà du soutien militaire, de l’influence ou du contrôle général de l’État sur un groupe armé donné.
« La Cour a estimé (paragraphe 110 ci-dessus) que la participation des Etats-Unis, même prépondérante ou décisive, au financement, à l’organisation, à l’entraînement, à l’approvisionnement et à l’équipement des contras, à la sélection de leurs cibles militaires ou paramilitaires et à la planification de l’ensemble de leurs opérations, demeure insuffisante en soi, sur la base des éléments de preuve en possession de la Cour, aux fins d’attribuer aux Etats-Unis les actes commis par les contras au cours de leurs opérations militaires ou paramilitaires au Nicaragua. Toutes les formes de participation des États-Unis mentionnées ci-dessus, et même le contrôle général exercé par l’État défendeur sur une force fortement dépendante de lui, ne signifieraient pas en soi, sans autre preuve, que les États-Unis ont dirigé ou imposé la perpétration des actes contraires aux droits de l’homme et au droit humanitaire. Pour que ce comportement engage la responsabilité juridique des Etats-Unis, il faudrait en principe prouver que cet Etat exerçait un contrôle effectif sur les opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations alléguées ont été commises » (paragraphe 115).
« La Cour ne considère pas que l’assistance fournie par les Etats-Unis aux contras permette de conclure que ces forces sont soumises aux Etats-Unis au point que les actes qu’elles ont commis sont imputables à cet Etat. Elle estime que les contras demeurent responsables de leurs actes et que les Etats-Unis ne sont pas responsables des actes des contras » (paragraphe 116).
Dans le même arrêt, la Cour a statué que la responsabilité de l’État en ce qui concerne son soutien à des groupes armés non étatiques va au-delà de la question de l’attribution à un État d’actes commis par des groupes armés non étatiques sous son contrôle. Elle englobe, en particulier, la légalité de toute activité de l’État en relation avec le groupe armé, y compris la légalité du soutien de l’État à un groupe armé qui se livre à des violations du droit international humanitaire.
« Ce que la Cour doit examiner, ce ne sont pas les plaintes relatives à des violations alléguées du droit humanitaire par les contras, considérées par le Nicaragua comme imputables aux Etats-Unis, mais plutôt les actes illicites dont les Etats-Unis peuvent être directement responsables en relation avec les activités des contras. [La question de savoir si le gouvernement des Etats-Unis était, ou devait être, conscient à l’époque pertinente que des allégations de violations du droit humanitaire étaient formulées à l’encontre des contras est pertinente pour apprécier la licéité de l’action des Etats-Unis. » (Paragraphe 116).
L’arrêt de la Cour a finalement tenu les États-Unis pour responsables de la violation d’un certain nombre d’obligations internationales. En particulier, la Cour a statué que les États-Unis, en entraînant, armant, équipant, finançant et approvisionnant les forces contras, et en encourageant, aidant et soutenant de toute autre manière les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, ont violé l’obligation qui leur incombe en vertu du droit international coutumier de ne pas intervenir dans les affaires intérieures d’un autre État ; a encouragé les contras à commettre des actes contraires aux principes généraux du droit international humanitaire ; et est tenu de réparer le préjudice causé à la République du Nicaragua par les violations des obligations énumérées en vertu du droit international coutumier (paragraphe 292).
Dans l’affaire Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, arrêt du 26 février 2007, la CIJ a précisé la condition de contrôle étatique comme une condition de dépendance totale nécessaire pour considérer qu’un groupe armé non étatique est de facto un organe ou un agent de l’État et que ses activités peuvent être attribuées à l’État (para. 392). La Cour critique la confusion créée par le concept de « contrôle global » utilisé par le TPIY dans l’affaire Tadić. La Cour considère que ce concept peut être utile pour la qualification des conflits armés internationaux par le TPIY mais affirme qu’il n’est pas applicable pour la définition de la responsabilité de l’État, qui reste de la compétence de la CIJ (paras. 402-406).
La Cour a précisé que le critère de dépendance totale est rempli lorsque les structures politiques et militaires du groupe armé non étatique sont intégrées dans la structure de l’État et sont soumises à la chaîne de commandement de l’État (paragraphe 395). Si la dépendance totale est nécessaire pour qualifier le groupe armé non étatique et ses membres d’organe et d’agent de l’Etat, elle se distingue des diverses formes de soutien militaire fournies par l’Etat, y compris celles sans lesquelles les groupes ne seraient pas en mesure de mener leurs principales activités militaires et paramilitaires (paragraphe 394). La Cour réaffirme également l’existence de la responsabilité de l’Etat pour les violations commises par le groupe armé non étatique lorsque l’Etat exerce un contrôle effectif sur le groupe armé non étatique, mais aussi lorsqu’il est établi que l’Etat a donné des instructions pour chaque opération au cours de laquelle la violation s’est produite (para. 400).
Dans l’affaire République démocratique du Congo c. Ouganda, la Cour a développé la responsabilité de l’État sur la base de son devoir de vigilance à l’égard des activités des groupes armés non étatiques sur le territoire national ou occupé.
En ce qui concerne la responsabilité de l’Ouganda en tant que puissance occupante d’une partie de la RDC, la Cour a statué que le statut de l’Ouganda en tant que puissance occupante le rendait responsable à la fois des actes commis par ses militaires et de tout manque de vigilance dans la prévention des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire par d’autres acteurs présents dans le territoire occupé, y compris les groupes rebelles agissant en leur propre nom. (Paragraphes 179, 250 et 345).
En ce qui concerne la question de savoir si la RDC a manqué à son devoir de vigilance en tolérant des rebelles anti-ougandais sur son territoire, la Cour a noté qu’il s’agit d’une question différente de celle du soutien actif aux rebelles, puisque les parties ne contestent pas la présence effective des rebelles anti-ougandais sur le territoire de la RDC. Elle a également noté que ni la RDC ni l’Ouganda n’ont été en mesure de mettre fin à leurs activités. Dès lors, à la lumière des éléments de preuve dont elle disposait, la Cour ne pouvait conclure que l’inaction du gouvernement de la RDC à l’égard des groupes rebelles dans la zone frontalière équivalait à une « tolérance » ou à un « acquiescement » à l’égard de leurs activités. (Paragraphes 300 et 301).
Outre ces concepts juridiques de dépendance totale, de contrôle effectif et de contrôle global, la Cour a également estimé qu’un État est internationalement responsable s’il n’a pas usé de son « influence » sur un groupe armé non étatique pour empêcher ce groupe de commettre un génocide, conformément à l’obligation qui lui incombe en vertu de la convention sur le génocide. (Bosnie-Herzégovie c. Serbie-et-Monténégro, arrêt du 26 février 2007, par. 461 et 471).
La responsabilité de l’État en ce qui concerne l’influence de l’État sur un groupe armé non étatique a également été élaborée par la Cour en ce qui concerne les violations du droit international humanitaire sur la base de l’obligation de l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de Genève de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire (Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique). Fond, arrêt. C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 115 et 220).
➔ Conflit armé international ▸ Conflit armé non international , Groupe armé non étatique , Responsabilité
g) L’occupation
La question de la définition de l’occupation et des obligations et responsabilités particulières de la puissance occupante a été abordée par la CIJ dans le cadre de trois affaires importantes (République démocratique du Congo c. Ouganda, paras. 172-180 et Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, paras. 78, 89 et 101 ainsi que Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est.
La CIJ a reconnu que la définition de l’occupation et les obligations qui y sont liées figurent à la fois dans les règles de La Haye de 1907 et dans la quatrième convention de Genève de 1949. Elle a déclaré qu’une partie de ce droit est coutumière et n’est donc pas soumise à la formalité de ratification par l’État occupant. La Cour a affirmé qu’en vertu du droit international coutumier, tel qu’il ressort de l’article 42 du règlement de La Haye de 1907, un territoire est considéré comme occupé lorsqu’il est effectivement placé sous l’autorité de l’armée hostile, et l’occupation ne s’étend qu’au territoire où cette autorité a été établie et peut être exercée (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, paras. 78 et 89 et République démocratique du Congo c. Ouganda, para. 172). Dans son arrêt de 2005 dans l’affaire RDC c. Ouganda, la Cour a également clarifié la notion d’occupation indirecte qui est liée au contrôle exercé par les forces de l’État occupant sur d’autres autorités et groupes armés et a rejeté ce scénario dans cette affaire (paragraphes 160 et 177).
La Cour précise que, pour déterminer si un territoire demeure occupé au regard du droit international, le critère décisif n’est pas de savoir si la puissance occupante y maintient en toutes circonstances une présence militaire physique, mais celui de savoir si l’autorité de l’État en question est établie et en mesure de s’exercer. (Conséquences juridique découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le territoire palestinien occupé, para. 84-102). Dans cette même affaire la Cour rappelle que la puissance occupante est tenue d’administrer le territoire dans l’intérêt de la population locale. La nature et la portée de ces pouvoirs et responsabilités reposent toujours sur le même postulat, à savoir que l’occupation est une situation temporaire répondant à une nécessité militaire, et qu’elle ne peut donner lieu à un transfert du titre de souveraineté à la puissance occupante (para. 104-110). La Cour rappelle à cet égard que, au regard du droit de l’occupation, le contrôle du territoire occupé par la puissance occupante doit revêtir un caractère temporaire. En conséquence, le comportement de la puissance occupante qui traduit une intention d’exercer un contrôle permanent sur le territoire occupé peut constituer un acte d’annexion qui rend l’occupation illicite (para 157-179). Elle rappelle à ce sujet que les préoccupations d’Israël en matière de sécurité ne sauraient non plus l’emporter sur le principe de l’interdiction de l’acquisition de territoire par la force (para.252-258).
La CIJ a réaffirmé le double niveau de responsabilité de l’État en tant que puissance occupante en ce qui concerne les violences commises dans le territoire occupé par ses forces d’occupation, mais aussi par toute tierce partie.
La Cour a estimé que, dans une telle situation, l’État est responsable à la fois des actes commis par ses militaires en violation de ses obligations internationales, mais aussi de tout manque de vigilance dans la prévention des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par d’autres acteurs présents dans le territoire occupé, y compris les groupes rebelles agissant en leur propre nom. (République démocratique du Congo c. Ouganda, para. 179). En effet, en vertu de l’article 43 du Règlement de La Haye de 1907, la puissance occupante est tenue de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour rétablir et maintenir, autant que possible, l’ordre public et la sécurité dans le territoire occupé, tout en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur en RDC. Cette obligation inclut le devoir de faire respecter les règles applicables du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire, de protéger les habitants du territoire occupé contre les actes de violence et de ne pas tolérer de tels actes de violence de la part de tiers. (République démocratique du Congo c. Ouganda, paragraphe 178). Cela ne signifie pas que les violations commises par des groupes armés non étatiques peuvent automatiquement être attribuées à l’État occupant en termes de responsabilité pénale si le groupe n’est pas sous le contrôle effectif de l’État. (République démocratique du Congo c. Ouganda, paras. 160 et 177). Cela signifie que l’État occupant reste toujours responsable des conditions et des conséquences néfastes de son occupation, y compris des réparations.
La CIJ a confirmé qu’un État, en tant que puissance occupante, est responsable de tous les actes et omissions de ses propres forces armées dans le territoire occupé qui violent les obligations qui lui incombent en vertu des règles du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire qui sont pertinentes et applicables dans la situation spécifique. (République démocratique du Congo c. Ouganda, paragraphe 180).
La CIJ a également affirmé l’application concurrente des droits de l’homme et du droit international humanitaire, ainsi que l’application extraterritoriale des conventions relatives aux droits de l’homme par la puissance occupante aux personnes et aux territoires placés sous son contrôle (voir infra).usant de son pouvoir de statuer sur l’interprétation et l’application des traités, la Cour a rejeté l’interprétation israélienne du droit international de l’occupation et a statué que la quatrième convention de Genève s’applique dans tout territoire occupé en cas de conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs hautes parties contractantes. Israël et la Jordanie étaient parties à cette convention au moment du déclenchement du conflit armé en 1967. La Cour constate donc que cette convention s’applique aux territoires palestiniens qui, avant le conflit, se trouvaient à l’est de la ligne verte et qui, pendant le conflit, ont été occupés par Israël, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le statut antérieur précis de ces territoires. (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, para. 101)
h) Application simultanée et extraterritoriale des droits de l’homme et du droit international humanitaire
La CIJ a établi le principe de l’application simultanée et extraterritoriale des droits de l’homme et du droit international humanitaire.
La Cour a estimé que la protection accordée par les droits de l’homme ne cesse pas pendant les conflits armés, sauf dans le cas de clauses dérogatoires autorisées par les traités internationaux et conformément aux procédures existantes établies à cet effet.
En ce qui concerne la relation entre le DIH et le droit des droits de l’homme, il existe donc trois scénarios possibles : certains droits peuvent relever exclusivement du DIH ; d’autres peuvent relever du droit des droits de l’homme ; d’autres encore peuvent relever de ces deux branches du droit international. Pour répondre à la question qui lui est posée, la Cour devra examiner ces deux branches du droit international, à savoir le droit des droits de l’homme et, en tant que lex specialis, le droit international humanitaire. (Licéité de l’utilisation par un État d’armes nucléaires dans un conflit armé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 1996, p. 66, par. 24 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C. I. J. Recueil 2004, p. 136, par. 106 et République démocratique du Congo c. Ouganda, paras. 178-180 et 216-217).
La Cour a également conclu que les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme sont applicables « aux actes accomplis par un État dans l’exercice de sa juridiction en dehors de son propre territoire », en particulier dans les territoires occupés. L’application extraterritoriale des traités relatifs aux droits de l’homme, en particulier dans les situations d’occupation ou de détention, est déclenchée par le contrôle exercé par un État sur certaines personnes étrangères ou sur un territoire étranger. (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, paras. 111-113 ; et République démocratique du Congo c. Ouganda, paras. 216 et 217).
i) Interprétation du droit
Dans son rôle d’arbitre des différends entre États, la CIJ applique et clarifie les règles d’interprétation du droit international contenues dans la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969). Elle fait un usage intensif de ces règles pour évaluer ou rejeter la validité des interprétations étatiques du droit international humanitaire qui peuvent être opportunistes ou conduire à des résultats manifestement absurdes et déraisonnables. La Cour a noté qu’en vertu du droit international coutumier, tel qu’exprimé à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. L’article 32 prévoit que : « Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, y compris les travaux préparatoires du traité et les circonstances de sa conclusion, pour confirmer le sens résultant de l’application de l’article 31 ou pour déterminer ce sens lorsque l’interprétation selon l’article 31 […] laisse le sens ambigu ou obscur ; ou […] conduit à un résultat qui est manifestement obscur ou déraisonnable «. ([…] Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, 1. C. J. Recueil 1996, p. 803, par. 23 ; Kasikili/Sedudu (Botswana c. Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 1045, par. 18 ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Spipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 645, par. 37 ; et Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, par. 94 et 101).
j) Indemnisation et immunité juridictionnelle des Etats
Dans plusieurs arrêts, la CIJ a rappelé l’existence d’une obligation pour les États d’indemniser un autre État pour les conséquences de leurs actes illicites. La Cour a affirmé qu’il est bien établi en droit international général qu’un État qui porte la responsabilité d’un fait internationalement illicite est tenu de réparer intégralement les dommages causés par ce fait : « Le principe régissant le choix et la nature de la réparation d’un fait internationalement illicite est d’effacer autant que possible les conséquences du fait illicite. Lorsque la restitution ou le rétablissement de la situation antérieure n’est pas possible, l’État lésé est en droit d’obtenir une indemnisation pour les dommages causés par un fait illicite de l’État ». (Affaire de l’usine de Chorzow, demande d’indemnité (compétence), 26 juillet 1927, série A n° 9, p. 21 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 7, par. 152 ; Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C. I. J. Recueil 2004, p. 12, par. 119 et République démocratique du Congo c. Ouganda, paras. 259-261 et 345 ; Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, arrêt du 26 février 2007, paras. 460 -471 et Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique, arrêt, 27 juin 1986, paras. 15, 283-285 et 292).
L’arrêt de la CIJ peut ordonner une réparation et en fixer le délai, mais il laisse le règlement de la réparation à un accord distinct entre les États parties. Toutefois, si ces derniers ne parviennent pas à un accord sur ce point, l’État peut saisir la Cour pour qu’elle détermine, par voie d’expertise judiciaire, le montant financier dû au titre de la réparation des différents préjudices. Une jurisprudence internationale ancienne et bien établie de la CIJ considère que les litiges relatifs aux réparations qui peuvent être dues en raison de la non-application d’une convention, sont par conséquent différents des litiges relatifs à l’application de cette convention. (Affaire de l’usine de Chorzow, demande d’indemnité (compétence), 26 juillet 1927, série A, n° 9, p. 21). En outre, un arrêt de la CIJ peut explicitement prévoir que la Cour reste compétente pour décider de la nature du montant de l’indemnisation si les États ne parviennent pas à se mettre d’accord sur ce point. Dans l’affaire Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, la Cour, dans son arrêt du 27 juin 1986, a estimé que les États-Unis étaient tenus de réparer tous les dommages causés au Nicaragua par les violations des obligations découlant du droit international coutumier, le montant de cette réparation devant être déterminé dans le cadre d’une procédure ultérieure si les parties ne parvenaient pas à se mettre d’accord (par. 292). A cette époque, le Nicaragua a demandé 370 200 000 dollars des Etats-Unis comme évaluation minimale des dommages directs (par. 15, 283-285 et 292), et la Cour a fixé des délais pour la présentation d’observations écrites par les parties sur cette question. Plus tard, en septembre 1991, le Nicaragua a informé la Cour qu’il souhaitait poursuivre la procédure de réparation, et l’affaire a été rayée du rôle de la Cour par ordonnance du 26 septembre 1991.
Dans son arrêt de 2005 dans l’affaire République démocratique du Congo c. Ouganda, la Cour a ordonné des réparations et a décidé qu’en l’absence d’accord entre les parties, la question des réparations serait déterminée par la Cour (para. 345). Dans son arrêt du 9 février 2022, la Cour a reconnu l’échec des négociations entre les parties et a fixé le montant des réparations de manière à refléter le préjudice subi par les individus et les communautés du fait de la violation par l’Ouganda de ses obligations internationales. La Cour a considéré que le montant total et les modalités de paiement étaient dans les limites de la capacité de paiement de l’Ouganda. La Cour a accordé les réparations suivantes pour les dommages causés à la RDC par les violations par la République d’Ouganda de ses obligations internationales : 225 000 000 dollars US pour les dommages aux personnes ; 40 000 000 dollars US pour les dommages aux biens ; 60 000 000 dollars US pour les dommages liés aux ressources naturelles (paragraphe 409).
La CIJ peut décider de la forme et du montant des réparations, ce qui signifie que les réparations ne sont pas toujours ou uniquement financières et que les désaccords entre États sur les réparations ne portent pas uniquement sur des montants financiers.
Dans son arrêt de 2007 dans l’affaire Bosnie-et-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, la Cour a estimé que la réparation des violations de la convention sur le génocide par la Serbie serait assurée par le transfert immédiat de la personne accusée de génocide au TPIY et n’impliquerait pas le paiement de réparations financières (paragraphe 471).
Toutefois, la CIJ a distingué cette obligation des États de réparer les dommages causés par leurs actes illicites du droit individuel à réparation des victimes de violations des droits de l’homme ou du droit international humanitaire et a réaffirmé l’immunité juridictionnelle des États en ce qui concerne les demandes de réparation introduites directement par des victimes individuelles de crimes de guerre nazis. La CIJ a réaffirmé que le droit international humanitaire coutumier exige toujours la reconnaissance de l’immunité de l’État dont les forces armées ou d’autres organes sont présumés avoir commis des actes nuisibles sur le territoire d’un État étranger au cours d’un conflit armé. Elle confirme également que cette immunité ne dépend pas de la gravité des actes allégués (Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie : Grèce intervenante), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 99, paras. 78-93, 100 et 101).
Dans une autre affaire, la CIJ a confirmé l’existence de l’immunité juridictionnelle pour les chefs d’État, les gouvernements et les ministres des affaires étrangères en exercice. Toutefois, la CIJ a souligné que cette immunité ne s’applique pas aux crimes de guerre ou aux crimes contre l’humanité. En effet, la CIJ considère que l’immunité de juridiction pénale et la responsabilité pénale individuelle sont des concepts distincts. L’immunité juridictionnelle n’est pas permanente et n’empêche les poursuites pénales que pendant une période limitée. En outre, l’immunité juridictionnelle demeure devant les juridictions nationales mais ne peut être invoquée devant la CIJ (Mandat d’arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 3, paras. 58 et 60).
Consulter aussi
▸ Agression ▹ Organisation des Nations unies (ONU) ▹ Assemblée générale des Nations unies (AG) ▹ Conseil de sécurité des Nations unies (CS) ▹ Conflit armé international ▹ Cour européenne des droits de l’homme ▹ Cour et Commission interaméricaines des droits de l’homme ▹ Tribunaux pénaux internationaux (TPI) ▹ Crime de guerre-Crime contre l’humanité ▹ Conflit armé non international-Conflit armé interne-Guerre civile… -Insurrection-Rébellion ▹ Convention internationale ▹ Hiérarchie des normes ▹ Recours individuels ▹ Droit international humanitaire ▹ Arbitrage ▹ Cour pénale internationale (CPI) ▹ Réparation-Indemnisation ▹ Responsabilité .
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Tél. : (00 31) 70 302 23 23/Fax : (00 31) 70 364 99 28.
Pour en savoir plus
Abi -Saab Rosemary. « Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé : quelques réflexions préliminaires sur l’avis consultatif de la Cour internationale de justice », International Review of the Red Cross, septembre 2004, vol. 86, n° 850, p. 633-657.
Apostolidis, Charalambos,*The Judgments of the International Court of Justice . Dijon: University of Dijon, 2005.
Chetail, Vincent, “The Contribution of the International Court of Justice to International Humanitarian Law.”,*International Review of the Red Cross , Vol. 85, No. 850, June 2003: 235-269.
Eisemann, Pierre Michel,*La jurisprudence de la C.I.J , Pédone, 2023, Available at http://pedone.info/livre/la-jurisprudence-de-la-c-i-j/
Goy, Raymond, « La Cour internationale de justice et les droits de l’homme », Collection de Droit et Justice , Vol. 34, No. 2, June 2003, Bruylant, Bruxelles, p. 306–307, Available at https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2003-v34-n2-ei775/009183ar/
Guillaume, Gilbert,*The International Court of Justice, at the Dawn of the Twenty-first Century: Through the Eyes of a Judge , Paris: Pédone, 2003.
Labrecque, Georges,*Strength and Law: Jurisprudence of the International Court of Justice . Bruylant: Editions Yvon Blais, Canada, 2008.
Martin, Pierre-Marie,*La continuité de la jurisprudence de la Cour internationale de justice in La (dis)continuité en droit, Helène Simonian-Gineste (dir.), Presse de l’université de Toulouse Capitole, 2014, 476 pages, Available at https://books.openedition.org/putc/798?lang=fr