Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Droit d’accès

Dans les situations de conflit, le droit humanitaire organise de façon pratique le droit et les conditions d’accès aux victimes par les organisations de secours. Le droit d’accès auprès des victimes est un élément central de l’action humanitaire car il permet aux organismes de secours de procéder à une évaluation indépendante des besoins, d’assurer l’efficacité de leur action et de contrôler la distribution et la répartition équitable de ces secours. Des règles différentes organisent ce droit d’accès auprès des différentes catégories de victimes. Elles donnent un droit d’accès plus large dans le domaine médical que dans le domaine des secours généraux. Elles sont plus détaillées dans les conflits internationaux (I) que dans les conflits internes (II). Certaines résolutions de l’ONU ont invoqué le droit d’accès aux victimes. Elles n’ont en général pas de force obligatoire contrairement aux Conventions de Genève de 1949 et leurs deux Protocoles additionnels de 1977 (III).

  • Le droit d’accès est prévu par le droit humanitaire au profit du CICR, des organisations humanitaires impartiales dans certains cas, et des puissances protectrices dans d’autres cas. Ce droit est lié à une mission et une responsabilité que le droit humanitaire confie aux organisations de secours vis-à-vis des différentes catégories de victimes.
  • Cette mission ne se résume jamais à la simple distribution de secours matériels. La présence sur le terrain implique des responsabilités et des devoirs de protection envers les populations assistées. Ils doivent être connus et assumés par les organisations de secours.

L’accès aux victimes dans les conflits internationaux

Les blessés et les malades

Pour qu’il puisse efficacement porter secours aux blessés et malades, le personnel sanitaire doit pouvoir accéder aux lieux où ses services sont indispensables. Ce droit est expressément prévu, sous réserve cependant des mesures de contrôle et de sécurité que la partie au conflit intéressée jugerait nécessaires (GPI art. 15.4).

De façon plus générale, le droit humanitaire organise le libre accès médical en protégeant les véhicules, le personnel et les installations sanitaires et en prévoyantque nul ne pourra être puni pour ses activités médicales. Il prévoit également des arrangements pour permettre l’évacuation ou l’échange des blessés et malades d’une zone assiégée ou encerclée et pour le passage du personnel sanitaire et religieux et de matériel sanitaire à destination de cette zone (GI art. 15 ; GII art. 18 ; GIV art. 16-17, 20).

Mission médicalePersonnel sanitaireBlessés et malades .

Les prisonniers de guerre et les lieux de détention

Le CICR est autorisé à se rendre dans tout lieu où se trouvent des prisonniers de guerre ou des personnes détenues en relation avec le conflit. Le droit humanitaire prévoit également le droit d’accès auprès des prisonniers de guerre pour les sociétés de secours et autres organismes (GIII art. 125). Les puissances détentrices ne peuvent pas interdire l’accès, mais seulement limiter le nombre des sociétés de secours autorisées à visiter et secourir les prisonniers. Elles doivent cependant respecter, dans ces décisions limitatives, le rôle spécifique confié par les conventions au CICR pour l’accès et la visite aux prisonniers de guerre (GIII art. 126).

Prisonnier de guerreCroix-Rouge, Croissant-RougeDétention .

Les personnes protégées

Les personnes protégées par le droit humanitaire sont celles détenues ou internées, la population des territoires occupés, les blessés et malades, les ressortissants ennemis sur le territoire national de la partie adverse.

Le droit d’accès à l’ensemble des personnes protégées par la quatrième Convention de Genève est prévu dans les situations de conflits internationaux. Il s’agit cette fois-ci de permettre l’accès et le secours auprès de la population civile des territoires occupés ou des personnes civiles regroupées dans des lieux d’internement, de détention et de travail, ainsi que les malades et blessés. L’accès aux personnes protégées est prévu au profit des organismes et sociétés de secours (GIV art. 142) et des représentants des puissances protectrices ou de leurs substituts tels que le CICR (GIV art. 143).

Ce droit d’accès ne peut pas être interdit mais seulement limité par les États en conflit. Ils doivent respecter certaines garanties minimales.

  • Sous réserve des mesures qu’elles estimeraient indispensables pour garantir leur sécurité ou faire face à toute autre nécessité raisonnable, les puissances détentrices réserveront le meilleur accueil aux organisations religieuses, sociétés de secours ou tout autre organisme qui viendrait en aide aux personnes protégées. Elles leur accorderont toutes facilités nécessaires, ainsi qu’à leurs délégués dûment accrédités, pour visiter les personnes protégées, pour leur distribuer des secours (GIV art. 142).
  • La puissance détentrice pourra limiter le nombre de sociétés et d’organismes autorisés à exercer leur activité sur son territoire et sous son contrôle, à condition toutefois qu’une telle limitation n’empêche pas d’apporter une aide efficace et suffisante à toutes les personnes protégées (GIV art. 142).

InternementDétentionPersonnes protégéesPuissance protectriceCroix-Rouge, Croissant-Rouge .

Le CICR et les puissances protectrices disposent d’un droit d’accès et d’une mission de protection spécifique auprès de ces personnes qui ne doivent pas être mis en danger par l’action d’autres organisations de secours. Une organisation humanitaire peut assumer le rôle de substitut aux puissances protectrices. Elle doit alors remplir la fonction de protection qui est prévue par le droit humanitaire au profit des individus concernés.

La population civile

Le droit humanitaire prévoit le libre passage des secours auprès des personnes protégées et de la population civile en général.

  • Chaque partie contractante des Conventions de Genève de 1949 doit accorder le libre passage de tout envoi de médicaments et de matériel sanitaire ainsi que des objets de culte destinés uniquement à la population civile de l’autre partie, même ennemie. Elle doit également autoriser le libre passage de tout envoi de vivres indispensables, de vêtements et de fortifiants réservés aux enfants de moins de quinze ans, aux femmes enceintes ou en couches (GIV art. 23).

L’obligation pour une partie contractante d’accorder le libre passage des envois de secours est subordonnée à la condition que cette partie n’ait aucune raison sérieuse de craindre que :

  • les envois puissent être détournés de leur destination, ou
  • que le contrôle puisse ne pas être efficace,
  • que l’ennemi puisse en tirer un avantage manifeste pour ses efforts militaires ou son économie […].

La puissance qui autorise le passage de ces envois peut poser comme condition à son autorisation que la distribution aux bénéficiaires soit faite sous le contrôle effectué sur place par les puissances protectrices (GIV art. 23). En l’absence de puissance protectrice, ce contrôle est le plus souvent effectué par les organisations humanitaires.

  • Ce libre passage est également prévu au profit de la population des territoires occupés. Lorsque la population d’un territoire occupé ou une partie de celle-ci est insuffisamment approvisionnée, la puissance occupante doit accepter les actions de secours faites en faveur de cette population et les faciliter dans toute la mesure de ses moyens (GIV art. 59).

La seule limitation qui peut être imposée est de demander que les organisations humanitaires ou la puissance protectrice contrôlent la distribution des secours pour s’assurer qu’ils profitent à la population dans le besoin (GIV art. 59).

Population civilePersonnes protégéesPersonnel humanitaire et de secoursSecoursRavitaillementDroit d’initiative humanitaire .

Dispositions spéciales sur le droit d’accès à la population civile pour les organisations humanitaires

Ce principe de libre accès a été élargi et détaillé dans les Protocoles additionnels de 1977. Dans les pays qui n’ont pas signé ces protocoles, les organisations de secours peuvent malgré tout utiliser ces textes pour préciser, interpréter et compléter les règles prévues par la quatrième Convention et le droit humanitaire coutumier.

  1. Lorsque la population civile d’un territoire sous le contrôle d’une partie au conflit, autre qu’un territoire occupé, est insuffisamment approvisionnée en matériel et denrées nécessaires à la survie de la population, des actions de secours de caractère humanitaire et impartial et conduites sans aucune distinction de caractère défavorable seront entreprises sous réserve de l’agrément des parties concernées par ces actions de secours (GPI art. 70 ; GPII art. 18).

Les offres de secours remplissant les conditions ci-dessus ne seront considérées ni comme une ingérence dans le conflit armé, ni comme des actes hostiles. Lors de la distribution de ces envois de secours, priorité sera donnée aux personnes qui, tels les enfants, les femmes enceintes ou en couches et les mères qui allaitent, doivent faire l’objet d’un traitement de faveur ou d’une protection particulière.

  1. Les parties au conflit et chaque haute partie contractante autoriseront et faciliteront le passage rapide et sans encombre de tous les envois, de l’équipement et du personnel de secours fournis conformément aux prescriptions de la présente section, même si cette aide est destinée à la population civile de la partie adverse.
  2. Les parties au conflit et chaque haute partie contractante autorisant le passage de secours, d’équipement et de personnel, conformément au paragraphe précédent :
  • disposeront du droit de prescrire les réglementations techniques, y compris les vérifications auxquelles un tel passage est subordonné ;
  • pourront subordonner leur autorisation à la condition que la distribution de l’assistance soit effectuée sous le contrôle sur place d’une puissance protectrice (ou de son substitut en la personne d’une organisation de secours reconnue impartiale) ;
  • ne détourneront en aucune manière les envois de secours de leur destination ni n’en retarderont l’acheminement, sauf dans des cas de nécessité urgente, dans l’intérêt de la population civile concernée.
  1. Les parties au conflit assureront la protection des envois de secours et en faciliteront la distribution rapide (GPI art. 70).
  2. Le libre passage des secours comprend aussi le droit d’accès et le libre passage du personnel de secours participant aux opérations d’approvisionnement (GPI art. 71).
  3. La liberté de déplacement du personnel médical est aussi garantie.
  4. Les parties au conflit et chaque haute partie contractante intéressée devront encourager et faciliter une coordination internationale efficace des actions de secours mentionnées au paragraphe 1 de l’article 70 (GPI art. 70.5).

Le droit d’accès est devenu un principe essentiel du droit au secours humanitaire pour les victimes des conflits armés internationaux et non internationaux. Ce droit a par ailleurs acquis le statut de norme coutumière, intégré dans l’étude sur les règles de DIH coutumier publiée par le CICR en 2005. Ces règles sont obligatoires dans tous les types de conflits armés et s’imposent à toutes les parties aux conflits, même les parties non signataires des Conventions comme les groupes armés non étatiques.

La règle 55 de l’étude du CICR prescrit que « les parties au conflit doivent autoriser et faciliter le passage rapide et sans encombre des secours humanitaires destinés aux personnes civiles dans le besoin, de caractère impartial et fournis sans aucune distinction de caractère défavorable, sous réserve de leur droit de contrôle ».

La règle 56 affirme « les parties au conflit doivent assurer au personnel de secours autorisé la liberté de déplacement essentielle à l’exercice de ses fonctions. Ses déplacements ne peuvent être temporairement restreints qu’en cas de nécessité militaire impérieuse ». Ces règles s’appliquent aux conflits armés tant internationaux que non internationaux.

L’accès aux victimes dans les conflits armés non internationaux

Lorsque la population civile souffre de privations excessives par manque des approvisionnements essentiels à sa survie, tels que les vivres et le ravitaillement sanitaire, le principe du libre passage des secours de caractère exclusivement humanitaire et impartial est affirmé par le deuxième Protocole additionnel aux Conventions de Genève, sans plus de détail (GPII art. 18).

La liberté de déplacement du personnel médical est également affirmée. Chaque fois que les circonstances le permettront, et notamment après un engagement, toutes les mesures seront prises sans retard pour rechercher et recueillir les blessés et les malades, pour les protéger et leur assurer les soins appropriés (GPII art. 8). Le principe posé dans ce protocole peut être interprété en utilisant les dispositions plus précises prévues par le droit humanitaire dans le cadre des conflits armés internationaux ( cf. supra ).

Personnel humanitaire et de secoursPopulation civileBlessés et malades .

L’accès prévu par les résolutions de l’ONU

Les règles de droit humanitaire concernant le droit d’accès ont été inclues dans certaines résolutions des Nations unies dans des situations de « catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre » ou « catastrophes naturelles ou créées par l’homme ». Le droit humanitaire ne s’applique que dans les situations de conflit.

  • Ces résolutions comblent un vide juridique si elles concernent des situations de paix. Elles risquent d’affaiblir le droit existant si elles sont utilisées pour éviter de reconnaître au niveau diplomatique une situation de conflit et si elles posent des exigences inférieures à celles prévues par le droit humanitaire.
  • Ces résolutions n’ont pas de force juridique obligatoire, sauf si elles sont adoptées par le Conseil de sécurité dans le cadre du chapitre VII de la Charte de l’ONU.
  • Ces résolutions ne créent pas un droit d’ingérence humanitaire.
  • Elles réaffirment « la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’unité nationale » des États et reconnaissent que c’est à chaque État qu’il incombe au premier chef de prendre soin des victimes de catastrophes naturelles et situations d’urgence du même ordre se produisant sur son territoire.
  • Elles prennent acte du fait que dans ces situations, des secours massifs doivent être apportés rapidement pour limiter le nombre des morts, et que les organisations internationales et les ONG jouent un rôle majeur et positif dans ces secours.
  • Elles invitent en conséquence tous les États qui ont besoin d’une telle assistance à faciliter la mise en œuvre par les organisations internationales et les ONG de l’assistance humanitaire, notamment l’apport de nourriture, de médicaments et de soins médicaux « pour lesquels un accès aux victimes est indispensable » (rés. A 43/131 du 8 décembre 1988). Pour faciliter cet accès, l’Assemblée générale a proposé la création, en cas de besoin, de couloirs humanitaires et elle a demandé la coopération des États riverains à cet effet (rés. A 45/100 du 14 décembre 1990).
  • La notion de « couloirs humanitaires » a été déclinée avec des nuances dans de nombreuses résolutions du Conseil de sécurité (conflits soudanais, irakien, libérien, angolais, somalien, yougoslave, etc.), avec des termes devenant parfois plus pressants. Dans la résolution 688 (5 avril 1991), le Conseil de sécurité « insiste » pour que l’Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d’assistance dans toutes les parties de l’Irak et pour qu’il mette à leur disposition tous les moyens nécessaires.

Les couloirs humanitaires

La création et le respect des couloirs humanitaires prévus par les résolutions de l’ONU ne créent pas une véritable obligation juridique pour les États. En effet, les résolutions pertinentes ne sont pas toujours adoptées sur la base du chapitre VII de la Charte de l’ONU. De même, s’appliquant à des situations de conflit plus ou moins reconnues, elles ne font pas systématiquement référence aux obligations du droit humanitaire. Ces résolutions se sont inscrites dans le cadre plus général d’opérations de maintien de la paix soutenues par l’usage de la force internationale, comme au Kurdistan irakien ou en Somalie. Elles ont limité la notion de protection des victimes prévue par le droit humanitaire à la simple escorte de convois.

Pour en savoir plus

Abril Stoffels R., « Le régime juridique de l’assistance humanitaire dans les conflits armés : acquis et lacunes », Revue internationale de la Croix-Rouge , septembre 2004, vol. 86, n° 855, p. 515-546.

Le Droit face aux crises humanitaires. L’accès aux victimes : droit d’ingérence ou droit à l’assistance humanitaire ?, Commission européenne, Bruxelles, 1995.

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