■ Agression
L’acte d’agression est aujourd’hui considéré comme la forme la plus grave du recours illicite à la force. En effet, au sein de l’ordre international qui prévaut depuis le traité de Westphalie de 1648 et l’affirmation de la souveraineté étatique, l’agression apparaît comme le crime le plus grave qui puisse être commis puisqu’il porte atteinte à l’existence même de l’État, c’est-à-dire son intégrité territoriale, et, ce faisant, aux principes essentiels du droit international.
Les débats historiques concernant le concept d’agression en droit international (I) ont abouti a l’adoption de définitions et de mécanismes de sanctions spécifiques (II) par l’Organisation des Nations Unies, la Cour internationale de justice, la Cour pénale internationale, ainsi que par l’Organisation des États Américains et l’Union Africaine.
I. Histoire et enjeux du concept d’agression
Au début et milieu du vingtième siècle, la suppression progressive du droit de faire la guerre (contenu dans le Pacte de la Société des Nations de 1919 et repris en 1928 par le Pacte Briand-Kellog) a interdit le droit de recourir à la force armée sauf dans les situations de légitime défense en cas d’agression. En 1945, la Charte du tribunal de Nuremberg s’est appuyée sur les principes du droit international (principe 6) pour instituer l’acte de planification, de préparation, déclenchement ou de mener une guerre d’agression au rang de crime contre la paix à son article 6(b), engageant la responsabilité pénale de ses auteurs.
La Charte des Nations unies (ONU), signée en 1945, interdit également l’agression et le recours à la force dans les relations entre États, sauf en cas de légitime défense. La Charte de l’ONU a mis en place un système de sécurité collective sous la responsabilité du Conseil de sécurité de l’ONU (CS ONU). La Charte ne contient pas de définition précise de l’agression. Le mandat du CS ONU est articulé autour de la notion plus large de menace à la paix et à la sécurité internationale. C’est lui qui est compétent pour prendre les mesures appropriées dans de tel cas, y compris le recours à la force collective.
Toutefois, la recherche d’un consensus international sur la définition de l’agression a été longue et difficile, avec d’un côté les États favorables à une définition limitée à l’intervention militaire d’un État sur le territoire d’un autre, et de l’autre les États favorables à une définition plus large qui refléterait les différentes formes d’ingérence et d’atteinte à la souveraineté étatique.
Ce n’est qu’en 1974 que l’ONU a adopté une définition de l’acte d’agression. Cette notion d’agression a également été développé et précisée par les décisions de la Cour internationale de justice ainsi que par les organisations intergouvernementales régionales telles que l’Organisation des États Américains et l’Union Africaine. Ces développements ont encadré et structuré le droit à la légitime défense et les mécanismes internationaux de sécurité collective, d’une part, et la responsabilité de l’État devant les instances judiciaires internationales ou régionales, d’autre part.
En 1998, lors de la rédaction du Statut de la Cour pénale internationale, l’acte d’agression a été réintroduit dans le champ du droit pénal international. Toutefois, la CPI n’avait qu’une compétence de principe à l’égard de ce crime car les États n’étaient pas parvenus à un accord sur la définition de ce crime. En 2010, la Conférence de Révision du Statut de Rome à Kampala a finalement permis l’adoption par les États parties d’une définition du crime d’agression.
L’agression est désormais définie et interdite non seulement par le droit international public, mais aussi par le droit pénal international. En tant que tel, un acte d’agression peut donc engager la responsabilité générale de l’État agresseur devant la Cour internationale de justice, permettant la condamnation de l’État et des réparations, mais aussi la responsabilité pénale individuelles des auteurs de l’agression devant la Cour pénale internationale. En effet, la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) sur le crime d’agression a été établie en 2018. Toutefois, les États ont imposé des conditions restrictives spécifiques pour la poursuite du crime d’agression par la CPI qui diffèrent de celles applicables aux autres crimes. La CPI ne peut pas poursuivre ce crime lorsque l’État agresseur n’est pas partie à la CPI ni s’il a refusé l’amendement du statut de la CPI relatif à la définition de l’agression. Le fait que l’État victime de l’agression soit partie au statut de la CPI et ait opté pour cette compétence ne suffit pas à déclencher la compétence de la CPI pour le crime d’agression. Ces conditions restrictives ne peuvent éventuellement être surmontées que par une décision impérative du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée sur la base du chapitre VII de la Charte de l’ONU et pour laquelle il n’y a pas eu d’utilisation du veto d’un membre permanent.
▹ Cour internationale de justice (CIJ) ▹ Cour pénale internationale (CPI) ▹ Réparation-Indemnisation
II. Définitions et sanctions internationales de l’agression
1. Par l’Organisation des Nations unies
L’article 2(4) de la Charte de l’ONU, adoptée en 1945 à San Francisco, stipule que « les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies. » au nom du principe de règlement pacifique des différends.
Cependant, le recours à la force armée est autorisé dans deux circonstances :
- dans les cas de légitime défense, individuelle ou collective, autorisée par l’article 51 de la Charte de l’ONU ;
- dans le cadre des mesures de sécurité collective adoptées par le CS ONU (art. 42 de la Charte de l’ONU).
▸ Légitime défense ▹ Maintien de la paix .
L’article 39 de la Charte de l’ONU dispose par ailleurs que le CS ONU est le seul organe compétent pour constater l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression. Toutefois, comme aucun consensus n’a été trouvé sur la définition de l’agression lors des premières sessions de travail de l’Assemblée générale de l’ONU (AG ONU), la question de la définition a été reportée et transmise à la Commission du droit international (CDI) de l’ONU. La CDI ne réussit pas non plus à s’entendre sur une définition et conclu dans son rapport à l’AG ONU de 1951 que l’agression, « de par sa nature même, [n’était] pas susceptible d’être définie » (A/CN.4/44, p. 68). Plusieurs autres comités spéciaux ont été chargés par l’AG ONU de proposer une définition de l’agression, mais tous ont échoué à s’accorder sur une définition.
Ce n’est qu’en 1974 que l’ONU adopte à l’unanimité une définition de l’agression. La résolution 3314 (XXIX) de l’AG ONU, qui s’inspire largement de la définition de l’agression proposée en 1935 lors de la Conférence sur la réduction et la limitation des armements, définit l’agression comme « l’emploi de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations unies ». Dans cette définition, l’AG ONU a précisé que le terme « État » fait référence à n’importe quel État, sans préjudice des questions de reconnaissance ou de la question de savoir si un État est membre de l’ONU, et qu’il inclut, le cas échéant, la notion de « groupe d’États ». Selon l’ONU, l’emploi de la force armée en violation de la Charte par un État « agissant le premier constitue à première vue la preuve suffisante d’un acte d’agression », cependant cet acte doit être d’une « gravité suffisante » pour être constaté comme tel par le CS ONU.
Pour qu’un acte soit considéré comme une « agression », trois critères doivent être remplis :
L’acte doit : (1) être perpétré par un État; (2) impliquer l’utilisation de la force armée; et (3) atteindre un niveau de gravité suffisant, tel que défini par le CS ONU et doit donner lieu à des réactions de légitime défense ou à des sanctions imposées par la communauté internationale. La définition exclut les agressions idéologiques et économiques et ne prévoit pas la possibilité que ces actes soient perpétrés par des acteurs non étatiques (groupes armés ou autres entités).
Selon la résolution de l’AG ONU (A/RES/3314 (XXIX)), les actes suivants constituent des actes d’agression, qu’il y ait eu ou non déclaration de guerre. Cette liste n’est pas exhaustive :
- L’invasion ou l’attaque du territoire d’un État par les forces armées d’un autre État, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire ou d’une partie du territoire d’un autre État;
- Le bombardement par les forces armées d’un État, du territoire d’un autre État, ou l’emploi de toutes armes par un État contre le territoire d’un autre État;
- Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État;
- L’attaque par les forces armées d’un État contre les forces armées terrestres, navales ou aériennes, ou la marine et l’aviation civiles d’un autre État;
- L’utilisation des forces armées d’un État qui sont stationnées sur le territoire d’un autre État avec l’accord de l’État d’accueil, contrairement aux conditions prévues dans l’accord ou toute prolongation de leur présence sur le territoire en question au-delà̀ de la terminaison de l’accord;
- Le fait pour un État d’admettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d’agression contre un État tiers;
- L’envoi par un État, ou en son nom, de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans une telle action.
Malgré l’adoption de cette définition de l’agression en 1974 par l’AG ONU, le CS ONU a continué à utiliser la terminologie plus neutre de menace à « la paix et à la sécurité internationale » ou de « violation de la paix et de la sécurité internationales » dans sa gestion ultérieure des crises internationales, comme les invasions successives du Liban par Israël en mars 1978 (S/RES/425) ou l’invasion du Koweït par l’Irak en août 1990 (S/RES/660), même si l’invasion constitue un acte d’agression selon la définition de la résolution 3314 de l’AG ONU.
Les termes employés par l’AG ONU pour décrire l’usage de la force par la Fédération de Russie contre le territoire de l’Ukraine ont changé au fil des ans. En effet, en 2014, l’AG ONU n’a pas utilisé le terme « agression » dans sa résolution (A/RES/68/262) concernant l’invasion de la Fédération de Russie et l’« annexion » subséquente de la région de Crimée, mais a plutôt parlé de la perturbation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et a demandé à tous les États de renoncer et de s’abstenir d’actions visant à cette perturbation et de poursuivre immédiatement le règlement pacifique de la situation en ce qui concerne l’Ukraine. En revanche, dans sa résolution 2022 (A/RES/ES-11/1), l’AG ONU a utilisé un langage beaucoup plus fort et n’a pas hésité à employer le mot « agression » et à pointer du doigt la Fédération de Russie dans son appel à cesser immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine et à s’abstenir de toute nouvelle menace ou de tout nouveau recours illégal à la force contre tout État membre. Il est intéressant de noter que l’AG ONU est intervenue en 2022 à la suite d’une demande de session extraordinaire d’urgence (S/RES/2623(2022)) dans le cadre d’une résolution « L’union pour le maintien de la paix » du CS ONU en raison du blocage de la Fédération de Russie au niveau du CS ONU (en utilisant son droit de veto) pour l’adoption d’une résolution sur la situation de l’Ukraine. C’est la première fois en quarante ans que le CS ONU adopte une telle résolution d’« union pour le maintien de la paix ».
La résolution 2022 de l’AG ONU (A/RES/ES-11/1) a été adoptée à une majorité qui était supérieure aux deux tiers requis pour une résolution portant sur des questions importantes telles que le maintien de la paix et de la sécurité internationales (article 18, paragraphe 2, de la Charte de l’ONU). Avec cette résolution, l’AG ONU a agi non seulement pour affirmer une position morale selon laquelle l’invasion est mauvaise, mais aussi pour déclencher des conséquences politiques et juridiques potentielles pour la Russie et ses dirigeants dans le cadre de la responsabilité internationale de l’État ainsi que de la responsabilité pénale individuelle.
Le concept de résolution d’« union pour le maintien de la paix » a été introduit pour la première fois le 3 novembre 1950 par la résolution A/RES/377 (V) de l’AG ONU et se fonde sur l’article 12 de la Charte de l’ONU qui stipule que l’AG ONU ne peut agir sur une question liée au maintien de la paix et de la sécurité internationales que lorsque le CS ONU ne joue pas son rôle en la matière. La responsabilité juridique découlant de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine a été précisée par des résolutions ultérieures de l’AG ON (A/ES-11/L.6 et A/RES/ES-11/5) reconnaissant que la Russie devait être tenue pour responsable de son agression contre l’Ukraine et recommandant la création d’un registre des dommages. Elle a également reconnu la nécessité pour la Russie de réparer les préjudices causés par ses violations du droit international.
2. Par la Cour internationale de justice
Un certain nombre d’arrêts de la Cour international de justice ont également fourni des définitions du terme « agression ». Dans l’affaire concernant les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci ( Nicaragua c. États-Unis d’Amérique , 27 juin 1986), la Cour internationale de justice (CIJ) a déclaré que « si la notion d’agression armée englobe l’envoi de bandes armées par un État sur le territoire d’un autre État, la fourniture d’armes le soutien apporté à ces bandes ne sauraient être assimilés à l’agression armée » (par. 247). La Cour a estimé que le soutien financier, l’entraînement, la fourniture d’armes, le renseignement et le soutien logistique constituent une violation manifeste du principe de non-recours à la force et du principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’un État, c’est-à-dire « un comportement certes illicite, mais d’une gravité moindre que l’agression armée » (paragraphe 247). Il est à noter que dans la version française de cet arrêt, l’expression “armed attack” est traduite par « agression armée ».
Par ailleurs, la Cour a souligné que l’agression indirecte au sens de l’article 3(g) de la résolution 3314 de l’AG ONU devait, pour être qualifiée comme telle, consister en « l’envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés […] contre un autre État d’une gravité telle qu’ils équivalent (entre autres) à une véritable agression armée accomplie par des forces régulières » (para. 195). La Cour considère que cette description reflète le contenu du droit coutumier ; « […] en droit international coutumier la prohibition de l’agression armée [peut] s’appliquer à l’envoi par un État de bandes armées sur le territoire d’un autre État si cette opération est telle par ses dimensions et ses effets, qu’elle aurait été qualifiée d’agression armée et non de simple incident de frontière si elle avait été le fait de forces armées régulières » (para. 195). Ce faisant, la Cour limite l’application de la résolution 3314 de l’AG ONU puisqu’elle implique que ces « bandes ou de groupes armées, de forces irrégulières ou de mercenaires » doivent posséder des capacités de frappe militaire équivalentes à celles de forces armées régulières.
Dans son arrêt du 19 décembre 2005, dans une affaire concernant des activités armées sur le territoire de la République Démocratique du Congo (RDC) (République démocratique du Congo c. Ouganda ), la CIJ a estimé que l’agression alléguée de la RDC contre l’Ouganda n’était pas établie en droit parce qu’il n’y avait pas de preuve satisfaisante d’une implication directe ou indirecte de la RDC dans les attaques armées contre le territoire ougandais (par. 146). Selon la Cour, ces attaques n’étaient pas le fait de bandes armées ou de forces irrégulières envoyées par la RDC ou en son nom au sens de l’article 3 g) de la résolution 3314 (XXIX) de l’AG ONU (par. 146). Par conséquent, la Cour a estimé que les conditions de droit et de faits permettant à l’Ouganda d’exercer son droit de légitime défense à l’encontre de la RDC n’étaient pas réunies (par.147). L’incapacité d’un État à contrôler les activités de groupes opérant à partir de son territoire ne suffit pas à établir l’acte d’agression, puisque celui-ci doit être perpétré par un État ou des forces agissant sous le contrôle de l’État ou pour le compte de l’État.
Dans l’affaire concernant l’agression de l’Ukraine par la Fédération de Russie le 24 février 2022, l’Ukraine a demandé à la CIJ d’écarter l’allégation de la Russie selon laquelle son intervention militaire était légitime en vertu de la Convention sur le génocide de 1948 pour prévenir le génocide présumé de la minorité russe par l’Ukraine. Dans son ordonnance préliminaire du 16 mars 2022, la CIJ a considéré aux paragraphes 56 et 57 que l’obligation de prévenir et de punir doit être mise en œuvre par les États de bonne foi et conformément au droit international, en tenant compte des autres parties de la Convention qui prévoient une action dans le cadre de l’ONU ou devant la CIJ.
3. Par la Cour pénale internationale
À l’origine, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, adopté en 1998 et entré en vigueur en 2002, ne définissait pas le crime d’agression. Le CS ONU étant le seul organe compétent pour déclarer l’existence d’un acte d’agression, il ne prévoyait pas non plus les conditions dans lesquelles la Cour pouvait exercer sa compétence à l’égard d’un tel crime. La compétence de la Cour pour connaître des affaires alléguant ce crime était alors purement théorique. L’article 5 du Statut de Rome prévoyait simplement que « La Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de l’exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies ». Les articles 121 et 123 du Statut fixent les conditions d’amendement et de révision du Statut et prévoient notamment que le Secrétaire général de l’ONU convoquera une Conférence de Révision du Statut de Rome sept ans après l’entrée en vigueur du Statut.
En 2010, lors de la première conférence de révision du statut qui s’est tenue à Kampala en Ouganda , l’Assemblée des États Parties a adopté une définition du crime d’agression ainsi que les conditions d’exercice de la compétence de la Cour à l’égard de ce crime.
La définition du crime d’agression est contenue dans le nouvel article 8 bis au Statut. Elle s’inspire principalement de la résolution 3314 de l’AG ONU de 1974, et se lit comme suit :
« 1. Aux fins du présent Statut, on entend par « crime d’agression » la planification, la préparation, le lancement ou l’exécution par une personne effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État, d’un acte d’agression qui, par sa nature, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des Nations Unies.
- Aux fins du paragraphe 1, on entend par « acte d’agression » l’emploi par un État de la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. Qu’il y ait ou non déclaration de guerre, les actes suivants sont des actes d’agression au regard de la résolution 3314 (XXIX) de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 14 décembre 1974:
- L’invasion ou l’attaque par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État ou l’occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou l’annexion par la force de la totalité ou d’une partie du territoire d’un autre État ;
- Le bombardement par les forces armées d’un État du territoire d’un autre État, ou l’utilisation d’une arme quelconque par un État contre le territoire d’un autre État ;
- Le blocus des ports ou des côtes d’un État par les forces armées d’un autre État ;
- L’attaque par les forces armées d’un État des forces terrestres, maritimes ou aériennes, ou des flottes aériennes et maritimes d’un autre État ;
- L’emploi des forces armées d’un État qui se trouvent dans le territoire d’un autre État avec l’agrément de celui-ci en contravention avec les conditions fixées dans l’accord pertinent, ou la prolongation de la présence de ces forces sur ce territoire après l’échéance de l’accord pertinent ;
- Le fait pour un État de permettre que son territoire, qu’il a mis à la disposition d’un autre État, serve à la commission par cet autre État d’un acte d’agression contre un État tiers ;
- L’envoi par un État ou au nom d’un État de bandes, groupes, troupes irrégulières ou mercenaires armés qui exécutent contre un autre État des actes assimilables à ceux de forces armées d’une gravité égale à celle des actes énumérés ci-dessus, ou qui apportent un concours substantiel à de tels actes. »
Grace à l’adoption de ce nouvel article 8 bis, l’acte d’agression est devenu un crime dont les auteurs individuels peuvent être poursuivi pénalement, au-delà de la responsabilité générale des États.
Les Éléments des Crimes de la CPI ont également été amendés pour préciser les éléments constitutifs de ce nouveau crime. L’un de ces éléments affirme que l’auteur doit être une ou plusieurs personnes effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire de l’État qui a commis l’acte d’agression. Cette définition est restrictive, puisqu’elle exclut les poursuites au titre de l’agression contre des membres de groupes armés non étatiques agissant pour le compte d’un État étranger. Toutefois, des poursuites judiciaires contre les commandants de ces groupes armés non étatiques restent possibles devant la CPI au titre des autres crimes. En outre, la jurisprudence récente suggère que les attaques des groupes armés non étatiques pourraient être reconnues par les juges comme constitutives d’un acte d’agression s’il était prouvé que ces groupes agissent en tant qu’agents de facto d’un État étranger.
À la différence des autres crimes prévus dans le Statut de Rome, la compétence de la CPI pour le crime d’agression a été soumis à des conditions supplémentaires plus restrictives que celles énoncées par l’article 12 du statut de la CPI pour les autres crimes. Ces conditions restrictives s’appliquent lorsque la saisine de la CPI émane d’un État ou du Procureur (article 15 bis). Toutefois, elles ne s’imposent pas si la CPI est saisi directement par le CS ONU (article 15 ter).
La première différence avec les autres crimes est que dans les cas ou l’État victime de l’agression a accepté la compétence de la CPI, la Cour ne peut agir que si l’ État agresseur est lui aussi parti au statut de la CPI. Cette double exigence qui diffère de ce qui est exigé pour les autres crimes, constitue une limitation importante de la compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression. Cette limitation est encore accrue puisque, par le caractère optionnel de la compétence de la CPI prévu par son statut pour le crime d’agression. En effet même si l’État agresseur et l’État agressé sont tous les deux partis au statut de la CPI, la Cour ne pourra pas agir si les deux États n’ont pas ratifié l’amendement relatif au crime d’agression (article 121(5)) et s’ils ont refusé la compétence de la CPI pour ce crime conformément à la clause optionnelle de l’article 15 bis (4).
La deuxième grande différence est que le procureur ne peut pas ouvrir une enquête avant d’avoir vérifié si le CS ONU a constaté l’existence d’un acte d’agression (article 15 bis (6)), ou avant d’y être autorisé par la Section préliminaire de la Cour dans le cas ou le CS ONU n’aurait pas officiellement constaté l’existence de l’acte d’agression dans un délai de six mois après l’événement (article 15 bis (8)).
La compétence de la CPI à l’égard du crime d’agression est devenue officielle le 17 juillet 2018, suite à l’acceptation par au moins trente États parties des dispositions supplémentaires prévues à l’ article 15 bis et 15 ter (1) et à l’activation de cette compétence par une décision adoptée par les deux tiers des États parties.
4. Par l’Organisation des États américains (OEA)
Le Traité interaméricain d’assistance mutuelle, adopté à Rio de Janeiro, Brésil, en 1947, ainsi que la Charte de l’Organisation des États américains, signée en 1948 à Bogota, Colombie, interdisent la guerre d’agression et affirment que la victoire d’une guerre ne crée pas de droits pour l’État agresseur (article 3.g de la Charte). Selon l’OEA, l’agression contre un État américain constitue une agression contre tous les autres États américains (article 3.3) du traité et article 3.h de la Charte).
L’article 9 du traité définit deux types d’agression : i) l’attaque armée injustifiée par un État contre le territoire, la population ou les forces armées terrestres, maritimes ou aériennes d’un autre État, et ii) l’invasion, par les forces armées d’un État, du territoire d’un État américain. Par ailleurs, l’article 21 de la Charte stipule que le territoire d’un État est inviolable, et qu’en ce sens « il ne peut être l’objet d’occupation militaire ni d’autres mesures de force de la part d’un autre État, directement ou indirectement, pour quelque motif que ce soit et même de manière temporaire ».
En outre, l’OEA a reconnu la possibilité de formes d’agression autres qu’une attaque armée (article 6 du Traité et article 29 de la Charte). Le texte ne précise pas ce qui constituerait ce type d’attaque, mais l’agression économique ou la subversion et l’ingérence politiques pourraient potentiellement entrer dans la catégorie des mesures de force indirectes mentionnées par l’article 21de la Charte .
5. Par l’Union Africaine
Le 31 janvier 2005, les États membres de l’Union Africaine ont adopté le Pacte de non-agression et de défense commune à Abuja, au Nigeria. Ce pacte est entré en vigueur le 18 décembre 2009, il a été signé par 43 pays États mais n’a été ratifié que par vingt-deux d’entre eux en date d’avril 2023.
L’article 1(c) de ce pacte définit l’agression de manière plus large que les autres instruments internationaux, puisqu’il va au-delà des actes commis contre le territoire de l’État et inclut les attaques perpétrées contre la souveraineté politique ou la population de l’État.
Le pacte englobe également une catégorie plus large d’acteurs qui peuvent être tenus responsables d’actes d’agression que ceux définis par les catégories proposées par l’ONU, la CIJ et la CPI. En vertu du pacte, l’agression peut être perpétrée par des groupes armés ou des groupes terroristes sur le territoire d’un État (« toute entité étrangère ou extérieure »). En outre, tout soutien apporté par un État à des groupes armés, des mercenaires ou d’autres groupes criminels transnationaux organisés susceptibles de commettre des actes hostiles à l’encontre d’un État membre peut constituer une agression. Cette définition va beaucoup plus loin que l’interprétation de l’« agression » telle que définie par la CIJ (voir ci-dessus).
Selon le Pacte, « l’agression signifie l’emploi, [intentionnel et en connaissance de cause, de la force armée ou de tout autre acte hostile] par un État, un groupe d’États, une organisation d’États ou toute entité étrangère ou extérieure, de la force armée ou de tout autre acte hostile, incompatibles avec la Charte des Nations unies ou l’Acte constitutif de l’Union africaine ». Constituent des actes d’agression, indépendamment d’une déclaration de guerre, les actes suivants commis par un État, un groupe d’États, une organisation d’États, un ou plusieurs acteurs non étatiques ou par toute entité étrangère :
« 1. l’utilisation des forces armées contre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un État membre, ou tout autre acte incompatible avec les membres, ou tout autre acte incompatible avec les dispositions de l’Acte constitutif de l’Union africaine et de la Charte des Nations Unie
s ; 2. l’invasion ou l’attaque du territoire d’un État membre par les forces armées, ou toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque, ou toute annexion par l’emploi de la force du territoire ou d’une partie du territoire d’un État membre;
- le bombardement du territoire d’un État membre, ou l’emploi de toute armes contre le territoire d’un État membre;
- le blocus des ports, des côtes ou de l’espace aérien d’un État membre ;
- l’attaque contre des forces armées terrestres, navales ou aériennes d’un État membre ;
- l’utilisation des forces armées d’un État membre qui sont stationnées sur le territoire d’un autre État membre avec l’accord de l’État d’accueil, contrairement aux conditions prévues dans le présent Pacte ;
- le fait pour un État membre d’admettre que son territoire qu’il a mis à la disposition d’un autre État membre soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d’agression contre un État tiers ;
- l’envoi par un État membre ou en son nom ou la fourniture de tout soutien à des groupes armés, à des mercenaires ou à d’autres groupes criminels transnationaux organisés qui peuvent perpétrés des actes hostiles contre un État membre, d’une gravité telle qu’ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s’engager d’une manière substantielle dans de tels actes ;
- les actes d’espionnage qui pourraient être utilisés à des fins d’agression militaire contre un État membre ;
- l’assistance technologique de toute nature, les renseignements et la formation au profit d’un autre État, pour utilisation aux fins de commettre des actes d’agression contre un autre État membre ; et
- l’encouragement, le soutien, l’acceptation ou la fourniture de toute assistance aux fins de commettre des actes terroristes et autres crimes transfrontalières violents organisés contre un État membre.»
Si l’Union africaine détermine qu’un État membre a commis un acte d’agression, tel que défini dans le Pacte, l’Union peut mettre en place des mécanismes de sécurité collective . Les États membres peuvent également déposer des plaintes auprès de la Cour africaine de justice.
Conseil de sécurité des Nations unies (CS) ▸ Cour internationale de justice (CIJ) ▸ Cour pénale internationale (CPI) ▸ Guerre ▸ Légitime défense; ▸ Ordre public ▸ Sanctions (diplomatiques, économiques ou militaires); Union africaine (UA) ▸ Sécurité collective
Pour en savoir plus
Akande, Dapo, “What Exactly was Agreed in Kampala on the Crime of Aggression?” EJIL Talk! Blog, 21 juin 2010. Disponible au https://www.ejiltalk.org/what-exactly-was-agreed-in-kampala-on-the-crime-of-aggression/
Ambos, K., “The Crime of Aggression After Kampala”, German Yearbook of International Law, 53 (2010), 2011, p. 463-509. Disponible au http://www.department-ambos.uni-goettingen.de/data/documents/Veroeffentlichungen/epapers/AggressionafterKampalaGYIL53(2010).pdf
Bugnion F. « Guerre juste, guerre d’agression et droit international humanitaire », Revue Internationale de la Croix Rouge, Vol.84, N°847, septembre 2002, p. 523-546
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