Partie au conflit
Pour préserver les possibilités d’application du droit international humanitaire, les Conventions de Genève ont recours au terme neutre de « parties au conflit » pour désigner les entités étatiques ou non étatiques qui prennent part aux hostilités. Ce terme remplace dans le vocabulaire juridique moderne celui de « belligérant », qui reste cependant utilisé communément pour désigner les individus, groupes et États engagés dans un conflit armé.
Cependant, les conflits armés ne se résument pas à l’affrontement des forces armées officielles d’États qui ont reconnu leur existence mutuelle. En outre, dans les conflits armés non internationaux, l’une des parties est nécessairement représentée par uneentité non étatique n’ayant pas forcément d’existence officielle : insurgés, rebelles, groupes armés divers. Le statut non étatique de ces groupes les empêche de signer les conventions internationales relatives au droit humanitaire. Il est pourtant essentiel que le respect du droit humanitaire ne puisse pas être différé par des querelles relatives au statut juridique des belligérants.
C’est pour cela que le droit humanitaire fait une distinction entre le statut de « hautes parties contractantes » et celui de « parties au conflit ». Les hautes parties contractantes désignent les États signataires des conventions qui ont des obligations de respecter et d’assurer le respect du droit humanitaire même s’ils ne sont pas directement impliqués dans un conflit armé. En outre, ils restent tenus au respect des conventions humanitaires qu’ils ont signées même vis-à-vis d’un adversaire qui n’aurait pas signé les conventions. Le principe traditionnel de réciprocité des engagements n’est pas reconnu par le droit humanitaire. Ceci s’illustre particulièrement par le fait que la violation d’un engagement par une partie ne peut pas être invoquée par l’autre partie pour justifier ses propres violations des règles du droit humanitaire.
La notion de parties au conflit désigne quant à elle à la fois les États impliqués dans le conflit mais aussi les entités non étatiques qui prennent part aux hostilités.
Pour pallier les défauts d’application directe des conventions, le droit humanitaire prévoit un mécanisme contractuel complémentaire. Les parties au conflit s’engagent à mettre en vigueur dès le début des hostilités tout ou partie des conventions humanitaires par voie d’accord spécial (GIV art. 3). Ce mécanisme est également ouvert entre États parties au conflit qui ne seraient pas eux mêmes signataires des conventions (GIV art. 2). Il est également précisé que l’application du droit humanitaire n’a pas d’effet sur le statut juridique des parties au conflit (GI-GIV art. 3 commun ; GPI art. 4).
Ces limites conventionnelles sont aujourd’hui partiellement compensées par le fait que de très nombreuses dispositions du droit humanitaire ont acquis un caractère coutumier. En 2005, le CICR a ainsi publié une étude énonçant 161 règles de droit international humanitaire coutumier applicables aux conflits internationaux et non internationaux. Ce droit humanitaire coutumier est obligatoire pour toutes les parties au conflit, y compris pour les États qui n’auraient pas signer les conventions et les acteurs armés non étatiques qui, par définition, ne peuvent pas ratifier les conventions internationales.
Sous réserve qu’ils soient organisés et placés sous un commandement responsable (conditions cumulatives), les groupes armés non étatiques peuvent avoir le statut de partie aux conflits non internationaux. Ils sont à ce titre tenus au respect du droit humanitaire qui s’y rapporte, c’est-à-dire l’article 3 commun des Conventions de Genève et le Protocole additionnel II de 1977. S’il est prouvé que des groupes armés non étatiques agissent en réalité pour le compte et sous le contrôle d’un État étranger, le conflit armé peut également être internationalisé.
Les interventions militaires internationales sous le mandat du Conseil de Sécurité peuvent sous certaines conditions être considérées comme parties au conflit. C’estle cas quand elles sont autorisées à employer la force de manière offensive au-delà de la simple légitime défense et quand elles soutiennent l’action des forces armées d’une partie au conflit.
Le droit humanitaire applicable dépendra du caractère international ou non international du conflit. La qualification n’est pas laissée à l’appréciation partisane des parties en conflit. Le droit humanitaire énonce des critères de qualification factuels et objectifs pour éviter les polémiques. Ces critères sont interprétés et précisés par la jurisprudence récente des tribunaux internationaux.
En cas de conflit armé non international, le fait qu’un groupe armé non étatique soit reconnu comme partie au conflit lui donne des obligations au regard du respect du droit humanitaire. Cependant, le droit humanitaire ne confère pas aux membres de ces groupes armés le statut de combattant et les privilèges s’y attachant comme le statut de prisonnier de guerre et l’exemption d’être poursuivi pour leur participation aux hostilités. Dans le silence du droit humanitaire, les membres des groupes armés restent donc soumis aux règles du droit national, qui les considère comme des criminels et limite le privilège de recours à la force à l’armée nationale. Il s’agit la d’une forte asymétrie juridique qui rompt le principe d’égalité juridique des parties en conflit, imposé en principe par le droit humanitaire.
Il reste possible de remédier à ce déséquilibre dans le cadre d’un accord spécial signé entre les parties en conflit comme le suggère l’article 3 commun. Cette possibilité d’accord ad hoc accepté par l’État partie au conflit peut permettre de rétablir un certain équilibre entre l’application des dispositions du droit humanitaire et celle du droit national dans les conflits armés non internationaux. Elle peut permettre d’aller au-delà des dispositions du Protocole additionnel II sans entraîner la reconnaissance juridique de l’autre partie au conflit. Ceci est particulièrement important pour permettre à l’État de signer un accord avec un groupe illégitime ou criminel au regard du droit national.
- Les règles classiques de réciprocité ne s’appliquent pas dans le domaine du droit international humanitaire.
- Le fait que l’une des parties au conflit ne soit pas signataire des Conventions de Genève ou ne les respecte pas ne délie pas l’autre partie de son obligation de respecter le droit humanitaire (GI-IV art. 1 et 2 communs). Cela est particulièrement important dans les conflits armés non internationaux, dans lesquels il existe une forte asymétrie juridique et pratique entre les parties au conflit : d’un côté l’État et de l’autre des individus et groupes armés non étatiques plus ou moins organisés qui restent considérés comme des criminels par le droit national.
▸ Statut juridique des parties au conflit ▹ Accord spécial ▹ Haute partie contractante ▹ Convention internationale ▹ Belligérant ▹ Coutume ▹ Combattant ▹ Respect du droit international humanitaire ▹ Ingérence ▹ Maintien de la paix ▹ Conflit armé international ▹ Conflit armé non international-Conflit armé interne-Guerre civile… -Insurrection-Rébellion ▹ Groupes armés non étatiques ▹ Population civile ▹ Societés militaires privées (SMP)
Pour en savoir plus
Meyrowitz H., Le Principe de l’égalité des belligérants devant le droit de la guerre , Pedone, Paris, 1970.
Meyrowitz H., Sassoli M. et Shany Y., « Should the obligations of states and armed groups under international humanitarian law really be equal ? » Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 882, juin 2011, p. 425-436.
Pfanner T., « Les guerres asymétriques vues sous l’angle du droit humanitaire et de l’action humanitaire », Revue internationale de la Croix-Rouge., n° 857, mars 2005, p. 149-174.
Somer J., « Jungle justice : passing sentence on the equality of belligerent in non international armed conflict », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 867, septembre 2007, p. 655-690.
Vite S., « Typology of armed conflicts in international humanitarian law : legal concepts and actual situations », International Review of the Red Cross , n° 873 (mars 2009), p. 69-94.