Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Conflit armé international

Les conflits armés sont à la fois un état de fait et une question de droit. La Charte des Nations unies interdit depuis 1945 le recours à la force armée dans les relations entre États, à part en cas de légitime défense face à une agression. Mais la définition juridique de l’agression a fait défaut en droit international pénal jusqu’en 2010. Il n’existe pas non plus de définition juridique internationale des conflits armés en tant que tels. Depuis 1949, l’article 2 commun aux quatre Conventions deGenève donne une définition du conflit armé international entraînant l’application du droit humanitaire. L’article 3 commun aux conventions de Genève (article 3 commun) pose les règles minimales applicables dans les conflits armés non internationaux sans fournir de définition de ces confits. Le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève ainsi que la jurisprudence des tribunaux internationaux ont élargi la définition des conflits armés internationaux et fourni des critères d’interprétation de cette définition.

L’enjeu de ces définitions réside dans l’obligation de respecter les règles du droit humanitaire conventionnel et coutumier spécifiquement applicable aux conflits armés internationaux plutôt que celles plus limitées applicables aux conflits armés non internationaux.

  • La définition et la qualification de ce type de conflit est importante car elle permet l’application des règles de droit international prévues pour les conflits armés internationaux.
  • Un conflit armé interne peut être internationalisé quand un État tiers soutient et contrôle en réalité les activités d’un groupe armé agissant contre son propre gouvernement, ou par l’implication sur le territoire d’une force multinationale de maintien de la paix.
  • Un conflit armé qui oppose, sur un (ou des) territoire(s) occupé(s), la puissance occupante et un groupe armé non étatique, même s’il a les caractéristiques d’un groupe terroriste, constitue un conflit armé international.
  • Les règles du droit des conflits armés internationaux peuvent être utilisées pour interpréter celles des conflits armés non internationaux.
  • Le droit international humanitaire coutumier harmonise la plupart des règles applicables dans les conflits armés internationaux et non internationaux et s’impose aux parties au conflit qui ne sont pas signataires des conventions internationales.

Définition conventionnelle : les conflits armés entre États

Selon le droit humanitaire conventionnel, le conflit armé international désigne les conflits armés qui opposent deux ou plusieurs États parties aux Conventions de Genève, ainsi que les cas d’occupation militaire de tout ou partie du territoire d’un État signataire et les guerres de libération nationale (GI, GII, GIII, GIV art. 2 commun, GPI art. 1.3-4).

  • La définition de l’article 2 commun aux Conventions de Genève de 1949 recouvre les cas de guerre déclarée mais aussi tout autre conflit armé surgissant entre deux ou plusieurs hautes parties contractantes, même si l’état de guerre n’est pas reconnu par l’une d’elles.

L’application du droit humanitaire n’est donc plus soumis au formalisme de la déclaration de guerre, ni à la reconnaissance de l’état de conflit par l’un ou l’autre des États engagés dans celui-ci. Elle repose sur des critères objectifs destinés à éviter les polémiques politiques de qualification.

Le droit des conflits armés internationaux s’applique également dans tous les cas d’occupation de tout ou partie du territoire d’une haute partie contractante même si cette occupation ne rencontre aucune résistance militaire et qu’il n’y a donc pas d’affrontements armés proprement dits, ou que ces affrontements se font avec des groupes armés non étatiques sur le(s) territoire(s) occupé(s).

  • Le Protocole additionnel I de 1977 aux Conventions de Genève assimile à des conflits armés internationaux les guerres de libération nationale dans lesquellesles peuples luttent contre la domination coloniale, l’occupation étrangère ou un régime raciste et veulent exercer leur droit à l’autodétermination (GPI art. 1.4). Le droit des conflits armés internationaux peut donc être appliqué à ce type de conflit à condition que l’autorité représentant le peuple en lutte contre un État accepte formellement d’appliquer les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I dans le cadre de sa lutte armée (GPI art. 96.3).

Le droit humanitaire conventionnel et coutumier ne fournit pas de définition claire de la notion de conflit armé en tant que tel. Le commentaire de l’article 2 des Conventions de Genève de 1949 précise que tout différend qui surgit entre deux États parties et qui conduit à utiliser les membres des forces armées est un conflit armé international au sens des Conventions de Genève. Il précise que la durée de ce conflit, le nombre des forces militaires impliquées et le nombre de morts sont sans importance sur la qualification. Le simple fait que les forces armées de l’une des parties aient capturé des membres des forces armées adverses, même s’il n’y a pas eu de morts, suffit pour déclencher l’application du droit humanitaire applicable aux conflits armés internationaux. L’existence d’un conflit armé international n’est donc soumise à aucune exigence concernant l’intensité des affrontements contrairement à ce qui est imposé dans le cas des conflits armés internes.

Définition jurisprudentielle : les conflits armés internationaux ou internationalisés

Certains conflits armés impliquent une grande hétérogénéité d’acteurs armés, à la fois étatiques, non étatiques et internationaux, débordant sur les territoires d’États non officiellement parties au conflit. Cette complexité soulève des problèmes de qualification et de droit applicable aux différents acteurs et situations.

Si l’implication militaire directe de plusieurs États est aisée à établir, elle ne suffit pas à rendre compte de la réalité des conflits armés contemporains, qui défient les critères juridiques trop formels d’États et de territoire contenus dans la définition conventionnelle. En effet, certains conflits armés peuvent se déployer sur les territoires de plusieurs États sans pour autant impliquer directement leurs armées nationales. D’autres se déroulent sur un seul territoire national mais impliquent des groupes armés non étatiques agissant à partir du territoire d’un État voisin avec ou sans le soutien de celui-ci. Enfin, certains conflits armés se déroulent totalement à l’extérieur du territoire national d’une des parties au conflit. Il est également nécessaire d’aller au-delà des apparences juridiques concernant la nature non étatique d’un acteur armé et de vérifier s’il n’agit pas en réalité au nom et pour le compte d’un État.

Enfin, la présence de forces armées internationales mandatées ou non par l’ONU peut également modifier la nature d’un conflit armé si les missions incluent la participation directe dans les combats et ne limitent pas le recours à la force à la seule légitime défense.

La jurisprudence internationale a défini les critères d’internationalisation d’un conflit armé qui n’oppose pas directement deux ou plusieurs États et qui n’est donc pas international au sens littéral de la définition.

  • Soutien et contrôle étatiques de l’action de groupes armés non étatiques

Plusieurs décisions de la Cour internationale de justice et des tribunaux pénaux internationaux ont examiné les conditions permettant d’attribuer à un État tiers l’action de groupes armés non étatiques et donc de requalifier un conflit interne en conflit international ou internationalisé.

Dans son jugement dans l’affaire Tadic du 15 juillet 1999, le Tribunal pénal international ad hoc pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) s’est prononcé sur la qualification du conflit. Il a affirmé qu’« un conflit armé interne qui éclate sur le territoire d’un État peut devenir international (ou, selon les circonstances, présenter parallèlement un caractère international) si i) les troupes d’un autre État interviennent dans le conflit ou encore si ii) certains participants au conflit armé interne agissent au nom de cet autre État » (IT-94-1-A, § 84).

Les tribunaux internationaux ont tenté de préciser les notions de soutien direct et de contrôle permettant éventuellement d’attribuer à un État la responsabilité des actions d’un groupe armé non étatique ou de requalifier ce groupe en agent de l’État. Il y a un accord général sur le fait que, pour internationaliser un conflit, il faut que le contrôle d’un groupe armé par un État tiers aille au-delà du simple soutien matériel. Dans son arrêt rendu dans l’affaire Tadic, le TPIY a précisé qu’un État doit exercer un contrôle global sur un groupe armé pour qu’on puisse lui attribuer la responsabilité des actes commis par ce groupe. Ce contrôle global implique que non seulement l’État tiers équipe et finance un groupe armé mais également qu’il coordonne ou participe à la planification d’ensemble de ses activités militaires. Il ne serait pas nécessaire de prouver que l’État tiers est directement impliqué dans les décisions concernant chaque action miliaire spécifique. Cette théorie du contrôle global et des critères qui y sont associés a été développée dans les décisions ultérieures des tribunaux pénaux internationaux ( infra Jurisprudence). Il existe cependant une controverse entre la Cour internationale de justice et les tribunaux pénaux internationaux concernant le niveau de contrôle exigé pour considérer qu’un groupe armé agit en fait au nom d’un État tiers et engage sa responsabilité. Au lieu du « contrôle global » défini par les tribunaux pénaux internationaux, la CIJ exige un « contrôle effectif », notion plus contraignante qui implique une absence d’autonomie du groupe armé vis-à-vis de l’État tiers concerné. La Cour internationale de justice a tenté de réconcilier ces deux notions en estimant dans une décision de 2007 qu’on pourrait se contenter de prouver l’existence d’un contrôle global pour qualifier une situation de conflit armé international. Par contre, elle réaffirme que ce contrôle doit être quasiment total s’il s’agit d’engager la responsabilité de l’État en droit international en lui imputant les actes criminels commis par un groupe armé étranger ( infra Jurisprudence).

Le raisonnement de la CIJ rappelle de façon très utile que le droit humanitaire doit être interprété de façon plus large que le droit international de la responsabilité de l’État et le droit pénal international. L’apport de la jurisprudence pénale internationale dans le domaine du droit humanitaire doit donc être examiné avec vigilance à la lumière de la différence des objectifs poursuivis par ces différentes branches du droit international.

ResponsabilitéCour internationale de justice (CIJ) .

  • Présence de forces armées internationales autorisées par l’ONU

Concernant les opérations de maintien de la paix et autres interventions armées internationales autorisées par l’ONU, les débats juridiques concernant leur éventuel statut de partie au conflit ou de simple médiateur ont été nombreux. Ces débats ont bien sûr une influence sur la qualification des conflits dans lesquels elles sont déployées et sur la nature du droit humanitaire qui leur est applicable. Il est aujourd’hui reconnu que la seule présence de forces multinationales déployées sous mandat de l’ONU dans un conflit armé ne suffit pas à internationaliser celui-ci. En effet, dans la grande majorité des situations, ses forces sont déployées avec l’accord du ou des États concernés et elles ne sont pas autorisées à utiliser la force en dehors des cas de légitime défense. Dans ce cas, elles ne peuvent pas être qualifiées a priori de parties au conflit. Le statut de la Cour pénale internationale a d’ailleurs reconnu le caractère civil de ces forces dans certaines situations en prévoyant que l’attaque délibérée de ces personnels soit considérée comme crime de guerre. Par contre, dans les cas où les forces internationales sont autorisées à utiliser la force de manière offensive et à participer à des actions de combat, elles peuvent perdre ce statut civil. Le conflit armé peut alors être internationalisé et ces forces soumises au respect du droit humanitaire.

Maintien de la paix .

Le droit humanitaire applicable aux conflits armés internationaux

Les règles applicables aux conflits armés internationaux sont les quatre Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel I de 1977 ainsi que les règles de droit international humanitaire coutumier, compilées par le CICR et publiées en 2005. Les règles contenues dans les quatre Conventions de Genève et le Protocole additionnel I ne sont applicables qu’aux conflits entre États signataires. Toutefois, si l’une des parties au conflit n’est pas signataire des Conventions, les autres parties resteront entre elles tenues par leurs engagements et seront également tenues par leurs engagements vis-à-vis de la partie non signataire si celle-ci accepte et applique les dispositions du droit humanitaire (GI, GII, GIII, GIV art. 2 commun, GPI art. 1.3-4). Les règles de droit international humanitaire coutumier s’appliquent même aux États non signataires des Conventions ou du Protocole additionnel I.

Les règles de droit humanitaire sont plus nombreuses et plus détaillées dans le cadre des conflits armés internationaux. Elles posent les limitations aux moyens et méthodes de guerre et les obligations des parties au conflit en matière de secours et de protection des populations civiles et des personnes hors de combat. Elles organisent le droit des organisations de secours et la répression des crimes de guerre.

La jurisprudence internationale a également affirmé que les règles des conflits armés internationaux peuvent être utilisées pour interpréter ou compléter celles des conflits armés internes.

En plus de leur application obligatoire par les États signataires dans les cas couverts par les Conventions (application conventionnelle), certaines de ces règlespeuvent aussi être appliquées de façon ad hoc par voie d’accord spécial signé par les parties au conflit.

Accord spécialDroit international humanitaire .

Les décisions des tribunaux internationaux ont enrichi les critères et raisonnements juridiques permettant de cerner la réalité des conflits armés. Elles ont permis d’aller au-delà de l’apparence non étatique de certains groupes armés pour requalifier ces situations de conflit international. Mais ces décisions ont aussi ouvert des espaces de débats techniques et pratiques qui sont incompatibles avec les impératifs d’application immédiate du droit humanitaire en période de conflit. En effet, il n’est ni possible ni souhaitable de différer la qualification d’un conflit et donc la détermination du droit applicable à cette situation en attendant la décision d’un juge international statuant après les faits sur les différents éléments et critères du cas d’espèce. C’est pour cela que le droit humanitaire cherche à limiter la définition des conflits armés internationaux et non internationaux à des critères simples et objectifs capables a minima de couvrir toutes les situations. Le droit humanitaire demande également aux parties au conflit de mettre en vigueur dès le début des hostilités tout ou partie des Conventions par voie d’accord spécial, au cas où l’application conventionnelle directe serait problématique.

Ces décisions ont également créé une insécurité juridique sur des questions liées au droit pénal international et à la responsabilité de l’État. Ils n’ont pas clarifié le contenu du droit humanitaire dans ce type de conflit, notamment concernant la définition du statut des combattants appartenant aux groupes armés non étatiques.

En attendant une clarification judiciaire, la doctrine juridique actuelle reconnaît le caractère mixte de certains conflits armés qui peuvent comporter des dimensions internationales et non internationales simultanées. Dans ce type de situations, le droit humanitaire pourrait être appliqué de façon différenciée selon la nature des acteurs armés. Ainsi, les affrontements armés qui opposent des forces étatiques entre elles ou avec des forces internationales doivent impérativement être soumises au droit des conflits armés internationaux. Les autres types d’affrontements qui opposent des groupes armés non étatiques entre eux ou avec des forces étatiques ou des forces internationales doivent au minimum obéir au droit des conflits armés non internationaux.

Cette approche fragmentée des situations conduit à appliquer un régime juridique différent sur un même territoire en fonction de la nature des adversaires et des affrontements armés. Elle prend acte de la coexistence possible de plusieurs types de conflits armés simultanés impliquant des acteurs étatiques et non étatiques qui ont des capacités et des obligations différentes au regard du droit national et international général, notamment en matière de maintien de l’ordre, de jugement et de détention.

La lourdeur de ce système est partiellement compensée par l’unification récente des règles de droit humanitaire coutumier applicables dans les deux types de conflit armé. Elle est également relativisée par l’élargissement et l’unification de la définition des crimes applicables aux conflits armés internationaux et non internationaux, réalisés par le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Enfin, cette insécurité juridique peut toujours être compensée par les parties au conflit en acceptant dans le doute d’appliquer les mesures les plus protectrices du droit humanitaire. Cela permettrait d’empêcher la multiplication des régimes juridiques applicables aux conflits armés, mais également d’empêcher les gouvernements de créer de nouvelles catégories de conflits qui échapperaient à toute application du droit humanitaire. Dans l’affaire Hamdam (US Supreme Court, n° 05-184, Salim Ahmed Hamdam, petitioner, v. Donald H. Rumsfeld, Secretary of Defense, et al. , on writ of certiorari to the US Court of Appeals for the district of Columbia circuit , June 26, 2006, p. 65-69), la Cour suprême américaine a rejeté l’interprétation abusive des critères de qualification des conflits utilisés par les autorités américaines pour invoquer l’existence d’une troisième catégorie de conflit armé non couverte par le droit humanitaire existant.

TerrorismeConflit armé non international-Conflit armé interne-Guerre civile… -Insurrection-Rébellion .

Jurisprudence

1- Le contrôle des groupes armés non étatiques dans la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux

La Chambre d’appel du TPIY dans l’affaire Tadic du 15 juillet 1999 (IT-94-1-A) a développé l’argumentation juridique concernant le contrôle exercé par un État tiers sur des groupes armés non étatiques.

  • Concernant l’attribution à un État des actes de ce groupe armé, elle établit que l’État doit exercer un contrôle global sur ce groupe (§ 131) : « Pour imputer la responsabilité d’actes commis par des groupes militaires ou paramilitaires à un État, il faut établir que ce dernier exerce un contrôle global sur le groupe, non seulement en l’équipant et le finançant, mais également en coordonnant ou en prêtant son concours à la planification d’ensemble de ses activités militaires. Ce n’est qu’à cette condition que la responsabilité internationale de l’État pourra être engagée à raison des agissements illégaux du groupe. Il n’est cependant pas nécessaire d’exiger de plus que l’État ait donné, soit au chef du groupe soit à ses membres, des instructions ou directives pour commettre certains actes spécifiques contraires au droit international. »
  • Concernant les éléments constitutifs du contrôle global exercé par l’État. Ces éléments sont moins stricts s’il s’agit d’un groupe armé organisé plutôt que d’individus ou de groupes inorganisés (§ 137) : « Les règles de droit international n’exigent pas toujours le même degré de contrôle sur cet individu que sur des membres de groupes armés. Le degré de contrôle requis peut, en effet, varier […]. »
  • Concernant les groupes armés organisés, le contrôle global doit aller au-delà de la simple aide financière, fourniture d’équipements militaires ou formation (§ 131 supra et 137) : « […] Le contrôle exercé par un État sur des forces armées, des milices ou des unités paramilitaires subordonnées peut revêtir un caractère global (mais doit aller au-delà de la simple aide financière, fourniture d’équipements militaires ou formation). Cette condition ne va toutefois pas jusqu’à inclure l’émission d’ordres spécifiques par l’État ou sa direction de chaque opération. Le droit international n’exige nullement que les autorités exerçant le contrôle planifient toutes les opérations des unités qui dépendent d’elles, qu’elles choisissent leurs cibles ou leur donnent des instructions spécifiques concernant la conduite d’opérations militaires ou toutes violations présumées du droit international humanitaire. Le degré de contrôle requis en droit international peut être considéré comme avéré lorsqu’un État (ou, dans le contexte d’un conflit armé, une partie au conflit) joue un rôle dans l’organisation, la coordination ou la planification des actions militaires du groupe militaire, en plus de le financer, l’entraîner, l’équiper ou lui apporter son soutien opérationnel. Les actes commis par ce groupe ou par ses membres peuvent dès lors être assimilés à des actes d’organes de fait de l’État, que ce dernier ait ou non donné des instructions particulières pour la perpétration de chacun d’eux » (§ 137).
  • Concernant les individus ou les groupes qui ne sont pas militairement organisés, la responsabilité de l’État ne peut être engagée que si l’on établit qu’il a donné à ce groupe ou à ces individus des instructions et ordres précis de commettre chacune des actions qui leur sont reprochées : « Lorsque se pose la question de savoir si un particulier isolé ou un groupe qui n’est pas militairement organisé a commis un acte en qualité d’organe de fait d’un État, il est nécessaire de déterminer si ce dernier lui a donné des instructions spécifiques pour commettre ledit acte. À défaut, il convient d’établir si l’acte illicite a été a posteriori publiquement avalisé ou approuvé par l’État en question » (§ 137).

Cette définition du contrôle global a été confirmée par la Chambre d’appel du TPIY dans des affaires ultérieures. Le Tribunal a précisé que le critère de « contrôle global » appelle une évaluation de tous les éléments de contrôle pris dans leur ensemble, et que c’est seulement sur la base de cette analyse que le degré de contrôle requis pourra être avéré (affaire Aleksovski, Chambre d’appel du TPIY, 24 mars 2000, § 145). Dans l’affaire Čelebic´i (Mucic´ et consorts) du 20 février 2001, la Chambre d’appel du TPIY a validé le raisonnement juridique relatif au critère de « contrôle global » et sa pertinence pour s’affranchir du formalisme juridique et mettre en cause la responsabilité d’un État à travers l’activité de groupes prétendument indépendants mais agissant dans les faits en son nom ou dans son intérêt. Le Tribunal précise également que lorsque l’État exerçant le contrôle se trouve être le voisin de l’État où se déroule le conflit et qu’il vise à satisfaire ses visées expansionnistes, le degré de contrôle requis pourrait être rempli même si le groupe armé concerné conservait le choix des moyens et de la tactique tout en participant à une stratégie établie d’un commun accord avec l’État exerçant le contrôle (§ 47).

Ce critère du « contrôle global » retenu par le TPIY est moins strict que celui du « contrôle effectif » utilisé antérieurement par la Cour internationale de justice et confirmé dans sa jurisprudence ultérieure.

2- Le contrôle des groupes armés non étatiques dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice

Dans sa décision du 27 juin 1986 relative à l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986 , p. 14, la CIJ affirme en effet que, « même prépondérante ou décisive, la participation des États-Unis à l’organisation, à la formation, à l’équipement, au financement et à l’approvisionnement des contras, à la sélection de leurs objectifs militaires ou paramilitaires et à la planification de toutes leurs opérations demeure insuffisante en elle-même pour que puissent être attribués aux États-Unis les actes commis par les contras. […] Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit engagée, il devrait en principe être établi qu’ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites » (§ 115). En 2007, la Cour internationale de justice a réaffirmé la différence entre les notions de « contrôle global » et de « contrôle effectif » (Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 , p. 43). Dans cette affaire, la Cour a implicitement reconnu que le critère du « contrôle global » était pertinent pour la qualification d’un conflit armé international, mais elle a clairement affirmé qu’il était insuffisant pour engager la responsabilité internationale de l’État pour les actes illicites commis par des groupes armés. Ce faisant, elle a procédé à une interprétation différenciée du droit humanitaire d’une part et du droit pénal ou du droit de la responsabilité internationale des États d’autre part. « Pour autant que le critère de “contrôle global” soit utilisé aux fins de déterminer si un conflit armé présente ou non un caractère international, ce qui était la seule question que la chambre d’appel (du TPIY dans l’affaire Tadic, NdlR ) avait à résoudre, il se peut parfaitement qu’il soit pertinent et adéquat […] » (§ 404) En revanche, « les actes commis par des personnes ou groupes de personnes — qui ne sont ni des organes de l’État ni assimilables à ces organes — ne peuvent engager la responsabilité de l’État que si ces actes, à supposer qu’ils soient internationalement illicites, lui sont attribuables. […] Tel est le cas lorsqu’un organe de l’État a fourni les instructions ou donné les directives, sur la base desquelles les auteurs de l’acte illicite ont agi ou lorsqu’il a exercé un contrôle effectif sur l’action au cours de laquelle l’illicéité a été commise. À cet égard, le critère du “contrôle global” est inadapté, car il distend trop, jusqu’à rompre presque, le lien qui doit exister entre le comportement des organes d’État et la responsabilité internationale de ce dernier » (§ 406).

Dans cette affaire, la CIJ rappelle qu’« il convient d’aller au-delà du seul statut juridique, pour appréhender la réalité des rapports entre la personne qui agit et l’État auquel elle se rattache si étroitement qu’elle en apparaît comme le simple agent : toute autre solution permettrait aux États d’échapper à leur responsabilité internationale en choisissant d’agir par le truchement de personnes ou d’entités dont l’autonomie à leur égard serait une pure fiction » (§ 392). Mais elle précise que, pour engager la responsabilité de l’État, il faut démontrer que i) les personnes ayant accompli les actes prétendument contraires au droit international étaient placées sous la « totale dépendance » de l’État défendeur et que ii) ces personnes ont agi selon les instructions ou sous le « contrôle effectif » de ce dernier (§ 400). Elle rajoute qu’il est également « nécessaire de démontrer que ce “contrôle effectif” s’exerçait, ou que ces instructions ont été données, à l’occasion de chacune des opérations au cours desquelles les violations alléguées se seraient produites, et non pas en général, à l’égard de l’ensemble des actions menées par les personnes ou groupes de personnes ayant commis lesdites violations » (§ 400).

3- Les situations d’occupation militaire

Concernant le droit applicable aux affrontements liés à des situations d’occupation militaire, la Cour suprême d’Israël a reconnu dans son jugement du 14 décembre 2006 que le conflit entre Israël et les groupes armés présents dans la région, qu’ils soient ou non considérés comme organisations terroristes, est considéré comme un conflit armé international ( The Public Committee against Torture in Israel v. Israel , HCJ 769/02, 11 décembre 2005, § 18).

La Cour internationale de justice a confirmé dans plusieurs décisions l’application du droit des conflits internationaux dans les situations d’occupation (voir ▹ Territoire occupé ).

Pour en savoir plus

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