Personnes protégées
Chaque Convention de Genève de 1949 ainsi que les deux Protocoles additionnels de 1977 s’appliquent à une catégorie précise de personnes et lui accordent des droits et une protection différents. Le contenu de la protection peut varier d’une catégorie à l’autre.
En principe, le droit humanitaire n’utilise l’expression de « personnes protégées » que dans les conflits armés internationaux. Ce terme n’est pas explicitement repris pour les conflits armés internes. Il sera néanmoins utilisé ici par commodité de langage pour qualifier aussi la protection des individus dans ce type de conflits.
Le droit humanitaire ne crée pas, comme les droits de l’homme, des droits universels au profit de tous les individus. Il définit des catégories spécifiques de personnes, et leur accorde des droits et des protections particuliers, soit parce qu’elles sont plus exposées aux risques du conflit, soit parce qu’elles sont naturellement plus vulnérables. Cette catégorisation comporte des risques pour ceux qui se voient refuser l’appartenance à l’une ou l’autre catégorie de personnes protégées. Pour pallier ce danger, le droit humanitaire fixe également des garanties minimales applicables en période de conflit à tous les individus qui ne participent pas ou plus aux hostilités.
- Le statut de personne protégée prévu par le droit humanitaire confère aux individus concernés des droits à la protection et aux secours renforcés.
- Les individus qui ne bénéficient pas de ce statut de personnes protégées restent toutefois protégés par des droits minimaux prévus par les Conventions de Genève.
- Les deux Protocoles additionnels de 1977 ont assoupli la catégorisation stricte des différentes personnes protégées et unifié le contenu d’une protection minimale. Ils énoncent des garanties fondamentales applicables à toutes les personnes victimes d’une situation de conflit interne ou international qui ne bénéficient pas d’un régime de protection préférentiel (GPI art. 75 ; GPII art. 4).
- L’article 3 commun aux quatre Conventions fixe de façon moins complète un minimum de droits applicables en tout temps et en tout lieu.
Certaines catégories de personnes protégées ont droit à la protection supplémentaire due au port d’un signe distinctif prévu par les Conventions de Genève et le Protocole additionnel I.
▸ Signes distinctifs-Signes protecteurs
Dans les conflits armés noninternationaux, le droit humanitaire prévoit cinq catégories de personnes protégées :
Les individus hors de combat au titre des garanties fondamentales (GI, GII, GIII, GIV art. 3 commun ; GPII art. 4)▸ Garanties fondamentales
La population civile et les biens indispensables à sa survie. Ils sont protégés contre les attaques (GPII art. 13 et 14)▸ Population civile
Les personnes privées de liberté en relation avec le conflit (GPII art. 5)▸ Détention
Les blessés, malades et naufragés (GIV art. 3 ; GPII art. 7, 8)▸ Blessés et malades
Le personnel sanitaire et religieux (GPII art. 9)▸ Personnel sanitaire
Les droits des personnes protégées
En droit international humanitaire conventionnel
- Les Conventions de Genève prévoient pour les personnes protégées des droits spécifiques en matière de secours et en matière de protection en période de conflit armé international ou interne.
- Le non-respect du statut des personnes protégées constitue une violation grave du DIH (GIV art. 29). Les autorités qui exercent leur pouvoir sur des personnes protégées doivent les traiter conformément aux normes fixées à leur intention dans les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels. La partie au conflit au pouvoir de laquelle ces personnes se trouvent est responsable du traitement qui leur est appliqué par ses agents, sans préjudice des responsabilités individuelles.
▸ Crime de guerre-Crime contre l’humanité
- Les représentants des puissances protectrices et du CICR sont autorisés à se rendre dans tous les lieux où se trouvent des personnes protégées (GIV art. 130). Cette possibilité est élargie aux autres organismes de secours.
- Les personnes protégées ont le droit de faire appel ou de s’adresser aux puissances protectrices, au Comité international de la Croix-Rouge, à la société nationale de la Croix-Rouge du pays où elles se trouvent, ainsi qu’à tout organisme qui pourrait leur venir en aide (GIV art. 30). L’accès aux personnes protégées ne peut pas être refusé par les autorités nationales, sauf dans les limites tracées par les nécessités militaires ou de sécurité.
- Le personnel de l’ONU peut bénéficier des dispositions du droit humanitaire. Dans ce cas, il faudra toutefois veiller à distinguer entre le personnel humanitaire engagé dans les opérations de secours qui bénéficie de la qualité de personne civile, et le personnel militaire participant par exemple à des opérations de maintien de la paix.
▸ Personnel humanitaire et de secours
Le statut de la Cour pénale internationale adopté à Rome le 17 juillet 1998 introduit, dans sa définition des crimes de guerre, les attaques délibérées contre le personnel sanitaire, le personnel portant les signes de la Croix-Rouge, le personnel participant à des actions humanitaires et celui participant à des opérations de maintien de la paix (sous réserve qu’il puisse prétendre à la qualité de personne civile définie par le droit des conflits). De telles attaques contre ces personnes, dans des conflits armés internationaux ou internes, peuvent être jugées par la Cour au titre de sa compétence pour les crimes de guerre (statut, art. 8.2.b.iii ,xxiv ; art. 8.2.e.ii ,iii ).
En droit international humanitaire coutumier
L’étude sur les règles de droit international humanitaire publiée par le CICR en 2005 énonce les droits des catégories spécifiques de personnes protégées, applicables en situation de conflit armé tant international que non international.
- Personnel sanitaire : la règle 25 de l’étude du CICR prévoit que « le personnel sanitaire exclusivement affecté à des fonctions sanitaires doit être respecté et protégé en toutes circonstances. Il perd sa protection s’il commet, en dehors de ses fonctions humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi ». La règle 26 dispose qu’« il est interdit de punir une personne pour avoir accompli des tâches médicales conformes à la déontologie ou de contraindre une personne exerçant une activité de caractère médical à accomplir des actes contraires à la déontologie ».
- Personnel religieux : la règle 27 rappelle que « le personnel religieux exclusivement affecté à des fonctions religieuses doit être respecté et protégé en toutes circonstances. Il perd sa protection s’il commet, en dehors de ses fonctions humanitaires, des actes nuisibles à l’ennemi ».
- Journalistes : la règle 34 impose que « les journalistes civils qui accomplissent des missions professionnelles dans des zones de conflit armé doivent être respectés et protégés, aussi longtemps qu’ils ne participent pas directement aux hostilités ».
- Personnes hors de combat : la règle 47 impose qu’« il est interdit d’attaquer des personnes reconnues comme étant hors de combat. Est hors de combat, toute personne : (a) qui est au pouvoir d’une partie adverse ; (b) qui est sans défense parce qu’elle a perdu connaissance, ou du fait de naufrage, de blessures ou de maladie ; ou (c) qui exprime clairement son intention de se rendre ; à condition qu’elle s’abstienne de tout acte d’hostilité ou ne tente pas de s’évader ».
- Femmes : la règle 134 impose que les besoins spécifiques des femmes touchées par les conflits armés en matière de protection, de santé et d’assistance doivent être respectés.
- Enfants : la règle 135 prévoit que les enfants touchés par les conflits armés ont droit à un respect et à une protection particuliers.
- Les personnes âgées et les invalides : la règle 138 prévoit que les personnes âgées, les invalides et les infirmes touchés par les conflits armés ont droit à un respect et à une protection particuliers.
Jurisprudence
Les tribunaux internationaux ont été conduits à interpréter la définition relative aux différentes catégories de personnes protégées prévues par les quatre Conventions de Genève et les Protocoles additionnels.
L’enjeu était d’adapter ces définitions à l’évolution et à la diversité des situations concrètes et des formes modernes de conflit, notamment les conflits à caractère ethnique. Dans l’affaire Celebici, la première chambre du TPIY constate, dans son jugement du 16 novembre 1998, que la quatrième Convention de Genève limite apparemment la qualité de personne protégée concernant la population civile aux personnes qui, à un moment quelconque et de quelque manière que ce soit, se trouvent, en cas de conflit ou d’occupation, au pouvoir d’une partie au conflit ou d’une puissance occupante dont elles ne sont pas ressortissantes ( id . § 236). Cependant les juges affirment qu’afin que préserver la pertinence et l’efficacité des normes des Conventions de Genève, il est nécessaire d’adopter une méthode d’interprétation qui permette aux conventions humanitaires de remplir leur objectif visant à assurer une protection effective (§ 266). Le 20 février 2001, dans la même affaire, la Chambre d’appel du TPIY a confirmé que, « dès 1949, le critère du lien juridique de nationalité n’était pas considéré comme un déterminant et que des exceptions étaient prévues. La Chambre a donc estimé que la condition de nationalité posée par l’article 4 de la quatrième Convention doit être envisagée eu égard à l’objet et au but du droit humanitaire, lequel vise à assurer la protection maximale possible aux civils ( id . § 73). En conséquence, son applicabilité ne dépend pas de liens formels et de relations purement juridiques établis par le droit national relatif à la nationalité. La Chambre d’appel a ainsi établi que les personnes protégées peuvent inclure les victimes de même nationalité que les auteurs des crimes lorsque, par exemple, ces auteurs agissent au nom d’un État dont la protection diplomatique ne s’étend pas aux victimes ou auquel les victimes ne doivent pas allégeance ( id . § 419).
Cette décision confirme et complète d’autres décisions rendues antérieurement par le TPIY dans les affaires Tadic et Alekovski. Cette dernière précisait que l’article 4 pouvait être interprété de façon plus large de façon à accorder le statut de personne protégée à un individu, même s’il est de la même nationalité que ceux qui le détiennent ( id . § 58)
Consulter aussi
▸ Protection ▹ Secours ▹ Population civile ▹ Territoire occupé ▹ Détention ▹ Enfant ▹ Femme ▹ Internement ▹ Blessés et malades ▹ Mission médicale ▹ Prisonnier de guerre ▹ Journaliste ▹ Garanties fondamentales ▹ Droit international humanitaire ▹ Situations et personnes non couvertes ▹ Personnel humanitaire et de secours ▹ Sécurité ▹ Objectif militaire
Pour en savoir plus
Blondel J. L., « L’assistance aux personnes protégées », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 767, septembre-octobre 1987, p. 471-489.
Hartouel -Bureloup V., Traité de droit humanitaire , PUF, Paris, 2005, p. 393-416 ; p. 261-356.
« War victims », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 91, n° 874, juin 2009, p. 213-457.