Dictionnaire pratique du droit humanitaire

« Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde. » Albert Camus.

Groupes armés non étatiques

Définition

Il n’existe pas de définition internationalement admise du terme « groupes armés non étatiques » dans les traités internationaux.

Ce terme sert à désigner une partie non étatique dans un conflit armé international ou non international.

Par opposition, le droit international humanitaire utilise le terme de forces armées pour définir et désigner l’ensemble des combattants d’une partie étatique à un conflit.

Les groupes armés non étatiques jouent un rôle majeur dans les conflits armés internationaux et non internationaux contemporains. Dans les cas où ces groupes non étatiques agissent en réalité sous le contrôle effectif et pour le compte d’États étrangers, les tribunaux internationaux considèrent que les actes de ces groupes non étatiques engagent la responsabilité de ces États et internationalisent la nature du conflit armé.

Conflit armé internationalConflit armé non international-Conflit armé interne-Guerre civile… -Insurrection-RébellionCombattant .

En droit international humanitaire

  • Dans les conflits armés non internationaux

Le Protocole additionnel II aux Conventions de Genève d’août 1949 (Protocole additionnel II) fait référence à ces groupes armés non étatiques dans son article 1.1 pour désigner les « forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés » qui se battent contre des forces armées régulières ou entre eux sur le territoire d’un ou plusieurs États. Il précise que ces groupes armés doivent remplir certaines conditions d’organisation, notamment i) être sous la conduite d’un commandement responsable ; ii) exercer sur une partie du territoire de l’État un contrôle tel qu’il leur permette de iii) mener des opérations militaires continues et concertées et d’appliquer le présent Protocole.

Ces critères visent d’abord à distinguer les situations de conflit des simples troubles internes ou de l’insécurité dans lesquels les affrontements ne sont pas structurés, organisés et planifiés par un ou plusieurs commandements identifiables.

Ces critères visent également à rappeler qu’un groupe non étatique qui mène des opérations militaires a des obligations d’organisation qui doivent intégrer ladiscipline et le respect des règles du droit international humanitaire (DIH) dans ses propres actions de combat. En effet, dans ce type de conflit, le Protocole additionnel II impose le respect du DIH à l’État ainsi qu’au groupe armé non étatique opposé à l’État. Il reconnaît cependant que l’État et le groupe armé non étatique disposent de capacités et donc de responsabilités différentes en termes de respect du DIH. Ainsi, les obligations relatives à la détention sont très dépendantes de la capacité de contrôle d’une partie du territoire par le groupe non étatique. Les critères fixés par le Protocole II établissent ce seuil d’organisation qui permet d’exiger le respect du DIH par le groupe armé non étatique et de déterminer le niveau de responsabilité pénale du groupe non étatique en fonction de son niveau d’organisation et de son contrôle sur une partie du territoire. Ils ne modifient pas la qualification de conflit armé non international et les obligations qui en découlent pour l’État concerné. Si l’organisation du groupe armé non étatique est défaillante, l’État ne sera pas pour autant délié de ses propres obligations de respect du Protocole additionnel II.

Dans son Manuel de négociations humanitaires avec les groupes armés (2006), le Bureau de coordination des affaires humanitaires (OCHA) a précisé les éléments d’évaluation suivants : il vérifie si ces groupes armés i) ont le potentiel d’utiliser la force pour atteindre des objectifs politiques, idéologiques ou économiques, ii) ne sont pas dans les structures formelles militaires des États ou des organisations intergouvernementales, iii) ne sont pas sous le contrôle de(s) État(s) dans le(s)quel(s) ils opèrent, iv) ont une identité de groupe et v) sont soumis à une chaîne de commandement.

  • Dans les conflits armés internationaux

Le droit humanitaire reconnaît depuis 1977 un statut particulier aux mouvements de libération nationale qui combattent dans le cadre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou qui luttent contre la domination coloniale ou des régimes racistes. Le Protocole I additionnel aux Conventions de Genève assimile ces situations à des conflits armés internationaux et permet à ces groupes non étatiques d’obtenir le statut de combattants officiels s’ils s’engagent à respecter le droit international humanitaire. Il est donc important de distinguer ces mouvements des autres groupes armés, qui combattent leur propre gouvernement ou d’autres groupes dans un contexte de conflit armé non international.

Il est également important de faire la différence entre les groupes armés non étatiques et les sociétés militaires privées, qui n’interviennent pas de façon autonome mais à la demande des parties au conflit.

Mouvement de résistancePartie au conflitSocietés militaires privées (SMP) .

En droit pénal international

La jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et le Rwanda (TPIR) a précisé les divers éléments d’organisation des groupes armés non étatiques.

Les tribunaux pénaux internationaux ont affirmé que si un « certain degré d’organisation » était requis (affaire Limaj et al. , TPIY, IT-03-66-T, 30 novembre 2005, § 89),il n’était pas nécessaire qu’il existe un système d’organisation militaire hiérarchique similaire à celui de forces armées régulières pour qu’un groupe armé organisé soit considéré comme tel (affaire Musema, TPIR-96-13-T, 27 janvier 2000, § 257).

Ils ont énoncé les caractéristiques d’un « groupe armé organisé » comme suit :

  1. l’existence d’une structure de commandement, de règles de discipline et d’instances disciplinaires au sein du groupe ;
  2. d’un quartier général ;
  3. le fait que le groupe contrôle un territoire délimité ;
  4. la capacité qu’a le groupe de se procurer des armes et autres équipements militaires, de recruter et de donner une instruction militaire ;
  5. la capacité de planifier, coordonner et mener des opérations militaires, notamment d’effectuer des mouvements de troupes et d’assurer un soutien logistique ;
  6. la capacité de définir une stratégie militaire unique et d’user de tactiques militaires ; et
  7. la capacité de s’exprimer d’une seule voix et de conclure des accords comme des accords de cessez-le-feu ou de paix.

Ces critères, posés par la Chambre de première instance du TPIY dans l’affaire Haradinaj et al. (IT-04-84-T, 3 avril 2008, § 60), ont été confirmés et développés dans l’affaire BoskovskietTarculovski (TPIY, IT-04-82-T, 10 juillet 2008, § 194-205).

Les critères définis dans ces jugements sont principalement liés à la détermination de la responsabilité pénale individuelle vis-à-vis des crimes de guerre. Ils concernent donc le droit pénal international plus que le droit international humanitaire. Ils ne doivent pas être utilisés comme conditions supplémentaires d’organisation des groupes armés pour l’application du Protocole additionnel II. Cette jurisprudence fournit les critères utiles pour vérifier que ces groupes armés non étatiques n’agissent pas en fait pour le compte et sous le contrôle de l’État en conflit ou d’États étrangers. Ce lien de subordination modifierait la nature du conflit armé et la nature de la responsabilité pénale des commandants et des États.

Malgré ces éléments de définition, il existe de nombreuses différences entre les groupes armés en fonction du contexte dans lequel ils agissent. Ces différences affectent notamment le niveau de centralisation et d’organisation, les capacités d’encadrement et de formation des membres ou la capacité à exercer un contrôle territorial et à entretenir des liens avec la population civile.

Statut juridique des groupes armés non étatiques parties aux conflits armés

En tant que parties à un conflit, les groupes armés assument un certain nombre d’obligations au regard du droit international humanitaire.

Les membres de ces groupes armés bénéficient des garanties prévues par le DIH dans le cadre de leur participation directe aux hostilités mais aussi s’ils se trouvent hors de combat du fait de blessure, maladie ou détention.

La principale difficulté concernant ces groupes armés non étatiques tient au fait que les États n’ont pas souhaité leur conférer un véritable statut de combattant dans le droit humanitaire et particulièrement dans les conflits armés non internationaux. Leur statut est donc hybride et reste largement couvert par le droit national de l’État contre lequel ils se battent.

Les développements du droit pénal international et du droit international humanitaire coutumier ont élargi le champ de leurs droits et obligations internationales.

Nonreconnaissance du statut de combattant par le droit international humanitaire

Le statut de ces groupes en droit international humanitaire est marqué par l’asymétrie politique et juridique existant entre l’État et le groupe non étatique qui conteste son autorité par la force armée.

Le droit des conflits amés non internationaux ne reconnaît pas le statut et le privilège de combattant aux membres des groupes armés non étatiques. Le refus exprimé par les États à ce sujet signifie que ces personnes et ces groupes restent soumis au droit national, qui les considère comme des criminels parce qu’ils ont pris les armes contre l’État. Il en résulte une situation de fort déséquilibre juridique peu propice à l’imposition et au respect d’obligations réciproques fondées sur la reconnaissance du conflit et le respect des obligations du droit international humanitaire. L’État est tenté d’utiliser tous les moyens matériels, militaires, judiciaires à sa disposition pour le maintien ou le rétablissement de l’ordre public national.

Au regard du droit international humanitaire, ces groupes armés appartiennent donc de façon paradoxale à la catégorie des civils. Mais ils perdent l’essentiel de la protection attachée à ce statut du fait de leur participation directe dans les hostilités. La non-reconnaissance du statut de combattant ne libère pas les groupes armés non étatiques de leur obligation de respect du DIH en tant que partie au conflit. Elle ne les prive pas non plus de certaines protections prévues par le DIH pour les personnes hors de combat ( infra ).

Le CICR a publié en 2010 un guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire. Ce guide fait le constat qu’il n’existe pas de consensus ni de règle coutumière dans ce domaine et émet dix recommandations pour clarifier les points les plus problématiques. Sa deuxième recommandation consiste à établir une différence entre les personnes civiles qui prennent part ou non aux hostilités et les membres des groupes armés organisés d’une partie au conflit. Elle précise que « toutes les personnes qui ne sont pas des membres des forces armées d’un État ou d’un groupe armé organisé d’une partie au conflit sont des personnes civiles, et elles ont droit à la protection contre les attaques directes, sauf si elles participent directement aux hostilités ». Pour éviter un affaiblissement trop important de la protection des civils, le CICR recommande une distinction entre la participation directe des civils aux hostilités qui serait par nature ponctuelle et la participation continue qui caractérise celle des membres des groupes armés non étatiques. Le point 7 de ce guide prévoit que « les civils cessent d’être protégés contre les attaques pendant la durée de chaque acte spécifique constituant une participation directe aux hostilités. Par contre, les membres des groupes armés organisés appartenant à une partie non étatique à un conflit cessent d’être des civils aussi longtemps qu’ils assument leur fonction de combat continue ». La notion de participation continue aux hostilités a été développée notamment par la Cour suprême israélienne pour justifier la pratique militaire des assassinats ciblés.

Population civile .

Reconnaissance du statut de partie au conflit

Le fait que seuls les États puissent être signataires des conventions n’empêche pas que le droit international humanitaire s’impose aux deux parties dans les cas où l’État se trouve en guerre contre une entité non étatique. En effet, le droit des conflits armés fait la différence entre la notion de partie au conflit et celle de haute partie contractante qui désigne l’État signataire des Conventions de Genève. Le statut de partie au conflit s’applique indifféremment aux États et aux entités non étatiques en conflit avec l’État (GIV. art. 3 ; GPII, art. 1).

Dans ces situations, il n’y a pas d’enjeu de réciprocité, et l’État reste lié vis-à-vis d’une partie au conflit non étatique qui ne peut par nature pas être signataire des conventions.

L’article 3 commun des quatre Conventions de Genève (article 3 commun) qui s’applique aux conflits armés non internationaux énonce des obligations et garanties minimales qui s’imposent de façon impérative aux parties au conflit quelle que soit la nature de l’autorité qui représente ces parties. L’article 3 commun ne fixe aucune condition relative à la représentativité, à la structuration et à l’organisation de la partie non étatique en conflit. Il encourage également les parties étatiques et non étatiques impliquées dans ce type de conflit à mettre en œuvre tout ou partie des dispositions du droit international humanitaire par voie d’accord spécial. Il précise à ce sujet que l’application du droit international humanitaire n’aura aucune conséquence juridique sur le statut juridique des parties au conflit et n’impliquera donc pas de reconnaissance mutuelle entre l’acteur gouvernemental et les groupes armés non étatiques. Le Protocole additionnel II complète les obligations des parties aux conflits non internationaux.

En outre, le développement du droit international humanitaire coutumier crée des obligations juridiques universelles affranchies du formalisme de la ratification étatique. L’étude sur les règles de droit international humanitaire coutumier publiée par le CICR en 2005 a étendu aux conflits armés non internationaux une grande partie des règles applicables aux conflits armés internationaux. Ainsi, en plus des 28 articles du Protocole additionnel II, 141 des 161 règles de DIH coutumier sont applicables aux parties aux conflits armés non internationaux. Celles-ci sont donc naturellement opposables aux acteurs non étatiques parties à ces conflits.

Enfin, le droit pénal international apporte aujourd’hui une réponse à la question de la force juridique contraignante du droit international humanitaire sur les groupes armés non étatiques. Les violations les plus graves de ce droit constituent des crimes qui engagent la responsabilité individuelle de leurs auteurs ainsi que celle de leur commandement hiérarchique, qu’il soit gouvernemental ou non étatique.

Ces crimes de guerre et autres crimes contre l’humanité couvrent les actes commis dans tous les types de conflits armés, internationaux et non internationaux. Ils incluent donc également les actes commis par les membres des groupes armés non étatiques.

L’idée selon laquelle les groupes armés seraient réticents à respecter le droit international humanitaire parce qu’ils n’ont pas contribué à sa codification, que ce droit émane de l’État contre lequel ils sont en conflit, ou d’autres revendications de souveraineté et d’autonomie juridique de leur part, ne rend pas compte de la grande hétérogénéité de ces groupes armés et de leurs préoccupations souvent très prosaïques.

Ces groupes sont particulièrement vulnérables à l’application du droit national qui les criminalise et ont un besoin réel d’obtenir des garanties internationales. Ils ne sont pas opposés à respecter les règles de secours si celles-ci ne constituent pas un handicap ou un risque pour l’efficacité des combats. Leur propension à respecter ou violer les règles du droit international humanitaire est surtout liée à leur tentation d’affaiblir l’adversaire par les moyens les plus efficaces et les moins risqués. Ils n’ont malheureusement pas le privilège de cette tentation. Le droit international humanitaire et le droit pénal international permettent de trouver un équilibre entre la nécessaire responsabilisation internationale de ces groupes armés et le refus des États de reconnaître à ces groupes un statut au niveau international.

Conflit armé internationalConflit armé non international-Conflit armé interne-Guerre civile… -Insurrection-RébellionAccord spécialStatut juridique des parties au conflitDroit international humanitaire .

Droits et obligations des groupes armés non étatiques en droit international humanitaire

À la différence des conflits armés internationaux, le droit international humanitaire ne confère pas aux membres des groupes armés non étatiques un statut particulier dans les situations de conflit interne. De fait, en cas de capture, il n’existe pour eux aucun droit au statut de « prisonniers de guerre », comme ceux prévus dans les conflits internationaux pour les membres des mouvements de résistance organisés ou de libération nationale (GIII. art. 4).

Les membres des groupes armés non étatiques sont cependant protégés par plusieurs dispositions prévues par le Protocole additionnel II concernant les civils (a) et les personnes hors de combat (b).

Les membres des groupes armés non étatiques ont donc droit à la protection de ces dispositions dans les différentes situations couvertes. Mais ils ont aussi l’obligation de respecter ces mêmes règles de protection vis-à-vis des personnes civiles ou combattantes qui sont sous leur contrôle ou tombent en leur pouvoir.

Le contenu des obligations qui pèsent sur les membres d’un groupe armé varie en fonction de la qualification du conflit et du niveau d’organisation de ce groupe, ainsi que de sa capacité à contrôler une partie du territoire. Les groupes armés doivent respecter au minimum les garanties fondamentales imposées par l’article 3 commun. Si le niveau d’organisation du groupe et son contrôle d’une partie du territoire sont suffisants pour lui permettre de faire respecter le droit international humanitaire, il doit respecter également les règles contenues dans le Protocole additionnel II. Cette obligation pèse sur les membres individuels du groupe mais aussi sur les commandants et responsables hiérarchiques comme cela est prévu et reconnu tant par le droit international humanitaire que par le droit pénal international.

La jurisprudence internationale a aussi reconnu que le droit international humanitaire coutumier impose à chaque individu de se soumettre à certaines règles, que ces individus agissent pour le compte d’un État ou d’un acteur non étatique et qu’ils aient ou non consenti à être liés à ces règles (Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Procureur c. Sam Hinga Norman, 31 mai 2004, § 22).

Protection et obligations en tant que civils participant aux hostilités

Comme le Protocole additionnel II ne reconnaît pas le statut de combattants aux membres des groupes armés non étatiques, il n’existe aucune incitation juridique pour qu’ils se distinguent de la population et portent les armes ouvertement lors des affrontements. Ils entrent dans la catégorie prévue par l’article 13.3 du Protocole additionnel II concernant les personnes civiles qui participent directement aux hostilités. À ce titre, ils perdent leur protection de civils pendant la durée de leur participation directe aux hostilités. Cela signifie concrètement qu’ils peuvent être attaqués ou capturés uniquement pendant la durée de cette participation directe. Ils peuvent également être détenus, interrogés, jugés et condamnés par les tribunaux nationaux pour cette participation aux hostilités.

Cette disposition peut se comprendre quand il s’agit de prendre en compte une participation exceptionnelle et limitée de civils à certains affrontements de type révolutionnaire. Elle est plus délicate à mettre en œuvre quand elle est appliquée aux membres de groupes armés organisés non étatiques qui ont une fonction de combat continue. Le risque est de créer une fiction juridique mettant en péril toute la catégorie des civils. C’est à ce titre que le Guide interprétatif sur la notion de participation directe aux hostilités en droit international humanitaire publié par le CICR en 2010 refuse l’assimilation et propose de distinguer la catégorie des civils qui prennent part aux hostilités et celle des membres des groupes armés organisés.

Toutefois, cette notion a le mérite de renvoyer à l’asymétrie réelle qui existe entre les moyens militaires et juridiques nationaux et la capacité de contestation du pouvoir des groupes d’opposition. Elle renforce la responsabilité des forces gouvernementales dans l’ampleur et la forme de son recours à la force contre les civils. Elle crée également un continuum et une complémentarité entre les obligations qui incombent à l’État vis-à-vis de sa propre population au titre des conventions sur les droits de l’homme relatives au droit à la vie, aux garanties judiciaires et à la détention. Ces obligations continuent en théorie à peser sur l’État dans les situations de troubles intérieurs, et quand les troubles atteignent le seuil d’un conflit armé interne.

La complémentarité entre les règles relatives aux droits de l’homme et au droit humanitaire se manifeste notamment dans la défense du droit à la vie, et du principe de proportionnalité dans l’usage de la force par les autorités nationales contre leur propre population. En effet, les règles relatives aux droits de l’homme en matière de proportionnalité sont plus restrictives, imposant le fait de n’utiliser la force que s’il est impossible d’arrêter un individu par d’autres moyens. Elles limitent ainsi la notion de cible militaire légitime concernant un civil qui prendrait directement part aux hostilités. De même, les précautions nécessaires à prendre pour établir la participation directe et justifier l’attaque, ainsi que pour limiter les dommages incidents sur d’autres civils sont théoriquement et juridiquement plus fortes dans ce cas de figure.

Population civileDroits de l’hommeProportionnalitéTroubles et tensions internes .

Protection et obligations visàvis des personnes hors de combat et de la population civile

Le Protocole additionnel II et les règles de droit international humanitaire coutumier ont élargi les garanties fondamentales prévues par l’article 3 commun en faveur :

  • des blessés et malades (GIV art. 3 ; GPII art. 7 ; règle 109 de l’étude sur les règles de DIH coutumier) ;
  • des personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités du fait de maladie, détention ou autre (GIV art. 3 ; GPII art. 4). L’article 4 du Protocole II complète les garanties fondamentales prévues par l’article 3 commun. Il exige que les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités soient traitées avec humanité. Il interdit formellement le fait d’ordonner qu’il n’y ait pas de survivant dans le cadre de l’emploi de la force, ainsi que le meurtre, les traitements cruels inhumains et dégradants, la torture, les punitions collectives, les prises d’otages, les actes de terrorisme, l’esclavage et le pillage. Des garanties particulières sont imposées concernant le traitement des enfants, notamment ceux qui participent directement aux hostilités. Les règles 87-105 de l’étude sur les règles de DIH coutumier confirment la validité de l’élargissement des garanties fondamentales prévu par le Protocole additionnel II. Elles interdisent également le viol, le recours aux boucliers humains et les représailles contre des personnes qui ne participent pas aux hostilités (règles 93, 97 et 148) ;
  • des personnes privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit, qu’elles soient internées ou détenues (GPII art. 5). Les membres des groupes armés organisés rentrent dans cette catégorie lorsqu’ils sont détenus après leur capture par un autre groupe ou des forces armées gouvernementales. Ces garanties sont les suivantes : les personnes privées de liberté devront i) être traitées avec dignité et humanité ; ii) autorisées à recevoir des secours individuels ou collectifs ainsi que des soins médicaux si nécessaire ; iii) autorisées à pratiquer leur religion ; iv) bénéficier, si elles doivent travailler, de conditions de travail et de garanties semblables à celles dont jouit la population civile locale. Leur santé et leur intégrité mentale ne seront compromises par aucun acte ni par aucune omission injustifiée de la part des autorités détentrices. La règle 99 du droit international humanitaire coutumier interdit la privation arbitraire de liberté et précise que des garanties procédurales et des motivations strictes relatives à la sécurité doivent encadrer cette pratique par l’État ou les groupes armés non étatiques ;
  • des personnes accusées et soumises à des poursuites pénales (GPII art. 6). Ces dispositions sont particulièrement importantes pour les membres des groupes armés non étatiques qui sont considérés comme criminels par le droit national du simple fait de leur participation aux hostilités contre l’État. L’article 6 et la règle 100 de l’étude sur les règles de droit international humanitaire coutumier fixent les garanties judiciaires qui doivent être respectées et qui priment sur les dispositions contraires du droit national. Cet article recommande également aux autorités d’accorder à la fin des hostilités la plus large amnistie aux personnes qui ont pris part aux hostilités (GPII art. 6.5). Cette recommandation d’amnistie concerne les faits de participation aux hostilités et ne couvre pas les crimes de guerre éventuellement commis par les acteurs armés non étatiques ou étatiques.

Contrairement à ce qui était prévu dans l’article 3 commun, le Protocole additionnel II a modifié la formulation des garanties judiciaires et de détention pour permette que la détention/internement et le jugement par un groupe armé non étatique ne soient pas considérés comme arbitraires au regard du droit international humanitaire, même si ils le sont au regard du droit national (GPII art. 5.1, 6.2). Cette modification montre très clairement l’intention d’imposer aux groupes armés non étatiques le respect de ces garanties pour leurs propres activités de détention ou de jugement ;

Garanties fondamentales .

  • de la population civile en général. Dans le cadre de leur participation aux hostilités, les groupes armés non étatiques portent la responsabilité de limiter les dommages sur la population civile et les biens essentiels à sa survie et de respecter les limitations concernant les méthodes de guerre. Ils doivent également autoriser le droit aux secours humanitaires garantis par le Protocole II et le droit international humanitaire coutumier.

Secours .

Responsabilité pénale internationale des membres des groupes armés non étatiques

Le fait que les membres des groupes armés non étatiques n’aient pas le statut de combattant en droit international humanitaire les expose aux poursuites judiciaires devant les tribunaux nationaux de leur propre pays au seul motif du recours à la violence armée contre l’autorité légitime de l’État. Cette incrimination par le droit national ne doit pas être confondue avec une éventuelle accusation de crime de guerre ou crime contre l’humanité. Les crimes de guerre commis dans les conflits non internationaux font aujourd’hui partie intégrante du droit pénal international et engagent la responsabilité individuelle et hiérarchique. Les membres des groupes armés non étatiques sont donc pénalement responsables des crimes de guerre qu’ils commettent (règle 151 de l’étude sur les règles de DIH coutumier), et les commandants sont pénalement responsables des crimes de guerres commis par leurs subordonnés s’ils n’ont pas pris les mesures pour les éviter ou les punir (règle 152).

Les tribunaux pénaux internationaux ainsi que la Cour pénale internationale se sont déjà déclarés compétents pour juger les membres des groupes armés non étatiques pour des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et actes de génocide.

Cela est attesté notamment par la condamnation par la Cour pénale internationale d’un chef de groupe armé congolais, Thomas Lubanga Dyilo, le 14 mars 2012 (ICC-01/04-01/06, condamnation prononcée le 10 juillet 2012), ainsi que par le mandat d’arrêt international lancé par la CPI à l’encontre de Bosco Ntaganga, un des anciens leaders d’un groupe armé présent dans l’est de la RDC.

Les juridictions pénales internationales ont également engagé la responsabilité pénale individuelle des supérieurs hiérarchiques de groupes armés non étatiques dans des situations de conflits internes. Dans l’affaire Hadzihasanovic, Alagic et Kubura (IT-01-47-AR72, 16 juillet 2003, § 14-18), la Chambre d’appel du TPIY a ainsi affirmé que l’existence d’un « commandement responsable » dans une situation de conflit interne mettait presque systématiquement en jeu la responsabilité du supérieur hiérarchique.

Crime de guerre-Crime contre l’humanitéCour pénale internationale (CPI) .

Obligations des groupes armés non étatiques en droit international des droits de l’homme

Il est largement admis que les groupes armés non étatiques sont également soumis au respect des dispositions relatives aux droits de l’homme applicables dans les situations de conflits armés ou de troubles auxquels ils sont associés. Ces obligations découlent du fait que les groupes armés non étatiques restent soumis au droit adopté par l’État sur le territoire duquel ils agissent. Ce droit national reste applicable aux parties du territoire et aux populations placées sous le contrôle direct de ces groupes armés qui assument de fait des obligations d’administration légale vis-à-vis de ces populations.

Ainsi, l’article 4.1 du Protocole facultatif de la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, dispose que « les groupes armés qui sont distincts des forces armées d’un État ne devraient en aucune circonstance enrôler ni utiliser dans les hostilités des personnes âgées de moins de 18 ans ». L’utilisation de la formule « ne devraient en aucune circonstance » signifie que cette disposition relève de la recommandation et non de l’interdiction. Cette recommandation est d’ailleurs reprise par l’Union africaine dans sa Charte sur les droits et le bien-être de l’enfant, adoptée en juillet 1990 et ratifiée par 41 États sur les 54 que compte l’UA. L’article 22 de cette Charte dispose que les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’aucun enfant ne prenne directement part aux hostilités, mais aussi afin de protéger la population civile et assurer le bien-être des enfants en cas de conflit armé. Cet article rappelle que ces dispositions s’appliquent également aux situations de conflits armés internes, de tensions ou de troubles civils.

La Convention de l’Union africaine pour la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, adoptée en 2009 et ratifiée par 13 pays, propose également de réguler les activités des groupes armés. Son article 7.5 se lit comme suit :

« Il est interdit aux membres des groupes armés de :

  1. procéder à des déplacements arbitraires ;
  2. entraver, en quelque circonstance que ce soit, la fourniture de la protection et de l’assistance aux personnes déplacées ;
  3. nier aux personnes déplacées, le droit de vivre dans des conditions satisfaisantes de dignité, de sécurité, d’assainissement, d’alimentation, d’eau, de santé et d’abri, et de séparer les membres d’une même famille ;
  4. restreindre la liberté de mouvement des personnes déplacées à l’intérieur et à l’extérieur de leurs zones de résidence ;
  5. recruter, en quelque circonstance que ce soit, des enfants, de leur demander ou de leur permettre de participer aux hostilités ;
  6. recruter par la force des individus, se livrer à des actes d’enlèvement, de rapt ou de prise d’otages, d’esclavage sexuel et de trafic d’êtres humains, notamment des femmes et des enfants ;
  7. empêcher l’assistance humanitaire et l’acheminement des secours, des équipements et du personnel au profit des personnes déplacées ; attaquer ou nuire au personnel et au matériel déployés pour l’assistance au profit des personnes déplacées, et détruire, confisquer ou détourner ces matériels ;
  8. violer le caractère civil et humanitaire des lieux où les personnes déplacées sont accueillies et de s’infiltrer dans ces lieux. »

Pour en savoir plus

Baugerter O. « Reasons why armed groups choose to respect international humanitarian law or not », Revue internationale de la Croix-Rouge , vol. 93, n° 882, juin 2011, p. 353-384.

Blin A., « Armed groups and intra-state conflict : the dawn of a new era ? », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 882, juin 2011, p. 287-310.

Casalin D. « Taking prisoners : reviewing the international humanitarian law grounds for deprivation of liberty by armed opposition groups », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 883, septembre 2011, p. 743-757.

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Kleffner J. K., « The applicability of international humanitarian law to organized armed groups », Revue internationale de la Croix Rouge , vol. 93, n° 882, juin 2011, p. 443-461.

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Sassòli M., « Transnational armed groups and international humanitarian law », Program on Humanitarian Policy and Conflict Research, Harvard University, Occasional Paper Series, n° 6, hiver 2006.

Sassòli M. et Shany Y., « Should the obligations of states and armed groups under international humanitarian law really be equal ? », Revue internationale de la Croix-Rouge , n° 882, juin 2011, p. 425-436.

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